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Jeudi 3 décembre 2015, Babacar Gueye meurt, tué par la bac de Rennes de 5 balles dans le corps alors qu’il faisait une crise d’angoisse.

Plus de six mois après, c’est au tour d’Adama Traoré de se faire tuer, mort suite aux tabassages survenus contre lui entre son arrestation et sa mise en garde à vue.

Début septembre 2016, près de paris, un homme est assassiné par la police alors qu’il refusait son traitement apporté par deux soignantes en psychiatrie…

Le 28 Avril 2016, à Rennes, un participant à une manif contre la loi travail perd son œil gauche d’un tir de flash ball, tandis que des dizaines d’autres sont blessé.e.s.

Tout le temps, partout, et à priori pour longtemps, des personnes se font enfermer, psychiatriser, mutiler, humilier, tabasser, harceler, violer, tuer. Par la police. Mais pas seulement.

Dans ce monde basé sur la domination des un.e.s sur les autres, chacun.e est appelé.e à endosser son propre rôle de flic, c’est donc un rappel permanent à la norme ou à la loi qui s’effectue, qu’il soit fait d’injures, de menaces, ou de coups : « diviser pour mieux régner », dit-on. Ainsi, à tour de rôle, chacun.e va pouvoir être victime ou agresseur, maton ou prisonnier.

Parler d’accidents, d’actes isolés, serait taire des années et des années d’agressions systématiques à l’intention des personnes qui ne correspondent pas au schéma du bon riche blanc cisgenre hétéro citoyenno-capitaliste, et donc considéré.e.s comme de « potentielles menaces » .

La vie d’une personne qui suit un traitement psychiatrique, d’un prisonnier en cavale, d’un pédé ou d’un trans qui ouvre trop sa gueule ou même tente simplement de vivre sa vie, ou encore d’un migrant qui tente de passer la frontière ne vaut rien de toute façon, et certain.e.s vont bien se charger de le leur rappeler.

Bien évidemment, la banalité de ces actes n’atténue en rien leur monstruosité ou leur gravité et encore moins la révolte qu’ils inspirent. Il n’y a rien à attendre de la police, ni de la justice, car tant qu’elles existeront, ce sera la chasse aux sorcières, aux indésirables de tous bords.

Dans un contexte où les flics armés prennent la rue et demandent plus de marges de manœuvre, plus d’armes, pour mieux assurer, avec l’aide des médias, la propagande de la terreur, il serait bien temps d’inverser la tendance, avant que tout espace ne se referme pour de bon.

En parler autour de soi, s’organiser avec ses potes pour un collage, des tags ou une manif, ouvrir une visibilité et une conflictualité dans la rue ou chez soi… sont autant de manières d’endiguer la machine infernale du contrôle et du silence, du chacun.e pour sa gueule. De se solidariser en défendant et en encourageant certains actes de révolte…

On pensera aux nombreuses nuits d’émeutes à Beaumont-sur-Oise (Val d’Oise) suivant le meurtre d’Adamé Traoré, où ce ne sont pas moins d’une quarantaine de forces de l’ordre blessé.e.s par divers projectiles (cocktails molotovs, pavés, balles de fusils d’assaut…), des dizaines et dizaines de voitures qui sont brûlées, des barricades enflammées érigées à partir de containers poubelles qui fleurissent à divers endroit de la ville, aux entreprises et locaux de la commune qui sont incendiés, jusqu’à l’initiative d’attaque d’un transformateur afin de couper l’électricité dans le quartier…

Ou bien d’une rébellion dans la prison d’Osny (Val d’Oise), où 80 prisonniers refusent de réinsérer leurs cellules après avoir mis le feu à des draps, ainsi que quelques lycées bloqués en solidarité avec Adama.

Ou encore l’incendie de la voiture de flics le 18 mai dernier à Paris aux abords d’une manifestation appelée par les syndicats de police contre la « haine anti-flics », qui a valu à un peu moins d’une dizaine de personnes d’êtres incarcérées, dont une meuf trans* enfermée dans une prison pour hommes et privée de son traitement pendant des mois.

Ce sont aussi un bus et des voitures qui crament suite à l’incarcération le 23 novembre des deux frères d’Adama Traoré et des pressions sur sa sœur car elle ouvrirait trop sa gueule.

Ces actes parlent. Ils me parlent d’une rage que j’aimerais ne pas voir cantonnée aux limites de la légalité, qui pourrait dépasser la simple vengeance à l’égard de flics qui auraient commis une « bavure », qui irait au-delà d’une quelconque réforme de la loi, de la police, ou de la justice. Ils m’évoquent une rage concrète contre un quotidien toujours plus dur, où chacun.e est souvent acculé.e à la survie, mais où parfois celle-ci explose et prend des élans incontrôlables.

Une rage qui pourrait au moins permettre, de temps en temps, que la peur change de camp, et que certain.e.s, flics, juges, machos, et j’en passe, se sentent peut-être un peu moins légitimes, au moins pour un temps, de commettre leurs ignominies….

* Précision faite non pour hiérarchiser la solidarité en fonction d’une catégorie à laquelle certain.e.s s’identifieraient ou pas, mais pour mettre en avant le fait que ce ne sont pas que des personnes cis qui vont en manif, se révoltent ou se retrouvent en taule, et que leurs conditions de détention peuvent être assez spécifique.

Contre la police et la justice parce qu’elles représentent la même facette d’un système défendant l’intérêt des dominants contre tou.te.s les autres. Système où parfois la carotte, souvent le bâton, maintiennent une paix sociale remplie d’une haine de l’autre, de « l’étranger » à soi.

Pourquoi attendre quelque chose des flics, ou d’un jugement à leur encontre, alors qu’ils sont souvent, si non les instigateurs, les complices de toutes ces atrocités, avec l’aval de la justice, et de celles et ceux qui détiennent le pouvoir ?

Comment penser qu’une police moins violente serait acceptable, et si c’était le cas comment l’accepter sans y discerner le symptôme d’un monde de plus en plus totalitaire où chacun.e aurait un flic dans la tête et serait une balance en puissance ?

Alors que flics ou militaires, malgré leurs mains couvertes de sang, se retrouvent quasiment systématiquement lavés et acquitté.e.s par la justice, d’autres prennent du ferme pour avoir cassé une vitrine de commerce ou de banque, pour avoir chourré de quoi survivre, ou simplement s’être défendu de leur menace permanente ?

Comment supporter le cynisme obscène des responsables de la mort de Babacar Gueye, allant porter plainte contre lui pour tentative d’homicide ?

Comment sentir autre chose qu’une profonde envie de vomir sur les bancs des tribunaux lorsque la justice va la plupart du temps chercher à protéger les agresseurs ou bien reprocher aux meufs, pédés, trans, sans papiers, d’être ce qu’ils et elles sont, de l’avoir bien cherché ?

Comment parler « d’impunité policière », condamner et cibler des « violences policières » sans se mettre dans une position de « victime », « d’innocent », sans se désolidariser des actes de rébellion qui ont pu s’y dérouler ?