A partir de là, notre amie a formulé l’hypothèse d’un biais de représentation des catégories opprimées que l’on définira pour le moment comme « tendance à surévaluer la participation de personnes appartenant à des catégories stigmatisées à certaines sphères, activités ou phénomènes sociaux ».

Simple hypothèse, donc, mais que nous trouvons intéressante et sur laquelle nous allons essayer de réfléchir en la liant à la question du racisme à partir de quelques exemples.

Les membres de catégories stigmatisées, du fait de leur stigmate, sont exclus de nombreuses sphères sociales ou d’activités valorisées, à responsabilité etc. Nous formulons ici l’hypothèse d’une tendance à les surévaluer, les croire majoritaires, voir même crier au communautarisme, au lobby, au complot etc. à la moindre exception à cette règle. Le stigmate n’a pas forcément besoin d’être visible, surtout si l’argumentaire est de type paranoïaque ou complotiste, comme la croyance en l’existence d’un lobby juif, gay ou féministe dans les médias ou le monde politique. Dans ce type de cas l’argumentaire est d’autant plus fort qu’il repose sur une croyance, paranoïaque de surcroît, et pas sur un argument. Une croyance, à l’inverse d’une théorie scientifique, n’avance aucun argument, elle ne prouve rien, mais de ce fait on ne peut pas non plus prouver l’inverse de ce qu’elle dit. Il est impossible de prouver que telle personnalité politique ou médiatique n’est pas homosexuelle ou ne se serait pas convertie en secret au judaïsme.

Autre exemple, extrêmement courant : les personnes portant le stigmate noires ou arabes sont souvent attachées aux phénomènes antisociaux, de délinquance etc. L’idéologue réactionnaire Eric Zemmour avait déclenché un pseudo- scandale en énonçant sur un plateau télévisé ce qui relève du lieu commun raciste : « La plupart des trafiquants sont noirs et arabes.[4] ». Ce constat ne s’appuie évidemment sur aucune source, et pour cause : il n’y a pas de statistiques ethniques sur le sujet en France.

Ceci n’empêche pas ce cliché d’exister, et de donner du grain à moudre au discours populiste qui prétend « dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Evidemment, l’expression « tout le monde » ne renvoie pas à un groupe social : il s’agit simplement d’un procédé rhétorique permettant la généralisation d’une opinion personnelle, opinion personnelle à laquelle celui qui parle essaie de donner le caractère d’une vérité générale. Ainsi « ON constate quand même que la plupart des avocats sont juifs/des délinquants sont noirs et arabes/des membres du showbiz sont homosexuels etc. »

Les populistes aiment mettre en avant le bon sens populaire contre le savoir des experts, ce qui est une fausse distinction : les soi-disant experts ne respectent pas forcément la méthode scientifique, de même que les outils critiques sont des outils intellectuels utilisables par n’importe qui dès lors qu’on prend la peine de les diffuser et de les vulgariser.

Des idéologues réactionnaires comme Eric Zemmour aiment prétendre qu’ils disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas, or ce que tout le monde pense tout bas, par définition, s’appelle les préjugés. Et les préjugés sont souvent confirmés et validés par l’observation parce que (tout scientifique un peu formé le sait) on observe toujours ce qu’on veut voir. Si l’on préjuge, c’est-à-dire si on a déjà formé son jugement avant l’observation, l’observation validera le préjugé. Expérimenter scientifiquement c’est donc d’abord chercher à remettre nos préjugés en question.

Pour voir un phénomène il faut lui attacher des caractéristiques qui le rendent visible. Or, dans la question du racisme, le fait d’être blanc n’est pas une caractéristique, il s’agit de la norme. C’est le fait d’être racisé qui est un marqueur, un stigmate, parce qu’une déviance à cette norme.

Pour reprendre l’exemple des théories du complot : on parle de complot juif mais jamais de complot protestant alors même que la première puissance mondiale, les U.S.A, sont un pays protestant. Pareillement, la religion chrétienne a été imposée par la force dans toutes les vagues de colonialisme occidental depuis le Moyen- âge mais ce sont les juifs que l’on accuse de dominer le monde depuis des siècles, en dépit de toute logique et de toute donnée historique. Parce qu’être chrétien, dans le monde occidental, n’est pas stigmatisé, ce n’est pas une caractéristique particulière, c’est la norme. Elle ne se voit donc pas.

Tout les stigmates ne sont cependant pas les mêmes et ne donnent pas lieu aux mêmes lectures : l’alliance des U.S.A avec l’Etat d’Israël nourrit les théories sur le complot juif, mais l’alliance, depuis les années 20, des U.S.A avec l’Arabie Saoudite n’a jamais donné lieu à l’échafaudage d’une théorie du complot wahhabite. Pourquoi ? Parce que le stigmate attaché aux arabes n’est pas d’être des comploteurs mais des sauvages. Le fondamentalisme religieux islamique est donc souvent analysé comme étant une marionnette, un pantin du véritable complot, forcément juif. Ceci parce que, dans l’imaginaire raciste, la figure de l’arabe est une figure de sauvage, qui ne peut donc pas être acteur de l’histoire. Le sauvage ne peut qu’être un idiot utile, en étant instrumentalisé par un maître.

Les complotistes jouant les apprentis géopoliticiens ne voient donc que des juifs et des arabes. Des juifs et des arabes dans leurs rôles respectifs du fourbe et du sauvage. La chrétienté blanche, historiquement dominante de façon écrasante, est pourtant totalement invisible sur leur carte de l’histoire du monde. A la rigueur on parlera des Etats- Unis mais nul stigmate ethnico- religieux n’est attaché à ce pays, si ce n’est d’être soumis aux juifs. Dans la pensée complotiste, les U.S.A, pays blanc et protestant, sont un énorme corps neutre, un instrument sans signification réelle. Les Etats- Unis sont omni- présents dans le discours complotiste pourtant, seuls, ils ne signifient rien. Pour les complotistes, seul l’Etat d’Israël leur donne une signification politique.

Au quotidien, les personnes stigmatisées n’ont, la plupart du temps, rien besoin de faire d’autre que d’être simplement là.

Comme le disait cette dame allemande filmée en caméra cachée dans le documentaire Noir sur blanc de Günter Wallraf, pour justifier de refuser de louer un appartement à un homme noir « C’est une autre culture, ça ne cadre pas. Ca n’a rien à voir avec du racisme. […] S’il cuisine avec des épices ça sentira dans tout l’étage. »[5]

On pourrait allonger la liste des exemples à l’infini : seule leur culture pose problème, seule leur musique est trop forte, seule leur cuisine sent trop fort, seule leur religion est ostentatoire, seules leurs enfants traînent dehors, seule leur couleur de peau est visible, seule leur transpiration sent mauvais, seul leur homogénéité sociale relève du communautarisme, seul eux refusent de se mélanger. Même leur sexisme et leur homophobie sont particuliers, ils ne les partagent pas avec les blancs, ils leur sont propres, liés à leur culture comme ne se prive pas de l’affirmer la militante féministe du Front de Gauche Fatima Ezzahra Benomar, dans un de ses statuts Facebook (partagé 26 fois à l’heure actuelle) :

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https://mignonchatonblog.wordpress.com/2016/08/04/cest-toujours-les-memes/