Force est de constater que ce ne sont pas les états qui se sont sentis les premier concernés par la sauvegarde de la planète. Depuis des décennies moult militant.e.s, habitant.e.s, travailleur.e.s luttent contre les ravages environnementaux causés par l’exploitation frénétique des ressources de la terre et des humain.e.s qui l’habitent. Depuis des décennies ce carnage est cautionné par les instituions et ce sont aujourd’hui celles-ci qui prétendent organiser et promouvoir l’action des « acteurs non-étatiques ». Qu’on ne se trompe pas ce genre de forum a surtout vocation à entretenir l’image entreprenante et compétitive d’une dynamique locale auprès des électeurs, et de maintenir la visibilité de la métropole et de ses élus au niveau national et international. En bref, il s’agit avant tout d’une opération de communication et de récupération.

La « démocratie participative », si chère à Johanna Rolland, est à ce sujet un outil fort utile pour endiguer toute initiative qui ne serait celle des gouvernant.e.s. Ainsi il suffit d’organiser des réunions où les grands axes de discussion sont définis par les organisateurs (c’est ce qu’on appelle le comité de pilotage : plus il y a des grands noms dedans plus c’est crédible) et non les participant.e.s. Puis il s’agit de rédiger des problématiques inspirées par des revendications de la « société civile » en question, et savamment orientées dans le sens des objectifs politiques que se sont donnés les organisateurs. Inviter ensuite des experts en tout genre ou des représentant.e.s de la dite « société civile » afin que leur parole devienne valeur de référence. Il va de soi que les invité.e.s son triées sur le volet et leur parole modérée. Appeler ensuite les entrepreneurs, habitant.e.s, associations… qu’importe le nom, il faut que cela fasse « membres actifs et concernés », à venir décider avec eux de leur avenir. Le casting des « membres actifs et concernés » est également drastique, il faut souvent prouver de son identité et de son engagement citoyen pour entrer : c’est le cas de ce Climate Chance où l’on vous demande votre C.V. pour espérer être sélectionné.e. Les participant.es ont l’illusion de prendre des décisions lors de tables rondes à l’aide de cartes et parfois, summum de la participation interactive, de gommettes, mises à leur dispositions par les organisateurs et les experts sollicités… Ces mêmes organisateurs compilent finalement le tout en un mémoire écrit et synthétisé. Tout cela à grand renfort de propagande1 qui stigmatise toute contestation ou initiative réelle et donne l’impression globale de la plus grande transparence démocratique. Pour les élu.e.s initiateurs de ce genre d’événement les retours sont forcément rentables, d’abord d’un point de vue électoral puisque cela légitime, si ce n’est déjà le cas par le vote, leurs actions. Et puis cela permet de récupérer et d’adapter son discours à la réalité des différents acteurs économiques, sociaux … de son territoire. Intégrer dans son action municipale certaines initiatives des habitants permet principalement de les maîtriser et de faire disparaître tout ce qui pourrait déranger. C’est par exemple, en partie la démarche en cours dans plusieurs communes de l’agglo qui entendent transformer les centres sociaux en services municipaux. Les centres sociaux n’existent normalement que sur l’initiative des habitants et de leurs projets et sont financés par la CAF. La municipalisation permet aux mairies, à la fois de récupérer le financement de la CAF, et d’avoir la main mise sur les projets sociaux des habitant.e.s. À une autre échelle, il en va de même pour les grandes décisions et tendances politiques mondiales. Prenons l’écologie : elle fut un moyen de lutte radicale contre le capitalisme et sert aujourd’hui sa continuation.

Les financeurs du Climate Chance, déjà cités plus haut, ainsi que certains intervenants sont de bons représentants du climat ambiant de foutage de gueule qui émane de ce type d’événement. Tous participent à la destruction et l’exploitation du vivant et des cadres de vie en tous genres et tous viennent ici se gargariser de leurs actions écologiques ou humanitaires.

Bouygues, une des grandes entreprises de cet événement est un exemple criant de ce double discours. Lors du Climate Chance, une fois de plus, elle se pavanera en expliquant à qui veut l’entendre comment elle œuvre à préserver le climat grâce à ses bâtiments basse consommation et comment elle contribue à lutter contre l’exclusion sociale en finançant tout un tas d’associations humanitaires. Elle évitera cependant d’expliquer combien de personnes ont été expulsées de leur logement afin de « restructurer » (entendre par là raser puis reconstruire) des quartiers entiers pour pouvoir faire ces fameux bâtiments basse consommation. Elle évitera également d’expliquer que c’est elle qui fabrique, puis gère la plupart des prisons françaises, et qui oblige les prisonnier.e.s à travailler pour elle pour moins de 3 euros de l’heure. Le Climate Chance est en fait l’occasion pour elle de redorer son image… C’est ce qu’on appelle le greenwashing !

Nous parlons ici de Bouygues mais c’est la même choses pour toutes les autres entreprises qui participent à ce Climate Chance, Engie (ex GDF-suez) investit massivement dans les centrales à charbons ce qui en fait la 3ème multinationale la plus polluante au monde ; Schneider electric fait partie des multinationales les plus mondialisées et délocalise toujours plus pour bénéficier d’une main d’œuvre toujours moins chère ; le groupe Caisse des Dépôts traîne une quantité incroyable de scandales entre la spéculation sur les logements sociaux et le pistonnage d’un fils de ministres2 ; enfin Véolia, qui était responsable de la qualité de l’eau de la ville de Flint aux états-unis a fermé les yeux et a aggravé la contamination au plomb de l’eau que buvait les 125 000 habitant.e.s de la ville…

Et c’est exactement pour ça que toutes ces entreprises se retrouvent lors du Climate Chance et autre foire de bonne conscience. Pour montrer à quel point elles sont vertueuses, engagées pour le climat, et préoccupées par les questions sociales. Car comme le dit un vieux proverbe d’illusionniste « plus c’est gros plus ça passe ! »

Mais se rattraper aux yeux de la population (que les dirigeants de ces entreprises méprisent par ailleurs) n’est pas la principale raison de leur présence dans ces salons. Non la principale raison est plutôt bassement publicitaire car pour vendre il faut se montrer, s’étaler au grand jour, se pavaner sur les tapis (verts puisque c’est la mode du moment).

Manger des mains et serrer des petits fours c’est ça le terrain. C’est dur et fatiguant (quand on est rentier) mais ça paye ! S’il était communément admis que ce qui est bien dans ce monde est de tailler des galets en forme de cœur, ce serait ces même entreprises qui expliqueraient pendant des heures, powerpoint à l’appuie, comment elles œuvrent bénévolement à la taille des cailloux de toute la planète. Mais, en ce moment, la mode c’est l’écologie et le social. Alors on change juste le titre des diapos et ont ressert les même diagrammes. Le Climate Chance, comme toutes les autres rencontres de ce type ne sont que des emballages aux couleurs en vogue du moment, des boites vides qui ne servent qu’aux entreprises à se montrer en espérant se vendre aux quelques élu.e.s réunies pour l’occasion.

Ce glacis écologique se prétend aussi généreux et affiche une volonté d’imposer les valeurs de l’occident partout où son action économique peut s’étendre : prenons l’exemple d’ « Énergies pour l’Afrique », présidée et représentée ici par Jean-Louis Borloo (ancien ministre sous sarkozy, notamment de l’écologie). Cette fondation a pour but d’ « électrifier entièrement l’Afrique » au motif que « l’obscurité appelle l’obscurantisme quand la lumière appelle les Lumières » (sic!): en avant les missionnaires du progrès ! « Énergies pour l’Afrique » n’apporte pas juste de l’électricité mais surtout une vision de ce que doit être une société et son sacro-saint développement, tout en ouvrant ce marché aux entreprises européennes. Cette fondation compte parmi ses partenaires les mêmes groupes qui financent le Climate Chance, auxquels s’ajoutent pour ne citer qu’eux Total, Eiffage ou encore le groupe Dassault, c’est à dire les mêmes qui par ailleurs pillent les ressources en matières premières de l’Afrique (et dans le reste du monde), les mêmes qui font des conflits armés un commerce juteux, les mêmes qui utilisent les travailleurs immigrés comme main d’œuvre corvéable à merci (exploitant aussi une partie de la misère qu’ils créent et entretiennent), le tout encadrer et protéger par les dirigeants des états occidentaux. Et ce sont eux qui viennent ici nous expliquer comment leur électricité va permettre aux africains d’atteindre enfin le progrès culturel dont ils devraient rêver ! Ici encore, le Climate Chance n’est qu’un moyen de vendre et continuer le business en se cachant derrière ces fameuses valeurs des Lumières, qui sont pourtant fondamentalement racistes et méprisantes à l’égard des cultures et des peuples. Et c’est encore sous couvert de ces valeurs que ces mêmes entreprises se font du blé en investissant dans l’humanitaire.

Cela fait des dizaines d’années que nous voyons sous nos yeux le monde en train de s’éteindre à petit feu, que nous voyons d’autre humain·es mourir d’épuisement ou d’accident en produisant des choses qu’illes ne pourront jamais s’offrir ; que nous voyons des interventions militaires meurtrière, pour reprendre le contrôle économique de quelques régions ; que nous voyons comment, de partout, dès le plus jeune âge, on nous pousse à nous monter les un·es contre les autres, à être toujours plus en compétition. Nous voyons cela et nous savons que ce n’est que pour le profit de quelque un·es, que parmi nous, rares seront celles ou ceux qui parviendront à gagner trois miettes tombées du gâteau que se boulottent les élus et les patrons. Nous savons surtout que beaucoup d’entre nous subiront l’épuisement du travail, l’humiliation des contrôles (aussi bien de la police que des services sociaux), la peur de tomber malade, les violences policières, le racisme ambiant… Et nous savons que nous subirons tous ça uniquement pour que ce soient toujours les mêmes qui continuent à se gaver.

Alors quand après plus de 10 mois d’État d’Urgence, 6 mois de mouvement social très dur et à la veille d’une possible expulsion à Notre dame des landes, les élu.es de tous bords et les PDG des plus grosses boites viennent nous expliquer comment ils œuvrent pour le climat et de meilleures conditions sociales, ils ne pourront s’étonner que l’on trouve cela indécent; non, ce n’est pas juste indécent, c’est de la provocation ! L’université d’été du PS a été annulée, continuons la lutte !

Parce que nos combats visent à les faire tomber et que nous luttons chaque jour pour survivre, nous ne pouvons les laisser faire du fric sur nos vies et nos luttes, non, nous ne les laisserons pas une fois de plus se pavaner écologiquement et se donner une image socialement propre. Il n’y a pas plus de capitalisme à visage humain qu’il n’y a de réelle écologie qui puisse être rentable. Nous ne les laisserons pas se vendre. Nous ne voulons plus d’exploité·es, alors nous attaquerons les exploiteurs. Nous serons là.

La rentrée sera dure, la reprise sera sociale.

Le mouvement n’est pas fini, il ne fait que redémarrer.

Maintenons la pression, sabotons le Climate Chance !

Des cailloux dans le cartable.

1voir CQFD n°137, «Démocratie participative à la sauce nantaise »

2En référence à la nomination de Thomas Le Drian, fils de Jean-Yves Le Drian, à la Société Nationale Immobilière filiale du Groupe Caisse des Dépôts.