C’est donc au miroir d’eau, en fin d’après-midi, que quelques dizaines de personnes s’agrègent pour inaugurer le véritable événement de la rentrée sociale : l’université d’été des luttes. Un mot passe de bouche à oreille, de main en main. On se retrouve au festival de jazz « Les Rendez-vous de l’Erdre » qui se tient au même moment non loin d’ici. Bien commencer le week-end passe nécessairement par la perturbation du discours d’un élu. En l’occurrence celui de la maire de Nantes.

Antiterrorisme oblige, la zone réservée à la fête est militarisée. Des uniformes bleus disputent aux kakis le contrôle de la zone. Chaque festivalier est fouillé. Téméraires, des dizaines de trublions parviennent tout de même à s’approcher de la zone rouge au moment du discours. Dès les premiers éclats de voix, des flics en civils attrapent et exfiltrent plusieurs insolents. L’élue tentera de tenir son laïus, couvert par les hurlements, entourée de vigiles et de dizaines de policiers casqués. Scène surréaliste. Le public est en fait constitué d’une bonne moitié de policiers en tous genre, d’un tiers de perturbateurs, et enfin d’une famélique poignée de partisans du socialisme municipal. Une heure plus tard, deux cent personnes se retrouveront toujours au bord de l’eau, mais à bonne distance de ce festival bunkerisé, pour inaugurer les véritables festivités. Des radeaux seront mis à l’eau, des feux d’artifice tirés sous les vivats et une voile pirate hissée sur la rivière. La soirée durera jusqu’au milieu de la nuit entre buvette et morceaux de musique.

La journée de samedi commence par une longue discussion en plein air, à propos de la vague d’agitation démarrée au printemps 2016, et des perspectives à venir. Deux à trois cent personnes sont réunies. La parole circule et les échanges sont retransmis en direct sur Radio Cayenne. On entend pêle-mêle un syndicaliste, une étudiante, un occupant de la ZAD et bien d’autres. Des témoignages se succèdent sur les situations dans différentes villes. On revient sur les multiples facettes du mouvement. Puis un second temps d’échange s’intitule « Vivre sans gouvernement ? ». Après un retour historique, la discussion s’oriente rapidement vers la campagne présidentielle à venir, et ses inévitables surenchère racistes et sécuritaires, qui tenteront de pulvériser l’horizon désirable ouvert par la révolte des derniers mois. On entend des appels à boycotter les élections. A intensifier l’agitation. La logique électorale ne pourra se superposer à la révolte.

A peine les discussions terminées, les conférenciers partagent un buffet avant de s’atteler au temps fort du week end : l’enterrement du Parti Socialiste.

Costumes sombres, voiles en dentelles noirs, pleureuses siciliennes et prêtres en tenues traditionnelles : autour du cercueil du Parti Socialiste, le recueillement est total. L’oraison funèbre, d’une voix grave, passe en revue les innombrables forfaits du socialisme, de l’union sacrée à la guerre d’Algérie en passant par le saccage social des 30 derrières années, sans oublier l’agonie finale lors du quinquennat Hollande. Arrachant les larmes du public.

[Le texte de l’oraison funèbre ici : https://lundi.am/oraison-funebre-du-parti-socialiste]

L’émotion est immense au moment ou la foule se met en branle derrière le cercueil talonné par un cortège de pleureuses en noir, alors que résonne la marche funèbre. 400 personnes enterrent le PS dans les ruelles du quartier Bouffay bondé. Un faire part de décès est distribué aux passants, qui accueillent la nouvelle avec une joie non dissimulée, et arrosent l’enterrement avec le sourire. Puis le crépitement du verre brisé surgit de l’arrière du cortège. Quelques turbulents inscrivent sans attendre leur deuil dans quelques vitrine de banques. Plus loin, des slogans taquins ou audacieux apparaissent sur les murs. La procession accélère. Arrivé sur le cours des cinquante otages, le cortège se retrouve face à une ligne de policiers, peu nombreux mais très armés, et bien décidés à perturber la cérémonie. Alors qu’une importante ligne de CRS remonte des Rendez-vous de l’Erdre, la crémation, qui devait avoir lieu devant les locaux du PS, est avancée. La BAC, très impolie, ne laisse guère de temps au recueillement. Des grenades lacrymogènes sont tirées. Le cortège s’éparpille dans les rues alors que la dépouille du socialisme disparaît dans les flammes et les volutes de fumée. Avec lui, la politique classique.

Au troisième et dernier jour de l’université d’été des lutte, il sera question successivement des mouvements de soutien aux exilés, de l’occupation de la ZAD et de l’État d’urgence. Chaque discussion fait écho à la précédente. Comment la puissance matérielle de la ZAD pourrait soutenir les migrants ? Comment l’Etat d’urgence nourrit le racisme structurel. Comment s’opère progressivement la militarisation de notre espace vital, des stades aux festivals, des manifestations à des pans entiers des villes, et bientôt au bocage ?

Au terme de ces trois jours, chacun repart avec le sentiment d’avoir posé le premier acte d’une seconde mi-temps.

Les mois à venir – et le Spectacle organisé de voyous en cravate glanant des voix à coups de saillies racistes – ne seront vivables que si nous faisons exister l’agitation qui perdure depuis mars. Il s’agit donc de continuer le début.