C’est un courrier daté du 29 juillet de Frédéric Molossi, maire adjoint délégué au personnel de la ville de Montreuil qui annonce une sanction disproportionnée pour un fait imaginaire : 3 jours d’exclusions temporaires de fonction sont envisagés pour des manquements fautifs à des obligations professionnelles !

Les faits : l’action revendicative des Agents [municipaux] en Colère et Debout au printemps/été 2016

Les agents de Montreuil réunis au sein d’une intersyndicale (CGT/FSU/FO/CNT) sont mobilisés contre la casse de leurs acquis et du service public ainsi que contre la loi Travail or le contexte local est particulièrement tendu avec une mairie « Front de Gauche » agissant comme n’importe quelle mairie de droite.

14 avril : un comité technique paritaire houleux et ses suites

Comme l’indique le compte rendu de l’intersyndicale, tout part de là :

Ce 14 avril dernier, nous étions nombreux à venir crier notre colère et notre profond désaccord face aux mesures anti sociales qui se présageaient (et finalement votées en huis clos au conseil municipal du 15 juin). La décision d’envahir ce comité technique avait été prise en assemblée générale car nous n’obtenions aucun dialogue avec le président de cette instance, M. Molossi.
C’est dans une ambiance électrique et chauffée à blanc par le mépris auquel les agents font face que certains collègues ont réussi à prendre la parole, ce qui est loin d’être facile. Ils ont porté avec beaucoup d’émotions la voix de tous les territoriaux qui subissent une austérité municipale sans considération pour leur avenir et celui du service public local.
Aujourd’hui ils sont plusieurs à être menacés de sanctions administratives pour avoir manifesté collectivement et pris la parole ce 14 avril.

Ce comité technique était très important puisqu’il était censé voter les mesures d’austérité afin qu’elles puissent être validées au conseil municipal suivant ! Mais les 400 agent·es présent·es ont ruiné les plans du petit patron Bessac et vexé comme un poux son bras droit Molossi qui s’en souviendra par la suite…
Pour enfoncer le clou, l’intersyndicale publie dès le lendemain 5 affiches bicolores mettant en lumière le double discours de Bessac entre 2014 (dans l’opposition) et 2016 (maire) puis le 18 une pétition contenant la plate forme revendicative :

Nous sommes POUR :

  • La titularisation rapide de plus de 300 agents précaires.
  • Un dialogue respectueux avec le personnel.
  • Une réelle prise en compte de la souffrance au travail.
  • Accueillir et servir la population dans de bonnes conditions.

Nous sommes CONTRE :

  • La suppression de la prime de titularisation
  • La suppression des congés dits de pré-retraite
  • La suppression de 10% du budget du comité d’entreprise (COS)
  • Le non-remplacement des agents
  • Un « plan social » déguisé
  • La privatisation en marche des services publics

23 mai : un comité technique paritaire en catimini

Aussi paranoïaque que Staline à son apogée, M. Bessac craint que son projet de casse sociale ne puisse passer avant l’été, ce qui le reporterait en septembre, probablement trop proche de la prochaine échéance présidentielle… Pour cela, tout est bon, même l’illégalité comme déplacer le lieu au dernier moment afin que les personnels ne puissent l’interrompre et les élu·es du personnel voter contre le plan austéritaire… Si ce comité technique… en petit comité est irrégulier, cela n’empêche naturellement pas le passage en force du maire qui inclut son plan à l’ordre du jour du conseil municipal du mercredi 1er juin !

1er juin, intervention des agent·es municipaux : « Retirez ces mesures, refusez de les voter ! »

Les relations avec la mairie se tendaient encore plus quand M. Namura, directeur général des services citait W. Churchill : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. » lors d’une réunion de cadres [1] la veille du conseil municipal !
Prévoyant·es, les manifestant·es avaient donc emmené leur matériel de sonorisation, pas certain·es que l’interruption de séance demandée soit acceptée, ni leur discours entendu. Voici de brefs extraits de ce qui a été lu ce mercredi :

(…) vous avez refusé, monsieur le maire, de rencontrer directement les agents de la ville dans le cadre souhaité par leur assemblée générale de grève. (…) c’est tout le service public qui va mal [2]. (…)

En évoquant notre lutte, le directeur général des services [M. Namura] ose parler d’incompréhension ou de malentendu aux cadres qu’il a convoqué durant 3h, le 31 mai. (…) Vous ne faites pas confiance aux personnels. Votre défiance est éclatante ! (…)

Nous doutons fortement de votre intérêt pour les agents. Ce soir, mesdames et messieurs les élus, il vous est proposé de réduire la subvention versée au Comité des Oeuvres Sociales du personnel (…) Il vous est aussi proposé de supprimer une prime d’installation pour les collègues devenant fonctionnaires, il vous est aussi proposé de pénaliser les collègues les plus âgés en supprimant le congés de pré-retraite. Où est donc l’intérêt des agents dans ces mesures ? (…)

(…) Je suis détruite physiquement et mentalement à cause de ce putain de boulot d’ATSEM qu’on ne peut pas faire correctement à cause des absences, non remplacées, toujours en sous effectifs et poussée à toujours en faire plus pour le même salaire, faire le boulot de 2 ou 3 personnes ! Résultats des courses, 2 hernies discales et dépression, [invalidité à 52 ans suite à l’]épuisement et au harcèlement moral !

Nous doutons aussi fortement de votre intérêt pour le service public. (…) Souvenez vous le 6 avril dernier nous en parlions déjà. Un courrier vous était adressé par l’ensemble des agents faisant état du dysfonctionnement criant de la direction des finances. Dans le même temps, une alerte du CHSCT faisait état de leur grande souffrance au travail. Les représentants du personnel ont dû vous adresser une seconde alerte il y a quelques jours. (…) Les enseignants et les parents d’élèves FCPE sont aussi mobilisés comme nous ce soir pour dénoncer la dégradation du service rendu aux familles montreuilloises. (…)

Ce retrait [des mesures citées plus haut] ne serait que la marque d’une cohérence politique : comment combattre l’austérité au niveau national et l’appliquer avec zèle localement ? (…) S’entendre dire qu’il n’y a pas assez d’argent parce que l’Etat est trop injuste [3] et que vous n’avez pas le choix, nous en avons assez ! (…) D’autres alternatives existent ! (…)

Le conseil municipal ne reprendra pas après cette prise de parole : la présence déterminée de 200 montreuillois·es conduit à l’ajournement et au report du restant de l’ordre du jour à la prochaine séance…

15 juin : conseil municipal sous très haute surveillance et ses suites

Suite à l’AG des personnels du 8 juin pour soutenir les collègues en grève de la direction des finances, nombreuses et nombreux sont les agent·es municipaux à s’être à nouveau déplacés pour ce nouveau conseil municipal. Nouveauté : un accueil digne d’une manif parisienne avec la présence de la police municipale, de la police nationale (en tenue et en civil) et d’au moins 14 agents de sécurité privée qui ont procédé au filtrage et refoulement, fouille des sacs et parfois confiscation des effets personnels (parapluie etc.) et même fouille au corps pour certain·es ! De plus l’heure inhabituelle et pour le moins tardive, histoire d’essayer de décourager les manifestant·es : 21h… Et enfin, le conseil municipal s’est déroulé… à huis clos ! Les agent·es ont été cantonné·es sous surveillance constante en mezzanine… Et la majorité a suivi Bessac comme un seul homme moins l’élue Ensemble qui a seule voté contre, la minorité de gauche ayant refusé de siéger dans ces conditions.
La présence samedi 18 juin à la fête de la ville pour differ un tract mais aussi lundi 20 juin lors d’un pique nique debout (boycott du CHSCT) ainsi que la manif du 23 juin contre la loi Travail permet de maintenir la mobilisation malgré le choc du vote au conseil municipal…

Les 15 derniers jours de lutte avant les vacances

L’enfumage de la mairie continue avec un mini plan de titularisation : 80 agent·es soit environ 25% des précaires vont être titularisé·es. Or la position de l’intersyndicale est claire : plan pluriannuel de titularisation de tout·es les précair·es ! Pour réagir les personnels se sont réunis en AG le 30 juin sur les heures mensuelles d’information syndicale : il est décidé de faire un alléchant et sympathique apéro debout (On ramène les merguez, ramène ta fraise) mercredi 6 juillet avant le conseil municipal plutôt que de s’y rendre une nouvelle fois.

La lutte continue ? La répression aussi !

Le courrier de Frédéric Molossi mérite d’être commenté tant il est aussi maladroit voire comique (quand l’élu parle de lui à la 3ème personne) que constellé d’erreurs, y compris juridiques…

On est jamais mieux servi que par soi même (ou pas)

Première série de faits invoqués par Frédéric Molossi est l’interruption des CHSCT présidés par un certain… Frédéric Molossi. Or parmi les principes généraux du droit français, il est irréfragablement interdit d’être juge et partie…

Des faits imaginaires

Par la suite, il est mentionné un « comportement inapproprié caractérisant un manque de respect vis à vie de la mairie et de ses représentants. » ; en l’espèce avoir… tutoyé (!) ce grand homme qu’est Molossi (toujours lui) or il est évident que le tutoiement comme le vouvoiement sont une pure convention sociale en dehors de situations particulièrement désuètes au discours formaté (prestation de serment etc.). Pire le décret publié le 8 novembre 1793 par la Convention prévoit le tutoiement obligatoire dans les administrations ! Mieux la communication officielle de l’Etat requiert le tutoiement [4] ! Plus loin encore : « En outre, au moment où Monsieur Molossi s’est levé pour quitter la salle, vous vous êtes mis en travers de son chemin, l’empêchant ainsi de sortir. » ; outre qu’il est tout à fait possible que l’adjoint au maire ait oublié de respecter le formalisme d’une séance CHSCT (l’agent·e visé·e étant élue audit CHSCT), il est tout simplement impossible de croire que M. Molossi n’était pas libre de ses mouvements, il ne fait d’ailleurs pas mention d’une chemise arrachée, d’un pantalon débraillé ou autre effet dégradé. C’est donc qu’il était indéniablement libre d’aller et venir…

La conclusion est univoque : « Ces faits constituent des manquements fautifs à des obligations professionnelles, notamment à votre devoir de réserve et à l’obligation de respect due à l’autorité territoriale. » ce qui n’est pas sans laisser sourire. En effet le devoir de réserve est non seulement corrélé à la fonction occupée (il est quasi inexistant pour un fonctionnaire « de base » ; plus encore pour un élu·e syndical·e) mais il est basé sur la forme et non sur le fonds (la liberté d’expression des fonctionnaires et contractuel·les est totale en toute circonstance) : compte tenu qu’il s’agissait d’une réunion à caractère privée, que les faits sont de nature orale et que la fonctionnaire visée est dans l’exercice de ses fonctions d’élue syndicale, M. Molossi risque fort d’avaler sa cravate devant n’importe quelle juridiction administrative. D’où tout d’un coup, la très grande prudence quant à l’énoncé de la sanction : « (…) j’envisage de vous infliger une sanction du 1er groupe : trois jours d’exclusion temporaire de fonctions. »

Solidarité indispensable, affaire à suivre !