Culture du viol

Un regard sur le monde actuel nous le montre plein de préjugés. Genre, sexualité, âge, condition physique, classe sociale, couleur de peau ou appartenance à un groupe ethnique spécifique sont utilisés comme prétextes pour que la société commette et accepte toute une variété de maltraitances à l’égard des gens. Celles-ci peuvent être discrètes, comme dans les cas où un-e intervenant-e est ignoré-e ou n’est pas pris-e au sérieux, ou bien évidentes comme un crime commis publiquement sans que personne ne se constitue comme témoin. Nous avons tous et toutes été conditionné-es à ne pas faire de vagues; à participer aux actes d’oppression et aussi à les subir comme des évidences; à ignorer ou minimiser le vécu de celles et ceux qui ont besoin de notre soutien; à intenter un procès à  celles et ceux qui recherchent justice; à intérioriser la culpabilité quand on a subi une violence, voire à ne pas même s’autoriser à reconnaître une agression comme telle. Alors que ces normes culturelles s’observent partout où s’exerce l’oppression, je soutiens que l’une des plus répandues, des plus généralisées de celles qui affectent tous nos espaces radicaux, est véhiculée par notre culture dominante qui pousse à l’acceptation du viol et de la violence sexuelle.

Nous sommes constamment cerné-es par des paroles et images qui valorisent et pérennisent le viol. Tout, depuis les comédies que nous sommes sensé-es apprécier jusqu’au cadre légal que nous impose l’État, prédispose le viol comme faisant simplement partie de la vie. Le viol est minimisé dans notre culture au point que quand quelqu’un prend un ordinateur pour poster des messages stupides sur facebook avec les identifiants de quelqu’un d’autre, cela est présenté dans le langage comme étant du même degré d’injustice et de violence qu’une agression sexuelle. Bien sûr, si on place les gens devant la comparaison ils évalueront le viol comme étant bien pire qu’un message posté pour embarrasser un-e ami-e, mais cela n’est qu’un petit exemple d’un système surplombant et généralisé de langage misogyne, d’objectivation, de rabaissement et de banalisation. Cela mène au point que le viol est non seulement ignoré parce que normalisé mais peut aussi être encouragé et célébré par ceux qui nous entourent. Vous ne me croyez pas ? Tapez « viol de Steubenville » dans le moteur de recherche de votre choix, et gardez en tête que je peux trouver des centaines d’exemples de ce type, uniquement dans l’année écoulée.

La réalité de la violence sexuelle est constamment cachée par des mythes qui attaquent celles qui y ont survécu, et protègent ceux qui les commettent des investigations. L’idée que l’agresseur est un étranger ou une vague connaissance revient encore et toujours. Les violeurs sont constamment dépeints comme des montres ou des bêtes aveuglées par leur instinct. Ces deux stéréotypes se vérifient rarement. Un violeur peut être n’importe qui que vous connaissez. Il peut être votre meilleur ami. Il peut être une personne sympathique qui semble être “une vraie crème”. Il peut par ailleurs être un bon camarade. Les violeurs ne sont pas des fous obsédés sexuels qui se distinguent toujours parmi la foule. Un violeur est plutôt quelqu’un qui cherche à exercer un contrôle par la violence sexuelle, la plupart du temps dans un cadre très intime, sur quelqu’un qu’il connaît bien. Il peut utiliser des raisonnements pour persuader la personne agressée que le viol n’en était pas unou que ce n’était pas de sa faute. Cela nous amène à cette fausse idée que les cas de viols sont toujours clairs et évidents – qu’un homme a maîtrisé une femme d’une manière ou d’une autre dans la poursuite d’un rapport sexuel et que la survivante est immédiatement lucide sur ce qui s’est passé. Cela peut être le cas, mais ce n’est pas la seule configuration possible. Celles dont les expériences n’entrent pas dans ce schéma en noir et blanc se retrouvent souvent décriées ou soupçonnées. Des questions sont soulevées sur pourquoi la survivante “a laissé tout ça arriver” ou “n’en a pas parlé plus tôt”. Aucune réflexion n’est consacrée à l’ensemble du spectre des réactions typiques face à une situation menaçante, qui vont des réactions familières de fuite ou de combat à d’autres moins connues, pétrification, soumission, stupeur… Notre culture retourne tout cela et commence à demander ce que la survivante a fait qui aurait pu inviter au viol. Était-elle ivre ? Habillée “de manière provocante” ? N’a-t-elle pas pris de précaution telles que porter un sifflet ou quelque chose pour se protéger ? A-t-elle eu un comportement ayant conduit l’agresseur à se conduire comme il l’a fait ? A-t-elle déjà couché avec lui par le passé ? Soyons bien clairs: rien ne cause un viol, à part un violeur.

Ces mythes travaillent tous au renforcement des agresseurs et à l’affaiblissement des survivantes. Ils mènes celles qui ont survécu a une agression à questionner leur propre jugement, à tourner les reproches contre elles-mêmes pour les actes d’un autre. Ils causent des sentiments de honte et de culpabilité paralysants pour celles qui ont besoin de solliciter notre solidarité et notre soutien. Dans le même temps, ils font que les structures supposément établies pour aider les victimes sont peu réceptives voire même franchement hostiles.

Des mythes et idées fausses comparables affectent aussi d’autres groupes subissant des oppressions, entraînant les mêmes effets de rejet de la faute sur ceux qui sont violentés. Par une observation attentive des médias grand public, on peut constater à quel point la désinformation et la haine qu’elle entretient sont omniprésentes. Alors que j’écris cet article, il apparaît qu’un facteur important du suicide de Lucy Meadows a été la décision du Daily Mail de publier une attaque personnelle haineuse à son égard. De tels exemples ne sont que la partie émergée d’un massif iceberg.

 

Espaces radicaux, solutions révolutionnaires

En tant qu’anarchistes, nous devons travailler à nous rendre compte de ces systèmes d’oppression et de la manière dont ils se recoupent et s’articulent, en écoutant les expériences de celles et ceux qui ont été opprimé-es et en les épaulant dans leurs luttes. Nous devons aussi être critiques des systèmes de réponse que nous tenons du monde tel qu’il est et chercher à préfigurer le monde dans lequel nous espérerions vivre. Nous devons pour cela être réalistes au sujet des moyens et des aptitudes que nous devons avoir en main. Quand nous offrons des espaces, qu’ils soient de rassemblement dans des lieux physiques ou des forums virtuels de discussion, nous devons reconnaître la responsabilité qui nous incombe de faire savoir à tous ceux qui les utilisent que pour être accepté dans cette communauté particulière certains comportements sont requis et que d’autres ne sont pas tolérés. Dans le même temps nous pouvons avoir des exigences annexes, voire même énoncer que quelqu’un n’est pas le bienvenu dans nos espaces, dans le but de préserver la communauté dans son ensemble. Loin d’être autoritaire, ceci est le premier pas vers la mise en pratique du principe de libre association, où individus et collectifs décident directement et démocratiquement de qui ils acceptent dans leurs espaces et de la manière dont les gens sont sensés s’y conduire.

Pour le moment la tentative la plus commune de rendre nos espaces plus sûrs que le reste du monde est de mettre en place une politique d’espace sécurisant. Cela se matérialise souvent par une liste de principes auxquels nous espérons que tous les usagers adhéreront ainsi que des comportements attendus. Malheureusement, faire de nos espaces des lieux plus sûrs que monde environnant nécessite bien plus qu’une bienveillante liste de ce que nous espérons que des individus prédateurs feront ou ne feront pas. Tout comme les lois ne font rien pour empêcher les crimes, placarder un code de conduite lors des événements est parfaitement inutile si cela n’est pas accompagné par des procédures déterminant quoi faire quand (et non pas si) quelqu’un y contrevient. Pour paraphraser Malatesta, il faut de l’organisation, de l’organisation, et encore de l’organisation. Cela se traduit de différentes manières:

Des processus ouverts et clairs pour tous

En secourisme il y a des procédés qui sont répétés par les soignant-es pour qu’en cas d’urgence ils soient capables de mettre la plupart de leurs émotions de côté pour s’assurer que la situation est gérée convenablement. Le même principe peut s’appliquer à la préparation et l’organisation pour sécuriser nos espaces. Quand quelqu’un se comporte de manière contraire aux « codes de conduite », il est nécessaire qu’il existe une liste d’indications claire sur les recours disponibles pour quelqu’un qui a enduré un abus, qui a été témoin d’un comportement oppressif et pour celles et ceux à qui les faits sont rapportés.

Avoir défini un ensemble de principes clairs sur la manière d’agir, ainsi qu’une suite de procédures que toute personne entretenant l’espace est formée à suivre quand un problème survient, signifie que toutes les personnes impliquées sont fixées sur ce qui se passe lorsque la question de la violence se présente. Les survivant-es peuvent être plus à l’aise et sentent qu’un certain ordre peut être trouvé dans une situation émotionnellement chaotique car elles et ils savent avant même de soulever une question ce qui va arriver. Ceux d’entre nous qui maintiennent l’espace auront la documentation à la fois pour nous aider à aller de l’avant d’une manière qui protège la communauté au sens large, tout en nous retenant de prendre toutes mesures hâtives qui marginalisent un-e survivant-e ou qui sont en elles-mêmes abusives. Pour ceux qui pourraient éventuellement être les auteurs d’abus, cela montre à l’avance à quoi s’attendre et explique pourquoi certaines mesures peuvent être requises de chaque personne concernée. Plusieurs processus seront nécessaires pour faire face aux différents types de violence qui peuvent être signalés. Par exemple, la façon dont nous traitons les rapports de violence physique diffère grandement de la façon dont nous sommes sensés faire face au cas de quelqu’un d’insultant dans une conversation. Aucun processus n’est gravé dans le marbre dans la mesure où chaque cas est unique, mais les éventualités les plus courantes peuvent être couvertes et nos processus peuvent être revus après les faits afin d’inclure et de partager les meilleures pratiques que nous développons.
Centralité du/de la survivant-e et processus de responsabilisation de la communauté

D’une manière générale le monde répond aux abus de manière très différenciée. Quand quelqu’un se présente pour signaler que quelque chose lui a été volé, la première réaction n’est pas de questionner la véracité de ce témoignage: nous prenons cette allégation pour argent comptant et travaillons à partir de ce point. Cela n’est pas le cas en ce qui concerne les violences sexuelles. Alors que les enquêtes concernant les fausses accusations dans ce domaine montrent qu’il est extrêmement rare qu’une accusation soit portée sans fondements, la réaction initiale typique de la culture dominante est de nier ou de pas prendre en compte le témoignage du survivant sur ce qui s’est passé et de tenter de minimiser, de gommer le comportement abusif. Si cela ne peut être mené à bien l’attaque est portée contre celles qui ont pu se lever pour chercher justice. Celles qui viennent pour nous demander notre aide et du soutien se voient intenter un procès. Et quand nous croyons le témoignage de la victime, nous perpétuons souvent la diminution de sa personne, le mépris de sa volonté dont elle a souffert en nous emparant du problème pour le régler nous même, en étant inattentifs à ce dont la survivante a besoin ou veut de nous.

Presque toujours, nos espaces n’ont pas en main la capacité d’enquêter sur la vérité ou la culpabilité derrière la plupart des déclarations de violence sexuelle ou de violence grave. Cependant, nous avons la capacité de prendre les plaintes d’abus au sérieux et de rechercher la mise en œuvre de stratégies visant à protéger nos collectivités. Lorsque nous ne faisons rien sous prétexte de “ne pas prendre parti” ou parce que nous en appelons à la notion « d’innocence jusqu’à preuve du contraire », le message implicite que nous émettons vers celles et ceux qui endurent des comportements oppressifs est que tout témoignage de violences est sans importance pour le fonctionnement de nos espaces, que ce pourrait tout aussi bien être des mensonges, pour ce que nous en avons à faire, et que nous ne nous intéressons pas au fait de rendre nos espaces accueillants pour celles et ceux qui pourraient se sentir menacé-es par un individu potentiellement violent.

En mettant l’accent sur l’écoute des besoins des survivant-es d’abus et en agissant dans l’idée de donner du poids à leurs choix, nous faisons un petit pas vers le maintien entre leur mains de la maîtrise de leur vie que l’agression leur retire. Nous travaillons également à faire en sorte que toute personne fréquentant nos espaces ait bien été responsabilisée en ce qui concerne les comportements requis et prohibés, communiqués à l’avance. Nous ne sommes pas toujours en mesure de dire si quelqu’un est coupable ou innocent; au lieu de cela nous cherchons les actions nécessaires pour assurer que chaque personne venant dans nos espaces se sente en sécurité.

Éducation & Socialisation

Lorsque nous décidons que nous sommes anarchistes, nous ne sommes pas tout à coup mystiquement absous de tous les maux et les préjugés que la société a nous a inculqués. Il faut beaucoup de travail pour aligner les actions qu’on entreprend sur les idéaux que l’on porte. À cette fin, nous pouvons être ouverts à la critique de nos modèles de comportement et écouter les personnes et collectifs qui ont été à même de survivre à la violence, et qui souhaitent guider nos communautés vers une meilleure façon de gérer les problèmes futurs. La mise en place de processus clairs s’inscrit dans cette dynamique; discuter de l’intégration de nouvelles idées et situations lorsque le processus, bien qu’imparfait, sera mis en œuvre, est nécessaire pour garder les choses fraîches et réflexives. Nous devrions également examiner le langage que nous utilisons, et être ouverts à son évolution pour éloigner les expressions que les survivant-es indiquent être oppressives.

Par l’éducation, nous pouvons former celles et ceux qui viennent dans nos espaces à ne pas perpétrer ou accepter de violences, ainsi que sur la manière correcte d’agir quand un problème se manifeste. Quand quelqu’un se plaint de nos actions, nous devons nous entraîner à retenir les mécanismes de défense que la société nous a inculqués et, à la place, prendre le temps d’évaluer de manière critique la situation. Nous devons aussi reconnaître que ce n’est pas le rôle de la personne qui se plaint de nous éduquer sur nos comportements abusifs, mais qu’il est de notre devoir d’explorer les différentes formes d’éducation et d’apporter les meilleures pratiques rencontrées dans nos espaces. Si quelqu’un ayant subi une oppression de première main est en position de faire des observations sur la forme que nos processus devraient prendre, ses conseils seront souvent précieux. La praxis anarchiste considère de longue date que quand un groupe est opprimé c’est lui qui doit mener sa lutte; lorsque quelqu’un vous avertit que vous agissez de façon abusive c’est exactement ce qu’il fait. Nous devons écouter.

 

L’armée des hommes de paille

Lorsque se pose la question de la sécurisation des espaces, il y a souvent un déferlement d’arguments sur les raisons pour lesquelles ces concepts devraient être ignorés. D’après mon expérience, ceux qui font ces arguments sont presque toujours des hommes blancs, valides et cisgenres et non les membres de groupes opprimés (coïncidemment souvent les voix les plus fortes appelant à la mise en œuvre de procédés pour rendre les espaces plus sûrs). La plupart de ces réactions n’abordent même pas la véritable réflexion autour de la sécurisation des espaces qui est réclamée, mais attaquent des idées fausses et des malentendus dont la personne a entendu parler de seconde main ou qu’elle a inventés elle même. Nous pouvons tous nous laisser aller à cela à un moment ou un autre, donc je voudrais prendre un moment pour parcourir la liste des arguments les plus communs contre les politiques d’espaces sécurisants, torpillant les hommes de paille afin d’éclaircir les confusions ou malentendus qui pourraient surgir :

Est ce que tout ça c’est pas juste chercher les problèmes ?”

Se préparer pour faire face aux problèmes qui imprègnent le monde n’est pas chercher les ennuis, c’est faire une évaluation réaliste de ce qui pourrait arriver, et mettre en place des structures sensées afin de traiter les abus à mesure qu’ils sortent de l’ombre. Si nous constatons une augmentation des problèmes après la mise en place des processus et leur utilisation responsable, alors nous ne devrions pas nous demander si les structures en sont la cause, mais pourquoi nous n’étions pas au courant de ces problèmes avant qu’elles ne soient mises en place.

 

« Nous n’avons jamais eu de problème auparavant! »

Correction: nous n’avons jamais été mis au courant de problèmes auparavant. C’est peut-être parce que nous ne semblons pas prendre les choses plus au sérieux que la culture dominante en raison de notre manque de processus de responsabilité communautaires solides centrés sur les survivants. Et quand bien même il n’y aurait eu aucun problème jusqu’à maintenant, cela ne veut pas dire qu’il ne peut s’en produire à l’avenir, et si nous devons travailler sur ce qu’il faut faire dans le feu de l’action, nos réactions seront moins bonnes que si nous avions bien mené une réflexion -même incomplète- sur ces politiques.

 

Les politiques d’espaces sécurisants sont imparfaites”

Oui, elles le sont souvent. Ce n’est pas une raison de ne pas en avoir une. C’est une raison pour en avoir une et échanger de bonnes pratiques avec d’autres qui font la même chose. Nous essayons de développer un monde meilleur dans la coquille de l’ancien, tout ne sera pas fonctionnel du premier coup. Ne pas avoir une procédure politique claire est beaucoup plus imparfait.

 

« Nous ne sommes pas responsables des actions des autres dans cet espace. »

Exact – ils sont responsables de leurs actions, mais nous sommes responsables de leur faire prendre conscience de ce qui est nécessaire pour s’associer librement à nos espaces. Nous sommes également responsables de nos actions quand quelqu’un ne respecte pas les codes de conduite et il est donc préférable d’avoir un guide sur ce que nous devrions faire et d’avoir pratiqué nos réponses à l’avance.

 

Tout de même, chacun peut se comporter en adulte…”

Les adultes violent. Les adultes battent. Les adultes oppriment, exploitent et abusent. Le problème n’est pas que les gens ne se comportent pas en adultes mais que nos communautés n’aient pas une approche différente du monde qui nous entoure. Si nous sommes sérieux dans notre projet de révolution sociale alors nous devons travailler sur les structures et les méthodes d’organisation que cela implique, pas les rejeter.

 

S’il y a un problème, c’est simple, je m’en occuperai »

Bien sûr, si une bagarre ou une agression violente se déclenche juste en face de l’un-e d’entre nous, c’est quelque chose que nous voudrons interrompre. Je n’ai pas encore vu de politique d’espace sécurisant qui ne le permette pas. Cependant, si en traitant le problème nous piétinons encore l’autonomie et la liberté de choix de la survivante alors nous ne créons pas de changement social, mais devenons une autre facette du problème. En outre, sans un processus pour compter sur les autres nous seront obligé-es de suivre le même raisonnement et de prendre systématiquement des mesures directes pour éliminer ceux considérés comme dangereux de nos espaces.

 

Nous sommes déjà tous égaux ici”

Les modedevietistes qui se bouchent les oreilles peuvent s’écraser tout de suite. Par pitié. Leurs communautés sont clairement en proie à des violences sexuelles et à des hiérarchies informelles oppressives. En fait, nos espaces radicaux peuvent être pires que la société dominante car nous pouvons désapprouver les survivantes qui ressentent la nécessité d’impliquer l’État. Honte à ceux qui considèrent comme acceptable de calomnier quelqu’un pour faire appel à des services d’État qu’à l’heure actuelle nous ne pouvons offrir nous même. En prétendant que nous avons magiquement laissé les tares du monde derrière nous, nous nous condamnons simplement à répéter indéfiniment les mêmes erreurs. Il faut une reconnaissance des comportements problématiques qui nous ont été inculqués et faire l’effort d’écouter ceux qui ont été opprimés concernant le nécessaire pour résoudre les problèmes dans nos collectivités.

 

« En excluant quelqu’un vous limitez la liberté d’autrui. »

Laisser des agresseurs reconnus comme tels dans nos espaces est excluant pour les autres – en ne faisant pas de choix et en n’agissant pas lorsque des questions d’abus sont soulevées, nous faisons en réalité le choix de perpétuer notre société dominante et de protéger l’agresseur.

 

Ce n’est pas ça l’anarchisme”

Je soutiendrais que cela fait partie de la préfiguration de la libre association qui est l’un des concepts forts de l’anarchisme. Il s’agit de structurer l’abandon d’un modèle de société fondé sur une conception du droit imposé par l’État. C’est un moyen direct, non-hiérarchique et démocratique d’agir au sein de nos communautés. Si ce n’est pas ça l’anarchisme, alors qu’est-ce?

 

Pourquoi est ce que personne ne m’a parlé de ces problèmes avant ?”

Implicite dans cette question est l’idée que si on ne voit pas une chose de ses propres yeux ce peut être un mensonge. Les membres d’un groupe opprimé peuvent ne pas vouloir s’exprimer sur leur oppression avec tous. Ils et elles peuvent ne pas se sentir assez en sécurité pour le faire. En mettant en place ces structures nous ne sommes pas seulement en train de dire qu’on peut nous approcher de manière sûre, mais que nous sommes prêt-es à laisser les rênes de la lutte dans les mains de ceux qui sont affectés. Voir aussi la réponse à “nous n’avons pas eu de problèmes auparavant”.

 

Et si quelqu’un est accusé à tort ?”

Eh bien, tout d’abord, les fausses accusations de viol ou d’agressions sexuelles sont très rares. Mais envisageons l’idée une minute; un cas d’agression sexuelle est rapporté et nous avons deux options sur la table sur comment gérer cela, chacune avec un inconvénient. La première est un système où nous nous nous concentrons sur les réclamations de la survivante et mettons en place des structures qui protègent la communauté dans son ensemble. L’inconvénient de ceci est que nous pouvons gêner ou exclure un individu tandis que nous examinons les actions qui peuvent conduire à le réinsérer dans la communauté. La seconde approche signifie qu’à défaut de preuve définitive, nous laissons simplement les choses continuer comme d’habitude. L’inconvénient est qu’on laisse le champ libre dans nos espaces à une personne potentiellement prédatrice ou abusive, tandis que celles et ceux qui se sentent en danger doivent s’éloigner. Si après réflexion nous choisissons la deuxième option, très bien, nous sommes simplement des enflures.

 

« Nous ne sommes pas équipés pour cela. Certaines de ces choses sont tout simplement trop complexes pour que nous puissions les gérer ».

Je suis d’accord. Certains problèmes seront trop gros pour que nous les traitions efficacement. Dans d’autres cas, le survivant peut ne pas avoir confiance dans nos structures et faire appel à l’aide de l’État. En mettant l’accent sur les besoins de la victime, nous devrions également la soutenir si elle ressent le besoin d’impliquer la police. Après tout, ils sont toujours le plus gros gang du coin, et toute la bonne volonté et la solidarité du monde peuvent ne pas fournir ce dont un-e survivant-e à des violences a besoin. Soutenez et respectez le ou la survivante dans ce choix. Un jour, nous nous sentirons prêt-es à régler ces problèmes et d’autres se sentiront prêt-es à placer leur confiance en nous pour le faire. Commençons petit, et progressons.

 

« Qui sommes-nous pour établir la culpabilité? N’est-ce pas placer injustement le blâme sur l’accusé? « 

Dans la plupart des cas, nous ne statuons pas sur la culpabilité ou l’innocence – nous n’avons tout simplement pas les moyens ou les connaissances pour le faire. Ce que nous sommes en mesure de faire, c’est agir d’une manière qui assure que nos espaces sont rendus plus sûrs pour tous ceux qui souhaitent les fréquenter. Je vois cela comme la responsabilité qui découle de l’ouverture d’un espace pour que d’autres l’utilisent.

 

« N’est-ce pas simplement un ensemble de règles qui finiront par être brisées? »

Non. Le comportement attendu peut-être la partie la plus lue et distribuée de la politique, mais c’est loin d’être l’essentiel de celle-ci. Une politique organisée de sécurisation des espaces comprend également les procédés qui seront utilisés pour guider tout rapport d’abus.

 

(Pour la petite histoire, chacune de ces observations m’ont été faites le plus sérieusement du monde, souvent par des camarades par ailleurs sérieux)

 

Vers un avenir de justice transformatrice

La pratique des espaces sécurisants organisés n’est pas quelque chose qui a été développé dans une bulle théorique isolée. Elle a progressé grâce à l’action de milliers de groupes à la recherche de moyens pour expliquer les problèmes qu’ils avaient travaillé à résoudre dans leurs propres communautés, puis ayant partagé les meilleures pratiques développées avec d’autres. Dans ce travail, le texte “Taking Risks: Implementing Grassroots Community Accountability Strategies”écrit par un collectif de Femmes de Couleur des Communautés Contre le Viol et les Abus (CARA) a été fondateur. Les idées exposées dans ce travail peuvent être considérées comme la base d’ une grande partie de ce qui est mis en place aujourd’hui dans nos centres sociaux, salons du livre, groupes et forums internet. Des collectifs pour l’organisation d’espaces sécurisants ont vu le jour afin de donner des conseils et d’aider d’autres groupes sur ce sujet. Les organisations qui ne démontrent pas qu’elles prennent au sérieux les problèmes des groupes opprimés sont fort susceptibles de se retrouver boycottées, mises à l’écart ou tout simplement incapables de se développer au-delà d’un public principalement blanc, mâle, valide, hétérosexuel, et cisgenre; tandis que celles qui travaillent à la mise en place d’espaces pour offrir le soutien demandé relèveront le défi et prendront leur place.

Alors que l’objectif initial des processus de sécurisation des espaces est de fournir une responsabilité communautaire guidée par les survivant-es, nous savons que beaucoup de pistes que nous suivons devront être corrigées et affinées au fur et à mesure que nous avancerons. En apprenant de nos erreurs nous pouvons faire progresser notre théorie dans la réflection des réalités des oppressions ainsi que dans la compréhension de leur fonctionnement. La théorie s’améliorant, les structures que nous mettons en place à partir d’elle seront aussi plus à même de répondre aux oppressions de manière forte et efficace. Les espaces sécurisants organisés ne sont pas le pays magique du lait (de soja) et du sirop de fraise, parfaits à tout point de vue. Nous devons rester conscients que notre pensée peut receler des écueils et reconnaître toutes difficultés inattendues avant de pouvoir les surmonter.

Ce cycle fondé sur l’amélioration de la théorie à partir de la pratique et l’amélioration de la pratique à partir de la théorie nous emmène au delà de la simple protection de nos communautés et commence à avancer vers la mise en place pour l’avenir d’une forme de justice qui puisse un jour réintégrer les auteurs d’abus. Les processus et besoins de nos communautés et, plus important encore, des survivant-es peuvent ne pas être satisfaits en l’espace de toute une vie; mais cela ne veut pas dire que nous devons systématiquement exclure de manière définitive. Comme il a été mentionné précédemment, les auteurs des actes les plus horribles dans notre société ne sont généralement pas des bêtes sauvages ou des monstres. Ils sont humains, et en tant qu’anarchistes nous devrions nous orienter vers leur bien-être, simplement, jamais au détriment de quelqu’un d’autre.

 

 

Traduction : Groupe Regard Noir de la Fédération Anarchiste

http://www.regardnoir.org/introduction-aux-safer-spaces/

http://www.regardnoir.org