Petit rappel des origines de « notre » religion

Le monothéisme est par définition exclusif. Il ne tolère les autres pensées que sous la contrainte. Ainsi, le monothéisme, divisé en apparence, est avant tout unique même si sa genèse est multiple. Le monothéisme le plus important (car nous pourrions discuter de diverses formes religieuses iraniennes) est comme un arbre, des racines diverses, un tronc commun, des branches principales et de multiples branches secondaires. Nous connaissons une triple origine au monothéisme. Et l’histoire a son importance : un prémonothéisme diffus égyptien, perse, le monothéisme juif, et l’intolérance platonicienne qui va produire le mouvement néo-platonicien. Ces trois sources s’entremêlent, construisent un monothéisme prémédiéval et produisent par cascade les trois monothéismes actuels : christianisme, judaïsme talmudique et islam, eux-mêmes se subdivisant comme on le sait en de multiples sectes plus ou moins nombreuses. Les catholiques et les sunnites étaient les plus grosses branches en valeur absolue. Chacune de ses branches renfermant aujourd’hui des dizaines de variétés… Mais si on perçoit la multiplicité de ce monothéisme, on connaît moins le foisonnement de sa construction.
La construction du christianisme, le plus exclusif des trois, s’est effectuée sur deux siècles, et n’est que l’affirmation d’une des nombreuses sectes judéo-chrétiennes qui pullulaient dans l’empire romain, elles-mêmes filles et sœurs des nombreuses sectes juives.
Une partie de ces sectes, et surtout celles qui vont donner le christianisme dominant, se font connaître, car elles sont violentes et intolérantes.
Les Romains, quelle que soit leur classe sociale, sont essentiellement dans une religion du paraître. À part la superstition certes très forte, nous ne sommes pas certain d’une croyance très profonde au sens mystique du terme.
Le système est le suivant : plus de dieux il y a, du moment que l’empereur est respecté (à travers des sacrifices), mieux cela est pour l’empire. Même si, régulièrement, à cause de leurs intolérances, certaines religions orientales sont interdites ponctuellement.
Rappelons par ailleurs que le niveau d’alphabétisation est assez important, et pas seulement au sein de l’élite. Le scepticisme est assez poussé, du moins dans la classe dominante, au Ier et IIe siècle, mais également au sein du peuple.
Ce qui va changer, c’est la montée de l’intolérance au IIIe siècle avec la dispersion, et la diffusion des cultes orientaux dans l’empire : dont les judaïsmes, qui sont très divers, très nombreux, et dont certains, vont petit à petit devenir des christianismes. Les chrétiens vont être des juifs qui se banalisent et renoncent à la circoncision. Mais n’imaginez pas qu’il y a le judaïsme tel que vous le connaissez puis le christianisme. Il y un judaïsme prétalmudique, car le judaïsme que nous connaissons ne se construit qu’en réaction à l’installation du christianisme que nous connaissons. Entre-temps, disons de la fin du Ier siècle au milieu du IVe. Les judaïsmes attirent de nombreuses personnes, à tel point que Rome cherche à interdire à plusieurs reprises la circoncision, jugée comme une mutilation insupportable et surtout qui leur paraît totalement irrationnelle, proche de la maladie mentale. Il y a toutes les sectes possibles et imaginables judéo-chrétiennes, ceux qui sont non circoncis, ceux qui font de la sexualité de groupe en mangeant des fœtus pilés, ceux qui par horreur des femmes (Satan) et du sexe se le sectionnent comme Origène, ceux qui croient que le Messie va venir, ceux qui pensent qu’il est venu mais comme esprit, et enfin toutes les variantes qui apparaissent au IIIe siècle comme quoi le Messie serait venu, sous forme humaine. Se crée alors une véritable rupture, entre ce qui va devenir le judaïsme (Messie à venir) et ce qui va devenir le christianisme (Messie venu sous forme humaine).
L’approche humaine du Christ (Messie) consiste à adopter une religion qui puisse être acceptée par le peuple, qui ne soit pas trop intellectuelle. Car le christianisme c’est aussi le croisement de la pensée immanente de Platon avec le judaïsme dénationalisé. Le christianisme qui se développe surtout dans l’actuelle Turquie, Syrie, Tunisie et sud de l’Espagne est, on l’oublie trop souvent, une religion orientale (grecque et palestinienne).
La version philosophique, que l’on trouvera à l’extrême dans le néoplatonisme (Plotin, Jamblique, associé à la Gnose), convient à l’élite et non à la base. Le christianisme pour s’imposer dans les classes populaires a besoin de recouvrer les oripeaux du paganisme, légendes, mystères, superstition, saints. La nouvelle religion se contorsionne en adoptant tout ce qu’elle combat officiellement…
Finalement, c’est le politique, avec la personne de Constantin, qui en fait introduit la dictature chrétienne que l’on connaît avec l’édit de Tolérance de 312. Celui-ci, d’entrée, reconnaît l’ensemble des religions, mais met le christianisme légèrement en surplomb des autres…
De ce moment et jusqu’en 529 s’enchaînent les mesures mettant en place un système totalitaire.
Le premier concile de Nicée (325), sous la conduite de Constantin, détermine la construction d’un christianisme officiel, l’invention à posteriori du personnage de Jésus, sa vie (c’est comme si, vers 2300, on écrivait que le Père Noël était né en 1925 et était mort en 1975).

342 : interdiction de l’homosexualité. Réitérées en 392 sous Théodose…
Tout au long du IVe siècle il y a des lois interdisant la liberté religieuse, les sacrifices, avec finalement l’interdiction du paganisme en 392. On interdit aux femmes de manger avec les hommes. Le sexe avec d’autres que leur époux vaut condamnation à mort. Les dates se succèdent au Ve siècle pour renforcer la pratique et les manifestations païennes, et finalement la date de 529 marque la fin de la liberté de conscience où il est interdit de penser en dehors du catholicisme. Cette date c’est aussi la fermeture de la dernière école de philosophie à Athènes.

En moins de deux siècles, l’interdiction des cultes publics laisse place à toute pratique privée et finalement à toute pensée dissidente.
La pensée antichrétienne est souvent porteuse d’intolérance, contaminée par celle-ci. Ainsi, le héraut du paganisme, Julien dit l’apostat, voudra construire un contre-clergé sur le même modèle celui qu’il combat. Néoplatonicien, il est porteur d’une vision monothéiste également. Il est trop tard. L’intolérance a gagné comme forme de pensée ! Une des formes les plus déjudaïsées et épurées du christianisme, à l’instar du marcionisme, va se perdre au VIe siècle dans les sables de la Syrie… pour voir apparaître quelques décennies plus tard, comme par hasard, l’islam. Cet islam qui bien sûr se cristallise avec sa figure emblématique de Mahomet, qui en est et l’équivalent d’un hypothétique Jésus et l’égal de Constantin. Mahomet cumule les mystères, l’irrationnel (entendre des voix dans une grotte et par miracle faire écrire un analphabète) et l’homme politique.
La fulgurance du développement de l’islam ne tient pas seulement dans les méthodes de guerre des cavaliers arabes, mais aussi et surtout dans sa (très) relative tolérance à côté de celle du christianisme. Les convertis et abrutis de force notamment dans ce qui était l’Empire romain d’Orient se jettent dans les bras de ce qui permet (en toute relativité) de respirer, de penser.
Néanmoins en Orient, l’islam, lui aussi, continuera à persécuter les païens jusqu’au Xe siècle, tout comme les chrétiens au nord (Saxon, Estoniens…).

Ce qui est certain, c’est que la société sous l’empire romain païen était très violente. Il ne s’agit pas de le nier, mais le christianisme ne s’inscrit pas en positif par rapport à l’ancienne société. Il a inventé sa propre histoire depuis. Il impose un ordre moral, mais surtout ne change rien, voir aggrave les différents rapports de domination. Et surtout l’effacement (au sens littérale, palimpseste) et la destruction de tout ce qui n’allait pas dans le sens de la nouvelle religion nous privent de l’histoire et savamment les historiens chrétiens se sont construit le beau rôle. Notons que leur acharnement à détruire le paganisme, en miroir, nous permet d’avoir des traces de ce qu’ils ont détruit. À titre d’exemple, nous n’avons aucun ouvrage de Celse (défenseur de la culture gréco-romaine contre le christianisme au IIe siècle), mais nous avons le Contre Celse d’Origène, ouvrage qui reprend ce qu’il veut combattre.
Le christianisme a fait reculer le savoir, l’alphabétisation, éclater les cadres de la connaissance, rendu la terre plate et fait brûler tous les livres dits de magie lors des autodafés. En fait c’étaient des livres scientifiques que les gens mettaient eux-mêmes au feu (autodafé) pour montrer, de peur, qu’ils n’étaient plus dans l’erreur. Les clichés sur le christianisme protecteur des faibles sont à combattre, celui-ci n’a jamais fait disparaître l’esclavage, n’a pas protégé les femmes. Quant à son prétendu antiétatisme défendu par Jacques Ellul, dans « Anarchisme et christianisme », est une absurdité, puisque l’Église construit un cadre qui va devenir l’état. Le christianisme, ce sont de l’Égypte à la Bretagne (Angleterre) des bandes de moines imposant la nouvelle religion à coups de bâton et le résultat est, une montée de l’irrationnel si forte, un tel refus de la raison, que plus personne ne sait lire et écrire, en Occident au VIIe siècle et qu’en Orient (Byzance) à la même époque on nage en plein délire dogmatique. L’absurdité des musulmans sur le refus des représentations a eu son pendant au début du VIIIe et au IXe siècle à Byzance, avec les différents iconoclasmes.
Le christianisme mais aussi l’islam se veulent des religions nouvelles, intellectuelles, qui font table rase du passé, épuré, mais pour s’affirmer elles vont devenir le pouvoir politique et surtout elles vont devenir des religions du paraître et s’accaparer les innombrables lieux du paganisme. Une religion va remplacer toutes les autres. Chaque pierre sacrée, chaque source magique, chaque temple va être dans quelques cas emblématiques rasés, mais le plus souvent christianisé… (puis islamisé). Le peuple allait honorer un dieu gaulois sur une colline à Puyblein (mont Bélénos) ? Il ira se recueillir au même endroit sur quelques ossements d’un saint… Impossible de les détruire, les menaces de mort ne suffisent pas à détourner les gens des habitudes de leurs (anciennes) croyances, on repeint la façade au couleur du monothéisme. L’Occident et l’Orient se recouvrent entièrement d’une symbolique chrétienne (et/ou/puis musulmane) pour des siècles et des siècles… J’ai mis « anciennes » entre parenthèses, car dans de nombreux endroits on fait semblant d’être chrétiens, et ce pendant des siècles et des siècles (au début du XXe siècle, il restait encore cette duplicité salutaire de célébrer en secret les anciens dieux et d’avoir une apparence de chrétiens. À tel point qu’en cas de crise politique dans telle ou telle région celui-ci peut être amené à disparaître, et qu’il faille des campagnes militaires pour le réinstaller (plaine de la Bekaa au Liban, Bretagne française…). La chute de la pratique religieuse, une fois qu’elle n’est plus obligatoire au moment de la Révolution française, dans certaines régions, montre par contraste la contrainte religieuse.
Cet écrasement de la diversité culturelle et cultuelle des millénaires précédents est aujourd’hui défendu comme héritage « naturel » par l’église et nombre de politiques européens. Nous n’avons aucune envie de revoir les dieux païens célébrés, mais il est bon de casser le mensonge d’un christianisme persécuté et qui s’est construit tout seul, par adhésion des masses heureuses… Les persécutions sont largement une invention, sont exagérément grandies, et surtout il est nié qu’elles font suite aux violences de judéo-chrétiens, qui détruisent des temples, tuent des gens pour les convertir de force, et ce dès leur apparition au début du IIe siècle. Les chrétiens entre eux vont se massacrer énormément plus au cours du IVe siècle, qu’ils ne l’ont été au IIIe dans les prétendues persécutions.
Pour mettre en place le christianisme, il a fallu la loi, la coercition sociale, une minorité imposait dans des quartiers de villes leur religion, harcelait celles et ceux qui ne se convertissaient pas, la diffusion des idées, des livres, la lutte contre les livres différents, la violence, par bandes de fanatiques et enfin la prise du contrôle politique, par le haut et le bas (l’empire, mais les villes, les régions) et bien sûr si c’était nécessaire l’armée.

 

Un paysage à reprendre aujourd’hui…

On dénombre par exemple en France quelque 100 000 édifices religieux, nous devrions écrire édifices catholiques car les temples, mosquées et autres églises sont très très minoritaires… Pour beaucoup cela passe inaperçu et pourtant c’est le symbole à chaque fois d’un universel totalitaire. Catholique signifie universel ! Le problème n’est pas la forme, la couleur des édifices, des calvaires, mais ce qu’ils disent : notre monothéisme est la vérité ! Les autres sont dans l’erreur. Les Vandales de l’an II ont détruit ce qui est également des œuvres d’art, mais ils ont posé de manière forte la nécessaire déchristianisation du paysage commun. Il y a le message du monothéisme ne laissant pas de place à d’autres modes de pensée, mais il y a aussi la vision de cette sempiternelle souffrance d’un homme sur la croix. Il eût été plus original que les Romains pratiquent plus le pal, la roue, l’écartèlement, plutôt que les fauves ou la croix (le paysage eut été plus varié)… Le poisson, symbole des premiers chrétiens, aurait pu perdurer, les enfants d’une centaine de générations auraient été moins effrayés. Au regard de l’histoire de l’humanité l’absurdité monothéiste est source des pires maux. Quant à celles et ceux qui soulignent, qu’il y a eu des choses majeures et belles sous la domination chrétienne ou musulmane. Nous rétorquons que, comme un poisson dans l’eau, un mammifère dans l’oxygène, le christianisme (ou l’islam) médiéval et moderne était l’alpha et l’oméga de toutes choses et que tout ce qui s’y faisait ne pouvait s’y faire qu’en son nom. Bien ou mal. Le problème de la déchristianisation du paysage est à poser par nous libertaires. En effet, c’est toute l’infrastructure du christianisme qui reste présente, prête à le supporter de nouveau. Pourtant les citoyens sont les propriétaires des églises, et nous pourrions décider collectivement d’une décoration plus gaie et de diverses utilisations… Quant aux calvaires, ils sont problématiques. Notre farouche attachement à la liberté d’expression nous fait dire qu’il ne faut pas combattre les calvaires en les supprimant, mais en se donnant le droit de conquérir une contre-expression dans l’espace public. Les Femen se sont fait mal voir, car dénudées dans des lieux dits de cultes, mais la France est recouverte de morceaux de bois de plusieurs mètres de haut, avec un homme habillé d’une simple petite serviette autour de la taille et qui semble souffrir de froid !
Les monothéistes ont un problème récurrent avec le sexe, et surtout le corps des femmes. Soyons imaginatifs et développons de la symbolique qui nous soit propre, sur le mode « ils y ont droit, nous aussi » !

 

 

Ils reviennent, et accompagnés !

La religiosité s’affirme de nouveau et la déferlante de haine des anti-mariage pour tous a montré, s’il en était encore besoin, qu’il reste un socle catholique très organisé, très réactionnaire et qui sait s’acoquiner avec des païens nazillons, des juifs orthodoxes et des musulmans conservateurs… Et leur problème est bien celui, intrinsèque à la pensée religieuse monothéiste, non pas de défendre leur propre droit de s’agenouiller mais de lutter contre les droits des autres. Et tous ces islamo-catholiques osent brandir la protection des enfants comme prétexte de leur croisade ! Eux qui endoctrinent leurs enfants, les emmènent dans leurs temples de la haine et de l’irraison ! Paraphrasons Bakounine : les enfants n’appartiennent ni à leurs parents ni à l’État, mais à leur propre futur ! Il n’est pas possible de nos jours d’accepter que des enfants soient encore baptisés, circoncis, endoctrinés.
Si nous avons écrit « islamo-catholiques », ce n’est pas un hasard ! Si « catholique » signifie « universel », « islam » veut dire « soumission » : il s’agit bien avec ces gens-là d’un projet de soumission universelle !
Si une droite et l’extrême droite se focalisent sur l’islam avec excès, comme si les musulmans étaient les seuls tenants du danger religieux, a contrario, une gauche et l’extrême gauche n’osent pas critiquer l’islam en tant que tel… Il y aurait des bons musulmans à protéger contre les méchants terroristes.
La percée des différentes facettes de l’islam politique fait que les extrémistes cachent des encore plus extrémistes qui, en définitive, font passer des salafistes non violents (la plupart des salafistes sont non violents) pour des gens à aider et des musulmans conservateurs pour des alliés des anarchistes ! Bien évidemment, et heureusement, la majorité des croyants, quelle qu’elle soit, n’a pas une approche intolérante de la foi, mais, comme toutes les majorités, elle est travaillée par ses propres minorités agissantes qui l’influencent, par des activistes qui font progresser telle ou telle valeur. Mais le recul réactionnaire actuel fait que les majorités religieuses, y compris en France, vont mettre en avant le refus de l’insulte à leur religion, ce qu’elles n’auraient pas fait il y a vingt ans. Or cette notion d’insulte est comme un thermomètre, et les extrémistes font baisser le seuil d’intolérance à la critique. Est-il encore permis de critiquer la religion elle-même, de la moquer, sans avoir peur de passer pour un raciste ? Comme si musulman, c’était une race ou une ethnie ! Est-il possible de dire que l’islam comme le judaïsme et le christianisme sont des idéologies à combattre, que ces monceaux de déraison nous font peur ? Que nous sommes et resterons religiophobes !
Sous couvert du mot « tolérance », il nous faudrait accepter de voir l’espace public de nouveau soumis au fait religieux, sans le critiquer. Nous ne demandons surtout pas à l’État l’interdiction de quoi que ce soit, mais nous réaffirmons notre droit à critiquer la pensée religieuse ! Donc si, bien sûr, dans l’espace collectif, nous défendons le droit de chacun à s’habiller et à se déshabiller comme il le souhaite, nous devons aussi affirmer notre droit à se moquer et à critiquer la symbolique qu’expriment les crucifix autour du cou, les voiles, les perruques, les barbes, les chapeaux et autres kippas. Car, après tout, nous sommes choqués que des gens expriment des opinions racistes ou homophobes à travers des tracts. La symbolique vestimentaire relève de la même chose. Peut-on encore dire à voix haute qu’un crucifix signifie que la personne pense que les homosexuels doivent brûler en enfer, qu’une femme a enfanté tout en restant vierge ? Qu’un voile ou une perruque signifie que la femme est inférieure, impure ?
Cette symbolique vestimentaire s’appuie sur des écrits, des preuves, nommés Coran, Bible, livres remplis d’horreurs. Si c’était nous qui écrivions le dixième de ce qui est contenu dans ces livres, sans s’appuyer sur la religion comme excuse, nous serions interdits de publication en France ! Antisémitisme, appel à la haine, au meurtre, homophobie, haine des femmes, incitation à la surprocréation, pédophilie… tout y est ! On change la couverture de la Bible ou du Coran, on met Oui-Oui va à la plage : roman pour enfants, et on est condamné au tribunal en raison du contenu.
L’atout des anarchistes, qui attaquent de front les trois religions monothéistes, est important : nous désarmons ainsi les critiques victimaires des uns et des autres. Il y a une quinzaine d’années, nous collions régulièrement des affiches contre les religions… Aujourd’hui, nous n’osons plus le faire, ou beaucoup moins. Et, de ce fait, les islamistes, les catholiques intégristes sont les fers de lance d’un renouveau du délit de blasphème. Et si la loi ne reconnaît pas encore le blasphème, ces fanatiques font chauffer les tribunaux sans cesse jusqu’à ce que chacun, en mettant en avant l’attaque spécifique contre sa religion, l’associe avec une discrimination. De facto, c’est l’ensemble des religions qu’ils protègent par ces luttes judiciaires. Eux sont solidaires face aux tribunaux, mariage pour tous, caricatures de Mahomet…
L’excuse des anarchistes contre la frilosité de certains d’entre nous à s’en prendre à la religion est qu’il y a des fronts qui seraient plus importants. Que la lutte des classes peut bien s’accommoder de compromis ! Si nous sommes une organisation spécifique, c’est justement pour lutter sur plusieurs fronts ! Il n’y a aucune contradiction à lutter contre l’islam et à ne pas laisser ce champ à une droite anti-islam car pro-chrétienne, et en même temps défendre des gens discriminés dans leur emploi parce que supposés musulmans ! Aucune contradiction à se battre nous-mêmes contre l’intrusion de la religion dans l’espace public, mais refuser de quémander à l’État de réguler cet espace public. Se battre pour la liberté d’expression, écrite, vestimentaire, cela implique de défendre notre droit de railler ces attitudes obscurantistes et médiévales : de critiquer ces expressions, sans retenues !
Il n’y a pas une religion des pauvres qui serait l’islam et une religion des riches qui serait le christianisme. La culpabilité d’une certaine gauche relativiste fondée sur le fait que l’islam serait la religion des immigrés est incompréhensible. Nombre de ces immigrés qui ont fui la hache des islamistes radicaux, notamment en Algérie, regardent ahuris les contorsions d’une certaine extrême gauche ! Les nouveaux adeptes, dits « convertis », n’ont rien d’immigrés, et les princes du Qatar ou d’ailleurs n’ont rien de pauvres ! D’un autre côté, les évangélistes chrétiens font des ravages dans les milieux populaires et nous pouvons penser aussi aux gens du voyage très touchés par ces nouvelles sectes. Les évangélistes ouvrent en France une église tous les dix jours.
Pour terminer sur ce point, s’il est une chose que nous devons marteler, c’est le refus de l’enfermement de la figure de l’Arabe dans l’islam ! Tout le monde joue ce jeu trouble, à commencer par les islamistes, mais également les médias, les éducateurs, les enseignants, les chefs d’entreprise, les collègues, les camarades de classe : tout Arabe en France est présupposé musulman ! La vraie discrimination est là ! Tu te nommes Rachida ou Rachid, on te demande si tu veux du jus d’orange plutôt que du vin, si tu manges du porc ou pas. À Jean-Claude ou à Marcelline, on ne demande pas cela. Nom à consonance arabe signifie « enfermement dans l’islamité », même si, athée et communiste, tu as failli te faire égorger au nom de ce même islam à Alger. Nos milieux ne sont pas exempts de cette attitude bienveillante (mais discriminatoire). Bienveillance qui est une forme de maltraitance.

La laïcité, isolée en Europe, est à défendre

 

La laïcité est quelque chose de propre à la France, même si nous en trouvons des variantes ailleurs. Cette laïcité est à défendre, et même à développer pour qu’elle ne soit pas une catho-laïcité qui laisse beau jeu aux musulmans et autres pour réclamer un équilibre des choses. Si les croyants sont aussi nombreux qu’ils le disent, qu’ils se cotisent pour construire leurs lieux d’abrutissement. À la limite pouvons-nous plaider qu’au regard des nombreuses églises vides nous pouvons en réquisitionner la grande majorité pour nous et ensuite répartir le reste à égalité entre les différentes clowneries monothéistes ! Les religieux ont toujours su convertir une église en mosquée et inversement !
Et l’entreprise, est-ce un lieu où devrait s’appliquer la laïcité ? Il nous est difficile de concevoir que la loi, l’État, mette des normes sur le lieu même de la lutte des classes qui divise les travailleurs. Nous, travailleurs et syndiqués, avons le droit de dire qu’en plus de l’exploitation salariale nous n’avons pas à subir l’affirmation de l’irrationnel au quotidien et qu’alors, si certains revendiquent des moments pour se mettre à genoux devant un dieu quelconque, eh bien revendiquons de monter sur les tables et de danser pour prier la disparition du capitalisme ou autre loufoquerie ! L’expression de l’absurdité religieuse, même avec douceur, est un droit qui doit accepter notre droit à l’expression de la dénonciation de la faiblesse intellectuelle… tant qu’on en a le droit !
Par contre, là où nous serons plus fermes, c’est dès qu’il s’agit d’enfants. N’en déplaise à la CGT qui, par exemple, sur l’affaire Baby-Lou, ose hurler à, je cite, « l’effacement des identités culturelles » et dénoncer « l’extension de la laïcité à l’entreprise ». Toute la manipulation est là : mettre le prosélytisme religieux (port du voile ou celui de crucifix géant) sur le plan d’une expression culturelle et non religieuse ! Eh oui, pour nous, il n’est pas choquant de vouloir interdire l’expression religieuse vestimentaire dans l’entreprise dès que des enfants vont être en contact avec des salariés. Notre rôle, militants anarchistes, c’est que les débilités chrétiennes soient traitées à égalité avec les âneries musulmanes et refuser l’instrumentalisation de l’islam pour faire du racisme anti-Arabe.
Mais allons plus loin. Lorsque nous faisons des formations pour les assistantes maternelles, et abordons ce sujet, en général le groupe pense que les parents doivent accepter des nounous musulmanes ou chrétiennes affirmées (qui portent le voile ou ont des icônes orthodoxes dans la maison). Si nous demandons : « Et si la nounou est témoin de Jéhovah ? », le groupe, en général, s’exprime en chœur pour hurler : « Ah non, c’est une secte ! il faut protéger l’enfant. »
Pour nous, anarchistes, la laïcité peut être utile, mais elle n’est jamais qu’un instrument pour aller plus loin et faire reculer le fait religieux dans la sphère privée des adultes.
Cet instrument est aussi celui sur lequel s’appuient les religions minoritaires pour se développer, car, à la différence d’autres pays, tous les cultes sont censés être à égalité en France.

  • En Russie, les catholiques ou les musulmans ne sont pas appuyés par l’État à la différence de l’orthodoxie.
  •  En Algérie, il est devenu quasiment impossible de se convertir au christianisme.

 

  • En Palestine-Cisjordanie, l’expression athéiste vaut prison et mauvais traitements (exemple : Waleed al-Huseini, réfugié en France)…
  • Je ne vais pas lister le nombre de pays de l’Union européenne où la prière et l’instruction religieuse sont obligatoires à l’école, mais juste citer la Grèce ou, d’une manière plus alambiquée, la Finlande.

 

  • Avec le recul de la laïcité en Turquie (laïcité autoritaire et qui était une islamo-laïcité comme en France on a une catho-laïcité), la France se trouve sur la défensive avec son modèle face aux conceptions sécularistes anglo-saxonnes, face au recul du panarabisme laïc (et autoritaire) contre une islamisation plus ou moins de façade de toutes les composantes des sociétés arabes. Et au sein d’une Union européenne philo-religieuse, sécularisée en grande partie, mais où très souvent les religions et leurs ministres sont financés par l’argent des citoyens.

Cependant, il nous faut être sur un mode offensif. Pourquoi nous, anarchistes, libres-penseurs, n’avons-nous pas la force d’obtenir sur le service public de la télévision une émission sur l’athéisme ? Pourquoi n’avons-nous pas des libres-penseurs qui puissent intervenir dans les prisons, plutôt que de laisser les personnes enfermées subir, en plus de l’enfer de l’enfermement, celui des déblatérations des aumôniers et autres imams ! Pourquoi laissons-nous quasiment les seuls réseaux religieux visiter les malades dans les hôpitaux, les vieillards en fin de vie dans les Ehpad ? La République française ne subventionne ni ne reconnaît aucun culte, mais dans de nombreux lieux, c’est faux : les religieux font office de conseillers… et les athées ou pourquoi pas d’autres options philosophique ne sont pas présents !

Mais rappelons que la laïcité n’est qu’une étape, et que nous, anarchistes, nous combattons le fait religieux, y compris lorsqu’il est déiste, consumériste ou autre. Mais laisser tranquille une sphère sacrée, accepter qu’il y ait des choses qui ne se questionnent pas, qu’il y ait autre chose que la matière et l’énergie, c’est laisser le pouvoir s’incruster et se développer. Cependant, nous savons bien, par goût de la liberté, qu’il nous est contraire, à part pour les enfants, de quémander à l’État d’interdire quoi que ce soit par la loi. Non seulement les modèles staliniens qui réprimaient par la loi les religions sont aux antipodes de nos valeurs et principes, mais en plus ils ont montré leur contre-performance. La chute du mur s’est faite au nom de la liberté portée par les pires réactionnaires. Au même moment où Jean-Paul II défendait la liberté en Pologne, il faisait assassiner les tenants de la théologie de la libération en Amérique du Sud !

 

Quelles concessions avec les croyants dans la lutte des classes ?

Tous les anarchistes n’ont pas la même approche. Il est certain que pour nous l’organisation spécifique est aussi un lieu de propagande athéiste et, redisons-le, antithéiste. Par contre, dans le cadre de luttes qui dépassent le cadre de l’organisation spécifique, la question peut se poser différemment. Les anarcho-syndicalistes, dont je suis, ne peuvent pas, par définition, organiser que des anarchistes. Mais dire cela ne répond pas entièrement à la question. Quel peut être notre degré d’acceptation du religieux au sein des mouvements sociaux, environnementaux, auxquels nous prenons part ? Il semble évident à nous tous que l’expression d’idées développées (racisme, xénophobie, étatisme) par le Front national est une limite que nous ne pouvons accepter. Il va en être de même avec des pratiques et idées staliniennes (même s’il en reste peu), autoritarisme, obéissance au parti.
Mais, au quotidien, dans ces mouvements, nous acceptons de travailler avec des gens qui se posent des questions sur, par exemple, la notion de frontière, qui défendent un État, d’autres qui vont prioriser la lutte environnementale avant toute autre lutte… Bref, nous faisons des compromis. La question du religieux n’est pas la plus simple à aborder sur cette notion de compromis. Que des croyants, semi-croyants, agnostiques, athées bipolaires soient présents dans les luttes sans que nous nous sentions obligés d’en partir, c’est évident ! Il s’agit de bon sens et aussi de relations humaines, je ne sais pas si nous aimerions vivre dans un monde rempli d’anarchistes !

Le problème n’est pas dans la liberté de penser, heureusement, mais dans l’expression d’idées problématiques pour ce qui nous semble émancipateur. Il apparaît à première vue que l’extension des règles de la laïcité au sein des mouvements pourrait être une solution. Mais nous connaissons les conséquences de la charte d’Amiens, où certains anarchistes, en voulant interdire la propagande des sectes philosophiques, se sont en fait interdits eux-mêmes toute propagande au sein de la CGT !

Nous devons nous battre pour que l’expression d’idées anti-émancipatrices – comme l’affichage de convictions religieuses monothéistes – ne soit pas possible au sein de ces mouvements. De même, si nous acceptons des étatistes, ils doivent se conformer à la démocratie directe de ces mouvements ! Nous refusons systématiquement l’établissement de règles autoritaires dans le fonctionnement, ou bien nous quittons ces mouvements. Avec l’expression religieuse, nous devons agir de la même façon.

Qu’une personne dise au détour d’une conversation qu’elle est chrétienne, c’est son droit, qu’on doive adapter notre calendrier de réunions aux horaires de la messe, c’est impensable. La présence de crucifix avec toute la symbolique que cela représente est également impensable. Après avoir dit cela, il y a la manière d’établir des règles, de le dire, et la très grande majorité des croyants que nous pouvons rencontrer sont des partisans de la laïcité, et, pour eux, la religion est une affaire privée.