Donc, le 4 juin à Paris, manif antifa, le récit d’à peu près toute la manif a été fait. À la fin, une nasse, des gens qui se barrent un par un en se faisant photographier les papiers. Et les indécrottables qui restent.

De plusieurs centaines, nous nous retrouvâmes environ 80, enserré-e-s par des pandores tout à fait désagréables, qui viennent nous chercher par 2 ou 3. Ça résiste pour la forme, mais c’est juste pour faire durer le plaisir. Il est 20h, on est nassé-e-s depuis 4 plombes. Il fait chaud, ça fait bien longtemps qu’on a plus d’eau, et que les vessies se manifestent.

On arrive devant le bus, dans une post-nasse, où on vient nous prélever une à une. Palpation, fouille du sac, assez sommaire cela dit. Alors que les gens sorti-e-s dans l’après-midi voyaient les keufs confisquer tout le matos de défense de manif, et tous les vêtements noirs, on a vu rentrer dans le bus des manifestants en k-way avec plusieurs autres k-way accrochés à la ceinture, et des lunettes de plongée remis dans les sacs.

«Papiers d’identité ?»

Le deal est simple, si t’en as on te relâche direct, si tu dis que t’en as pas tu montes dans le bus. On monte dans le bus. Une cinquantaine. Pas mal de visages complices. Dans le bus, on se marre, ça gueule des slogans, on colle des stickers partout, on partage nos problèmes de vessies et on envisage de les régler dans le fond du bus, on lâche des blagues, on tape sur les carreaux. Et on démarre. La plupart des gens ont compris notre direction, rue de l’Évangile dans le 18è (le comico des contrôles massifs d’identité).

«Ça vous dit on se parle un peu collectivement ?»

«Genre on essaye de voir si on peut pas se mettre d’accord sur quelques trucs ensemble ?». Okay. On partage les expériences similaires de contrôle, comment on peut faire pour compliquer le taf des flics, est-ce qu’on donne tous des noms à l’oral, est-ce qu’on donne toutes le même nom, est-ce qu’on refuse collectivement de donner une identité. Tout se passe en mode traduction simultanée avec les potes qui parlent pas français. Et puis on s’explique l’histoire des 4 heures maximum entre l’arrestation et la fin du contrôle d’identité. Dans une nasse, l’heure de début de ce décompte est, d’après leurs lois, celle de la mise en place de la nasse. Pour nous ça faisait dans les 16h15. À 21h, ça commençait à faire bien dépassé. Du coup ce qu’on se dit, c’est qu’on va refuser de sortir du bus tant qu’on n’a pas vu le PV d’interpellation qui prouverait que les flics ont dépassé le délai. En fait on a plein d’autres idées, mais on se dit qu’on commence par ça pour les faire chier.

Les gens qui se sentent le plus d’exposer nos «revendications» à ces ordures se placent devant la porte, on arrive, les flics montent. Ils ouvrent la porte, on explique, ils referment. Un guignol à moustache se pointe, l’OPJ d’après lui. Ah mais je ne comprend pas, moi on m’a dit que vous aviez été arrêté-e-s à 18h, je vais voir avec ma hiérarchie. Stupéfaction dans les rangs du bus. Et merde, un flic de gauche, ça va être encore plus chiant, se disent certaines. D’autres lancent des slogans rappelant la proximité de l’odeur de l’OPJ avec celle de l’urine. Enfin bref, on rigole bien quand même.

Les vigies juchées sur les sièges nous annoncent la venue d’un groupe d’anti-émeutes matossé. Ça sent pas très bon. Ils montent à 6 ou 7 dans le bus. Rebelote, revendications. Vos collègues nous ont arrêté-e-s à 16h, il est 21h30, on veut sortir sans contrôle. Ah mais je vous arrête tout de suite, moi je suis gendarme, militaire, les gens qui vous ont arrêté-e-s c’est la police nationale, ça n’a rien à voir ! Sur quoi le chtar se tire, furibard. Au tour des vigies pour le son sans l’image. Il est en train de s’engueuler avec des autres flics ! L’autre a l’air encore plus vénère ! Le bus répondit donc d’une seule voix, «Les gendarmes dé-testent la police ! Les gendarmes dé-testent la police !» comme pour accentuer la crispation. On fait feu de tout bois.

Et puis c’est au tour de l’OPJ au fumet d’urée de refaire son apparition. Je vous explique, on va vous ressortir devant le commissariat et on va vous libérer dans la rue. La stupéfaction se mêle à l’hilarité lorsqu’on sent le bus entamer sa marche arrière. Un petit tout-le-monde-déteste-la-police recouvert des éclats de rire des un-e-s et des autres fait bouder le chauffeur qui nous arrête un quart d’heure pour nous apprendre. Puis on sort, après qu’on nous a quand même proposé de sortir 5 par 5 pour notre sécurité, ce qui nous a franchement fait éclater de rire, et qui a été abandonné par les flics dépités qui nous ont regardé partir.

On ne peut pas conclure grand chose de grandiloquent de cette anecdote, mis à part que des fois ça marche. Qu’on peut toujours tenter des trucs, et que parfois on s’en sort plutôt bien. Peut-être qu’on peut se tirer d’une nasse quand on est prêt-e à se faire photographier ses papiers, mais que parfois on s’en tire pas si mal non plus quand on tient jusqu’à la fin. Et qu’en plus ça fait des jolis moments de complicité. Et que dans le doute de ce qui va arriver, autant choisir de bloquer tout ce qui peut l’être. Et là on était 50 et quelques dans un bus et demi, mais que si on est trois ou quatre fois plus, c’est encore plus évident que faire chier jusqu’au bout peut vraiment leur compliquer la tâche.
Surtout que si ça a marché cette fois-ci, ça peut remarcher.

Pour finir, dédicace à la très jeune habitante de l’immeuble à l’angle du quai de Valmy à qui un bloc de centaines de personnes masquées a chanté Joyeux Anniversaire en agitant les bras, 30 secondes après avoir chassé les bacqueux qui nous guettaient dans une rue adjacente.
Contre-dédicace aux pacificateurs à brassard fluo qui se postent devant les voitures de la mairie de Paris, parce que tu comprends, moi j’ai connu Clément, et toi tu l’as pas connu, et du coup tu fais trop chier de casser des trucs parce que nous on est là pour Clément tu comprends, et ça sert à rien de casser les bagnoles là ici maintenant tu vois quoi.
À nos amibes qui «n’osent pas dire qu’il y a un lien strict de cause à effet entre casse et nasse», qui «notent seulement la rime», et qui «félicitent les flics d’avoir été si procéduriés (sic)» : non, rien. Vraiment.
Big up au voisin qui nous a gueulé «Nique la police, je veux un tag sous ma fenêtre avec écrit Nique la police». Vas-y, descend, plutôt !
Kass-déd au plus gros barbeuk de kway Quechua du mois de juin (jusque là). Y avait moyen de les sortir de la nasse, la prochaine fois ça se tente !
La voisine du troisième est trop forte en lancer de Prince dans la nasse (les biscuits, pas celui qui est mort), et celle du quatrième qui nous a balancé de l’eau est une merde. On va venir te mettre un chewing-gum dans ta serrure.

Et merci aux animatrices de nasse qui ont permis de maintenir une chouette atmosphère musicale tout au long de nos péripéties.

 

Boom boom boom boom,
Ton bus j’le prends, j’le r’tourne,
De New York à Melbourne,
Ton bus j’le prends, j’le r’tourne !