Dès le matin, alors qu’un gros cortège syndical défile dans des rues désertes à Saint-Nazaire, des centaines de policiers assiègent l’hypercentre de Nantes. La place Bouffay, d’où partent depuis deux mois la plupart des manifestations, est bouclée par des dizaines de gendarmes et des militaires en mission vigipirate, fusils à la main. Le cours des 50 otages est barré par un cordon de CRS muni d’un canon à eau. La plupart des passants sont fouillés. Ville en état de siège.

À l’heure prévue pour le rassemblement, seul un attroupement de journalistes, casques en bandoulière, dénote avec la très forte présence policière. La stratégie du préfet semble avoir fonctionné : aucun manifestant à l’horizon. Mais peu après 15h, une clameur retentit. Un cortège syndical de quelques dizaines de militants Solidaires et CGT revient tout juste de la manifestation de Saint-Nazaire en chantant des slogans. Sans même marquer un arrêt, la manif se dirige vers le château. Immédiatement, des centaines de manifestants affluent des rues alentours et emboîtent le pas derrière la banderole syndicale. Le tout sous le tonnerre de l’hélicoptère. Incroyable. Aucune interdiction ne fera taire les nantais-e-s.

En bas du cours St Pierre, une rangée de casqués attend les manifestants de pied ferme. Le cortège, toujours emmené par des syndicalistes ne se dégonfle pas et avance avec détermination. « État d’urgence, État policier ! ». Les flics hésitent devant l’hétérogénéité de la foule qui leur fait face. Finalement l’ordre est donné : «Les cougars en batterie, envoyez la purée !» hurle un flic. Des dizaines de grenades lacrymogènes pleuvent sur la tête de cortège. La manifestation se recompose rapidement, et ce sont plusieurs milliers de manifestants qui repartent en direction du centre-ville. Une banderole contre les violences policières est déployée et prend la tête en direction de l’île Gloriette. Comme de coutume, un dispositif policier impressionnant barre l’accès aux rues commerçantes. La manifestation fait demi-tour pour ne pas être refoulée hors du centre-ville, et se heurte à une ligne de gendarmes qui avance derrière Feydeau. Immédiatement, un déluge de lacrymogènes particulièrement puissantes contraint les manifestants à reculer. Certains tentent de répliquer mais sont canardés par des balles en caoutchouc, tandis que des drapeaux CGT s’agitent en première ligne. Devant l’évidente asymétrie des forces, tout le monde finit par reculer.

Le dispositif policier avance au pas de course et sature l’air de gaz toxique. Guérilla chimique. Après avoir essuyé un échec cuisant – une manifestation défile malgré l’interdiction – le préfet a décidé de ne laisser qu’un minuscule couloir d’espace praticable par les manifestants, de Bouffay à Médiathèque. Des dizaines de grenades sont tirées en moins d’un quart d’heure. Le cortège est refoulé. Quelques manifestants s’engouffrent dans une ruelle pour y chercher de l’air frais. Contre toute attente, et alors qu’elle permet un accès aisé aux quartiers riches, celle-ci n’est pas protégée. Une grande partie de la foule emboîte le pas. Ce sont alors plusieurs milliers de personnes qui défilent dans des rues impraticables depuis deux mois un jour de manifestation interdite. Nouvel échec pour le préfet. Alors que les quartiers riches – autour de la Place Graslin – sont transformés en forteresse inaccessible depuis des semaines, les manifestants déjouent une présence policière sans précédent, et défilent dans des rues inatteignables.

Avec une vigueur renouvelée, les slogans fusent, les banques sont attaquées ainsi qu’une agence boursière. Un conducteur de jaguar met la pression pour passer à travers la foule, il est copieusement pris à partie.

Plus de banderoles, plus de mégaphones. Ne subsistent que quelques drapeaux syndicaux éparses. La BAC, manifestement dans son élément dans ces rues méconnues des cortèges nantais, harcèle la foule en lançant plusieurs charges très violentes accompagnées de grenades de désencerclement. À plusieurs reprises, la manifestation est éclatées en petits groupes qui finissent systématiquement par se retrouver pour repartir de plus belle. Intelligence collective. Alors que la foule tente de rejoindre le quai de la fosse, une rangée de casqués fait irruption et coupe définitivement le cortège à coup de grenades de désencerclement. Sur les quais, un groupe repart vers Chantiers Navals, tandis qu’une véritable traque débute dans les rues qui les surplombent.

L’objectif est à présent clair : faire le maximum d’arrestations, pour se venger. Les petits groupes qui tentent de se disperser sont systématiquement interpellés, alors que plusieurs nasses sont mises en places. Rue Lamoricière, une vingtaine de manifestants sont arrêtés par la BAC et embarqués dans une fourgonette à l’effigie d’un artisan du bâtiment. Des dizaines de manifestants sont embarqués. Une véritable rafle. Le scénario se répète à plusieurs endroits. Des dizaines de jeunes sont arrêtés au hasard.

Dans la soirée, le mot tourne : la police aurait effectué environ 80 arrestations. Rapidement, des gens affluent devant le commissariat Waldeck-Rousseau pour exiger la libération des manifestants interpellés. En solidarité, Nuit Debout délocalise son assemblée quotidienne devant le comico. Une centaine de personne est réunie dans une ambiance bon enfant. Quelques arrêtés sortent au compte-goutte sous les applaudissements. Face au rassemblement, des dizaines de gendarmes mobiles en tenue anti-émeute protègent l’entre du commissariat. Une compagnie de CRS au complet se tient aux abords de la préfecture, prête à intervenir.

Vers 22h, la foule est repoussée progressivement sur le pont de la Motte-Rouge. Les personnes solidaires, accompagnées des interpellés déjà sortis, font bloc et s’accrochent. Les CRS en faction rappliquent, il y a désormais bien plus de policiers que de manifestants. Une charge est lancée sur le pont – ce qui est interdit et extrêmement dangereux. Refoulés de l’autre côté de l’Erdre, les manifestants continuent à invectiver copieusement les dizaines de casqués qui leur font face. Les gendarmes en première ligne enfilent leur masque à gaz et tirent quelques grenades. Dans la foulée, ils lancent une charge et piétinent violemment un membre de la médic team. Les manifestants refluent lentement.

On apprend qu’une compagnie de CRS contourne par le quai Barbusse pour prendre position sur le pont de St Mihiel. Afin d’éviter l’encerclement, les quelques dizaines de personnes partent en cortège sauvage par une rue adjacente et finissent par se disperser place Bouffay, dans un centre-ville désormais libre de ses cohortes de policiers.

Bernard Cazeneuve et le préfet voulaient une ville morte le 19 mai. Morte parce que paralysée par les dizaines de camions policiers sur tous les axes du centre ville. Morte parce qu’aucune contestation ne devait se faire entendre.

Ce sont pourtant des milliers de personnes, syndicalistes, étudiants, lycéens, déter’ qui ont réussi à prendre la rue, à défiler, à déjouer les pièges, et à lutter jusqu’à la nuit. L’ultime provocation de la journée reste la rafle massive exigée par le préfet. Plus de 80 arrestations, du jamais vu dans l’histoire des mouvements sociaux à Nantes. Le commissariat n’a même pas la place d’enfermer autant de monde. Le gouvernement veut faire de Nantes un exemple en terme de répression, soyons une capitale de la résistance.

Blocages, manifestations, actions, occupations : tout commence !