Juge : LAURENT
Assesseures :
GEGLO et VINCENT
Procureur : Thierry ROLLAND
Avocate des flics : Annie HUPÉ

——

L’ambiance dans la salle des compas est tendue. Le juge montre un mépris sans bornes à l’égard des prévenu.e.s : il les humilie, les ridiculise, les sermonne, leur pose des questions mais, à plusieurs reprises, il ne les regarde pas quand ils répondent. Il tient des propos à la limite du racisme, met en cause les garanties de représentation. Il va, exemple, passer quelques minutes à questionner une personne sur ses bulletins de salaires, sous-entendant qu’il pourrait s’agir de faux. Il ne lit pas les casiers judiciaires mais questionne les prévenu.e.s, comme pour les piéger :
« Avez-vous déjà été condamné ?
– oui, une fois
– ah, c’est marrant le document que j’ai mentionne 5 condamnations !
 »

Le procureur n’est pas en reste : il est agressif, emploie des termes comme « nocivité sociale », crie sur les prévenu.e.s. À un moment, il demande qu’une personne soit enfermée parce que « surtout, elle est en situation irrégulière ». Lors de son premier réquisitoire concernant des accusations liées aux manifs, il dit qu’il fait partie de l’équipe qui a fait la grille/le barème des poursuites pour ces affaires. À plusieurs reprises, il outrepasse ses fonctions tant dans ses propos quand dans son attitude.

——

J. est accusé de :
– Dégradation ou détérioration du bien d’autrui
– Participation avec arme à un attroupement par une personne dissimulant volontairement son visage afin de ne pas être identifiée


J. accepte la comparution immédiate.
Il lui est reproché d’avoir participé aux dégradations sur la Mutuelle Générale à Bouffay. Cette dernière n’est pas partie civile et, d’après un des PV, les employé.e.s présent.e.s au moment où ça s’est passé n’ont pas vu qui avait dégradé. Les accusations tiennent seulement sur les images de l’hélico, qui envoie un signalement à la BAC : « un individu Antillais » (J. vient de Nouvelle-Calédonie…). Ce qui est consternant ici, c’est que la plupart du temps le/la juge s’attache à donner suffisamment d’éléments de descriptions pour prouver que les flics ont bien arrêté la personne qu’ils cherchaient. Là non :  pour J.,  le fait d’être noir suffit et le juge ne prend pas la peine de faire le détail de ses vêtements, accessoires et autre…

J. reconnaît les faits. Il essaie péniblement de s’expliquer, mais l’attitude du juge le déstabilise :
« C’est un peu embêtant que vous puissiez pas expliquer. En général quand on commet une infraction on a un mobile. Si la nature nous a doté d’un cerveau, c’est pour réfléchir avant de commettre quelque chose ! »

Après de longs silences, puis finalement l’intervention de son avocat, J. commence à expliquer.
Il a été à l’armée pendant 3 ans et 1/2. Il en est parti, et est considéré comme déserteur. En attendant d’être jugé pour ça, il n’a ni RSA, ni chômage, ni couverture sociale. Il explique donc qu’il a pété les plombs et cassé une vitre. Le juge s’emporte :
« Vous réglez les comptes que vous avez avec l’armée sur le dos de la Mutuelle Générale ? Quand on a un problème avec quelqu’un on s’en prend pas aux autres. C’est comme si vous aviez un problème avec moi et que vous alliez frapper le procureur, personne ne comprendrait ! »

Le juge essaie ensuite, très brièvement et sans creuser (c’est ici qu’il parle des images de l’hélico et du signalement envoyé à la BAC) d’établir le reste des faits concernant la participation à l’attroupement, et lance encore quelques remarques assassines à J.

Le procureur va commencer par dire que le parquet ne s’en prend pas aux manifestant.e.s ni au droit de manifester, qu’il ne se livre pas à des manipulations. Puis il se met à crier :
« Nous ne poursuivons pas ces gens là (en parlant des manifestant.e.s). Les seules personnes qui comparaissent devant vous sont des personnes qui commettent des violences sur des personnes dépositaires de l’autorité publique ou des dégradations et des incendies. » Il se met maintenant à hurler « ce sont des casseurs et seulement ça, DES CASSEURS ! ». Il fait ensuite le baratin habituel des procs sur la police qui protège les manifs et les cortèges « légitimes » en empêchant les « casseurs » d’y entrer, fait une référence au jeune qui a été mis en examen parce que la justice accuse d’avoir participé au « tabassage » d’un flic à la manif du 3 mai.
Il demande 6 mois de prison dont 4 avec sursis.

L’avocat de J., Fabrice Petit (commis d’office) reproche tout d’abord au procureur et au juge de s’être appuyés sur le fichier CASSIOPÉE (fichier des dénonciations et plaintes reçus par les magistrat.e.s) au lieu de s’appuyer sur le casier de J.
Il fait ensuite un morceau de plaidoirie qu’on n’a pas l’habitude d’entendre ces derniers temps : il parle de mouvement sociaux, dit qu’à son âge il a fait un certain nombre de manifs. Il dit aussi qu’il n’y a rien de nouveau dans le fait qu’il y ait des violences, et qu’on a jamais vu de mouvements sociaux sans dégradations. Il parle ensuite des voltigeurs et de la mort de Malik Oussekine et que par exemple, à ce moment-là, la violence était bien celle des forces de l’ordre. Il dit que les leaders syndicaux et les personnes interrogées ne se désolidarisent pas des dégradations. Il critique la politique des comparutions immédiates,  dit que c’était pareil au début pour le mouvement du CIP, qu’on envoyait les gent.e.s en compa « par charrettes » et qu’au bout d’un moment illes on arrêté, préférant remettre aux personnes des convocations pour des procès ultérieurs. Il parle aussi des blessé.e.s du côté des manifestant.e.s, demande si un jour il y aura un bilan du nombre de blessé.e.s et parle de la personne qui a été éborgnée par la police à Rennes.
Concernant J., il rappelle qu’il y a peu d’éléments au dossier, à part un PV qui indique qu’il correspond à la description et que la plainte déposée pour les dégradation l’a été à l’encontre de  quelqu’un d’autre qui aurait été reconnu par une personne de la mutuelle (contradiction avec le début du procès où un PV indique qu’illes n’ont rien vu…). Il explique la désertion et fait le lien avec les dégradations à la Mutuelle Générale. Rappelle que J. a été interpellé sans armes.
Et là, sans trop qu’on comprenne pourquoi (stratégiquement il n’avait pas besoin de dire çà), il commence à parler des « casseurs » : ils sont organisés, ne se font pas attraper, envoient les gens en première ligne, excite les autres depuis l’arrière, viennent d’Angleterre, d’Allemagne, parle de la proximité de la ZAD avec Nantes et Rennes et dit que les CRS reçoivent l’ordre de partir quand il y a des la casse. Bref, une compil’ des propos tenus par la presse bourgeoise, la préfecture et les flics ces derniers temps…
Il demande donc un peine de sursis avec pourquoi pas une mise à l’épreuve consistant en l’interdiction de manif.

Décision du tribunal : jugé coupable de tout ce qui lui est reproché – 4 mois d’emprisonnement dont 3 avec sursis sans mandat de dépôt.

——

S. est accusée de :
– Participation avec arme à un attroupement par une personne dissimulant volontairement son visage afin de ne pas être identifiée
– Violence sur une personne dépositaire de l’autorité publique
– Refus de prélèvement ADN
– Fourniture d’identité fictive

Elle accepte la compa et reconnaît pour l’identité et l’ADN mais pas pour le reste des accusations. S. s’est faire interpeller jeudi dernier à la gare, après être tombée dans le hall. Les témoignages des flics sont contradictoires : 2 disent l’avoir vu jeter un projectile, l’autre dit qu’elle n’a rien jeté. S. continue de nier et se défend sur chacun des faits qui lui sont reprochés. Elle explique la présence de chaque objet retrouvé sur elle. Le juge se fout de sa gueule et fait référence à des procès précédents : « il y a des gens qui s’équipe pour le tennis après les manifs, d’autre pour la piscine avant ». En fait S. a réellement toutes ses affaires de piscine dans son sac, ça doit un peu énerver le juge… Elle explique que le masque de peintre qu’elle portait lui a été donné par quelqu’un car elle ne sentait pas bien. Nouveau foutage de gueule de la part du juge qui parle de « preux chevalier ».

L’avocate des flics, toujours Annie Hupé, affirme que ce qui s’est passé à la gare est totalement indépendant de la manif. Raconte la version policière des faits et refait son blabla sur la prise de risque pour les flics et dit que pendant qu’un groupe tente de de dés-arrester S., la flic partie civile a vue « sa dernière heure arriver » (ça faisait longtemps qu’on ne l’avait pas entendue plaider sur les flics qui ont « peur pour leur vie » en manifs). Elle demande des dommages et intérêts pour les flics, sans en préciser à l’oral le montant.

Le procureur, toujours aussi aimable, dit qu’on se retrouve pas dans une manif ou dans un groupe par hasard, que celui qui est allé à la gare était hostile et organisé. Il ajoute qu’à partir du moment où on est dans un groupe on assume. Il ajoute que S. aurait mieux fait d’aller à la piscine. Il lui reproche de ne pas avoir répondu à certaines questions lors de son audition (alors même qu’il s’agit d’un droit) et parle d’arsenal pour qualifier les affaires que S. avait sur elle au moment de son interpellation. Il demande 5 mois de sursis et une interdiction de manifester (en ajoutant « qu’elle aille à la piscine »).

L’avocat de S., Stéphane Vallée, dit que les propos du procureur l’ont mis hors de lui. Il remet en cause la décision d’avoir placé S. en détention provisoire sans se poser plus de questions que celle de ce que doit être ou avoir un.e manifestant.e. Il dit que les flics n’ont réussi à interpeller qu’une personne à la gare et qu’illes ont d’abord essayé lors de la garde à vue de l’accuser de dégradations, mais il n’y avait aucun élément. Elle s’est alors par la suite retrouvée accusée de violences sans qu’aucune investigation n’ait été faite. Il ajoute que la police dit qu’ils l’avaient repérée et ciblée, et qu’elle est « tombée miraculeusement », qu’un des policiers ne l’a pas vu jeter de projectiles et qu’on l’interpelle sans lui mettre les menottes. Il parle des contradictions entre les témoignages policiers, et dit que le procureur n’apporte pas des preuves de la culpabilité de S. Il revient ensuite sur la question de l’équipement. La fouille prouve que les lunettes sont bien là pour la piscine vue qu’il y a le reste des affaires. Il rappelle que les manifestant.e.s se prennent des gaz régulièrement, parle des groupes « médics » pour expliquer que quelqu’un a donné un masque et du sérum à S. Il parle ensuite de la santé de S. qui rend très difficilement envisageable le fait qu’elle ait pu jeter des projectiles. Il rappelle aussi à la cour que le droit pénal ne permet pas de faire à payer S. pour le groupe.
Il demande la relaxe sur la violence, la participation avec arme+visage dissimulé et l’ADN (puisque si elle est relaxée sur les 2 premiers, il n’y a plus d’infraction qui justifie de lui demander son ADN).

Décision du tribunal : relaxée pour violences et participation. Jugée coupable sur le refus de prélèvement ADN et l’identité fictive. 3 mois de sursis. Parties civiles déboutées.