Nantes et Rennes sont présentées comme des « champs de bataille ». Le lendemain, 8 nantais-e-s reçoivent une interdiction administrative de circuler dans le centre ville de Nantes les jours de manifestation. Comme toujours, un traitement de faveur est réservé aux nantais : les interdictions de manifester doivent durer jusqu’à la fin de l’état d’urgence – autrement dit, à tout jamais – alors qu’elles ne concernent que deux manifestations à Paris.

Deux compagnies de CRS sont envoyées en renfort à Nantes. La ville est sous occupation dès le lundi soir. Ce storytelling du ministère devait se conclure par une manifestation aseptisée, fade, morte dans les rues de Nantes le 17 mars. Une intense négociation du parcours avec les syndicats et un épais service d’ordre est mis en place pour contrôler la manif.

Tout est fait pour que rien ne se passe. Pour que le préfet et le ministère puissent déclarer le soir même que les mesures d’exception étaient justifiées. Que les intimidations ont fonctionné. Que Nantes et Rennes sont rentrées dans le rang.

Le 17 mai, tous ces plans ont été déjoués. D’abord parce que dès le matin, de nombreux blocages économiques ont eu lieu partout autour de Nantes. Barricades enflammées au port, blocages routiers, raffinerie en grève. Ensuite, parce qu’il y avait foule à la manif, autour de 10 000 manifestants, lycéens, étudiants, syndicalistes, déter’, précaires, réunis sur un pont enjambant la Loire. Enfin parce que le cortège a su rester solidaire et déterminé.

Devoir défiler encadré par des rangées de CRS à chaque coin de rue en a énervé plus d’un. Dès les premiers mètres, les fourgons sont touchés par des feux d’artifices, sous les applaudissements. Puis c’est le cortège jeune et déterminé qui déborde le service d’ordre et la rangée de drapeaux syndicaux, vite rejoint par des centaines de personnes. Le scénario du préfet est déjà en train de s’effondrer en même temps que plusieurs vitrines de banques. Les slogans du jour : « Nous sommes tous, des casseurs », « On n’est pas violents, on est en colère. Jeunes, précaires et révolutionnaires», et «Le 49.3, on n’en veut pas , nous ce qu’on veut, c’est niquer l’Etat».

La poésie s’empare des murs : des dizaines de taggs constellent les rues. Le cortège de tête est de plus en plus fourni et de plus en plus énervé. Des vitres de la préfecture sont brisées, des policiers présents dans les jardins du préfet arrosent la foule au canon à eau et reçoivent des nuées de projectiles. Le cortège reste uni, jusqu’à la Place Foch qui devait être le point de dislocation convenu avec le préfet.

Il n’est encore que midi. C’est reparti pour un deuxième tour. Une grande partie du cortège syndical suit. Il reste des milliers de personnes. A Commerce, la FNAC reçoit quelques impacts. Puis le cortège se heurte à une rangée de policiers quand il essaie de monter vers la Place Graslin. Affrontements. Gazage massif, particulièrement nocif. L’hélicoptère, rangé pour donner l’image d’une métropole enfin apaisée, surgit au dessus du cortège. La BAC en prend pour son grade avant de charger.

La manifestation éclate en petits groupes. L’un d’entre eux est nassé et violenté sur le parking de Gloriette. Les LBD sont mis en joue à quelques mètres de visages.

Accalmie, de courte durée. Un groupe se reforme à Bouffay ou une barricade est enflammée. Des escarmouches auront lieu jusqu’au château. Au milieu des dizaines de véhicules de ce que la France compte de forces de l’ordre – et qui paralysent tout le centre ville – il reste de nombreuses personnes refusant de rentrer chez elles.

Vers 14H, la BAC et des rangées de boucliers se rassemblent. Les sirènes hurlent et les chiens aboient. Ils se mettent en place et multiplient les interpellations gratuites. Maintenant que la bataille médiatique est perdue, il faut faire du chiffre. Au moins 6 jeunes, sans doute mineurs, sont interpellés et amené derrière une rangée de camions, après avoir été insultés et menacés : «tu fais moins ton malin p’tit con », « tu veux toi aussi une bouteille dans ta gueule ».

La scène attire de plus en plus de curieux qui se rassemblent, déterminés mais sereins. La BAC se redéploie, et crie « une autre capuche !». C’est un jeune homme d’une quinzaine d’années qui est enlevé.

La foule grossit, et s’amasse autour de policiers qui pensaient avoir repris le contrôle de la ville. Mais les brasiers de la colère ne s’éteignent jamais vraiment. Un groupe de plus en plus massif fait reculer les flics, une demi-dizaine de camion de CRS rapplique, sirène hurlante, sous les insultes. Bientôt c’est plus de 200 personnes qui reprennent courage et tentent de tenir la police en respect. Passants, manifestants, commerçants, tous visages découverts : « tout le monde, déteste la police ! ». Les CRS se replient vers leurs camions. Pour s’assurer qu’ils retrouvent bien le chemin, le cortège les raccompagne.

Piteux, LBD entre les jambes, les CRS ressortent finalement de leurs camions pour se venger. En surnombre, les casqués évacuent les protestataires. L’hélicoptère revient. La BAC tente une nouvelle charge mais elle est rapidement coursée par plus d’une centaine de personnes qui investit à présent le carré Feydeau.

Au long de l’après midi, jusqu’à 19H, la police viendra régulièrement noyer la place Bouffay sous les gaz lacrymogènes. Des feux seront allumés. La BAC multipliera les interpellations gratuites, notamment en cognant la tête de jeunes tantôt contre un véhicule, contre un mur.

A 20H, une nouvelle descente de police autour de la Nuit Debout se soldera par d’autres arrestations de porteurs de survet’, toujours sans motif, uniquement pour faire monter la tension. Le nombre d’arrêtés est donc, encore une fois, très lourd.

Le gouvernement a tout tenté pour écraser la lutte à Nantes : les tirs de balles en caoutchouc, les peines de prison délirantes, les interdictions de manifester, la propagande médiatique. Rien n’y fait. On n’arrête pas un soulèvement. Malgré les intimidations grandissantes, la détermination est restée intacte le 17 mai. Mieux, la paralysie économique approche. Les stations services de Nantes sont déjà presque toutes en pénurie grâce au mouvement en cours dans les raffineries !

Toutes et tous dans la rue à Saint-Nazaire et Nantes, jeudi 19 mai. Rien n’a changé, mais tout commence !