À 11h, deux rendez-vous simultanés se sont rencontrés sur la place de la République. Une trentaine de personnes sont allées bloquer l’entrée du Mc Donald’s situé sur la place, pendant au moins une heure (en mode « bloquons l’économie »). Pendant ce temps-là, une manif lycéenne est partie de la place en direction de la gare de l’Est.

Dans une ambiance bien fraîche malgré la présence policière de plus en plus oppressante au fil des jours, près de 2 000 personnes (lycéen-ne-s, mais pas que : « étudiant-e-s, lycéen-ne-s, salarié-e-s, c’est tou-te-s ensemble qu’on va gagner ») ont défilé en criant « Paris, debout, soulève-toi ! » et des slogans contre la police (ainsi que quelques chouettes « Non non non à ta réforme bidon, oui oui oui à la révolution »). Tentatives sans grande conviction d’occuper les gares de l’Est puis du Nord, trop de flics partout, quand même quelques caillassages (oeufs et projectiles divers) et tags au fil du parcours, qui après les gares nous mène jusqu’à Barbès avant d’emprunter le boulevard de la Chapelle jusqu’à la place de Stalingrad, où encore plus de flics nous attendaient… Après avoir gazé ici et là au fil de la manif, les flics ont nassé définitivement une bonne partie des manifestant-e-s à l’angle des rues Bouret et Jean-Jaurès.

Après des tentatives collectives de briser la nasse, des réponses policières à base de gazeuse, la nasse s’est finalement ouverte aux alentours de 14h, et la manif de l’après-midi est partie avec tout le monde, c’est-à-dire pas tant de gens que ça… Peut-être 3 000 à 5 000 personnes, un gros cortège autonome en tête (avec de tout, beaucoup de lycéen-ne-s mais aussi pas mal d’adultes, étudiant-e-s, chômeur-euse-s, salarié-e-s, etc.) et derrière, un cortège étudiant et des petits cortèges syndicaux (CGT, FO, etc.). Les flics anti-émeute étaient ultra-nombreux et encadraient toute la tête de manif jusqu’à loin derrière… Alors que la manif devait aller jusqu’à la place de la Bastille, les flics ont commencé à se faire plus pressants à l’entrée de la place de la République. Encadré-e-s et parqué-e-s sur la route, ils ont commencé à gazer massivement à l’entrée du boulevard du Temple. Le mouvement de foule classique nous a confronté-e-s à un cordon de service d’ordre qui semblait mixte étudiant-e-s/syndicalistes/lycéen-ne-s bras dessus bras dessous. Fort heureusement, notre instinct de survie qui nous rapproche de l’animal nous a intimé les gestes qui sauvent : coups de pompes bien placés dans les tibias. Le passage ouvert, on a enfin pu trouver de l’air normalement pollué pour remplir nos bronches.

Une fois dans le nuage, les flics nous ont mis la pression à plusieurs reprises sur la place, à coups de matraques, grenades de désencerclement au milieu de la foule et lacrymo à gogo. Ils ont fait pas mal de blessé-e-s à ce moment-là. La manif s’est dissoute dans la confusion, des manifestant-e-s créant une brèche dans la nasse policière à l’intérieur de la place, tout le monde s’y engouffrant en courant. Sur la place, il y a encore eu quelques affrontements avec les flics, cette fois plus équilibrés (si on peut dire), la place a reçu sa dose de lacrymos, à un moment où la « Nuit debout » était complètement absente (trop tôt !).

L’ambiance est peu à peu retombée, mais la journée était loin d’être terminée !

Nuit debout, au pied de la lettre, encore une fois !

À 21h, on se farcit l’autre empaffé de président-mon-slip à la téloche sur la place de la République. On aimerait bien s’éviter ça, mais au moins il ne pleut plus. Deux heures plus tôt, des groupes sont partis vers le comico du 14e pour soutenir les potes interpellé-e-s. Au même moment, des groupes gravitaient autour du Trocadéro qui ressemblait encore plus au Mordor que d’habitude, rapport aux troupeaux d’orcs qui patrouillaient en bavant aux alentours, la matraque encore ensanglantée de leur belle journée au service de l’Ordre (l’intervention télévisée de François Hollande se déroulait non loin de là, dans le Musée de l’Homme tout rénové).

À 22h à République, le traditionnel fumi-de-manif s’allume. On fait deux ou trois tours de place comme d’hab pour prendre de l’élan, et hop, on part en manif sauvage. Ça commence à faire un paquet de fois qu’on fait ce coup-là, mais à chaque fois on rigole plus que la fois précédente ! Les gens gueulent des directions complètement au pif et en même temps tout le monde s’en fout puisque comme le dit le philosophe « on est nombreux, on fait c’qu’on veut ! » (genre « on va à l’Élysée ! » « non, à l’assemblée ! » « au ministère ! »… L’impression d’être dans un cours d’éducation civique). On tente le boulevard Saint-Martin, mais les playmobil anti-émeute se mettent en position avant nous, en bloquant le boulevard. Sauf qu’on s’en fout complètement d’aller là, du coup on continue à tourner. Pourquoi pas le boulevard Magenta ? Vu qu’il n’y a pas de flics comme l’après-midi, on se dit qu’on aimerait bien rappeler à toute cette ribambelle d’agences d’intérim que tout le monde déteste le travail. Mais les boloss en armure continuent d’être plus rapides et nous rebloquent, en balançant tout ce qui leur reste, solide, explosif et gazeux, et on continue de s’en foutre. Du coup on passe rue Léon Jouhaux, et là on se retourne, et on est des centaines. Et on déteste la police. Et on longe les douanes, et la chambre de commerce. Et on déteste les douanes, et le commerce, du coup on leur laisse un mot à la plume de nos pavés dans leurs sales vitres (qui sont, soit dit en passant, bien moins solides que celles des banques).

Malheureusement, un camion sono s’est perdu dans notre manif sauvage et continue de répéter les mêmes slogans qui ont fait se fossiliser toute la classe syndicale depuis de trop longues années « blablabla dans les poches du patronat, tous ensemble wé, wé, et tutti quanti ». On trouve vite la parade en passant par la passerelle piétons au-dessus du canal. « Ne vous inquiétez pas, le camion fera le tour ». On ne le revit jamais. Bien ouèj.

À partir de là, c’est vraiment le saccage. Toutes les cibles un tantinet intéressantes sont attaquées, hôtel Ibis, U express, galeries d’art ou trucs de bourges branchés qu’on comprend pas trop ce que c’est mais qui méritent des coups, et les poches se remplissent de bouteilles à chaque container à verre rencontré. On hésite un peu à chaque carrefour sur où aller, mais on arrive quand même à prendre des décisions assez rapidement et on ne traîne pas trop.

J’avoue, au 110 quai de Jemmapes, comme c’est un Franprix et qu’avec les lycéen-ne-s de Bergson on avait trouvé cool de piller les Franprix, on s’est un peu acharné-e-s sur les vitres, qui sont un peu tombées, et on est un peu rentré-e-s dedans, et on a un peu volé tout ce qu’on pouvait prendre, et on a un peu salopé ce qu’on ne pouvait pas prendre. Surtout, on a bien rigolé, et pis on s’est pas acharné sur les caisses parce qu’on sait qu’ils enlèvent la thune tous les soirs (mais ça nous a traversé l’esprit). Bilan, l’autoréduc au Franprix la nuit c’est un peu plus chaud qu’en journée, mais ça se fait.

Hop hop, on continue quai de Jemmapes, on passe devant/sur le lycée, le truc de la mairie pour les jeunes qui emmerdent la mairie. Les gyrophares pointent au loin en face, du coup on bifurque (on se souvient de la nasse de plusieurs heures sur le quai à la COP21, du coup on se taille vite de ce tiékar).

Là c’est l’Hôpital Saint-Louis, il n’y a pas grand chose, mais quand même un paquet d’Autolibs. Bon Autolib c’est une sale bagnole pour bourges produite et gérée par Bolloré, ça fait déjà trop de raisons d’y mettre des coups. Du coup je crois qu’on n’en a pas oublié dans ce coin-là. Et entre deux on peut souffler un peu, on voit plus de bleus.

Pour donner un peu le ton de l’ambiance, là où à l’apéro chez Valls (le 9 avril dernier) certain-e-s citoyen-ne-s huaient les révolté-e-s qui donnaient des coups avec joie sur les banques et les assurances, ce jeudi soir, les applaudissements succédaient aux hurlements de joie des unes et des autres à chaque nouveau coup de marteau. Qui n’a jamais voulu casser un truc dans la rue ? Cette rue si dégueulasse dans cette ville si dégueulasse. Pleine de pognon et de bourges. Les flics nous sortiront certainement le truc du « groupe de casseurs blablabla ». Mais les centaines qu’on était on sait très bien l’ambiance qu’il y avait dans cette manif. La joie qui libère, la sensation de reprendre la rue, et peut-être même sa propre vie, si on est poète.

Bref, ça continue. C’est écrit vite, parce que quand même on a les flics au cul, il s’agit pas non plus de traîner. Du coup hésitations, carrefours, problèmes d’orientation de certain-e-s qui tiennent à tout prix à nous faire retourner vers les keufs alors qu’on s’amuse si bien sans eux, mais la vue d’une enseigne Pôle-Emploi réconcilie tout le monde. Rue Vicq d’Azir donc. « Tiens, mange, j’espère que j’aurai pas mon rendez-vous demain avec cette conseillère de mort qui fait rien qu’à vouloir me piéger pour me couper les allocs », semblaient dire certain-e-s.

On arrive sur le boulevard de la Villette, et on prend à gauche. Faut dire à ce moment-là, on va pas le répéter à chaque fois, mais dès qu’on voit une Autolib, bim bim, dès qu’on voit une pub/abribus, bim bim, banque, agence immo, bim bim, dès qu’on voit un container à verre, boum badaboum.Retour ligne automatique
On monte l’avenue Mathurin Moreau depuis la place du Colonel Fabien, les enseignes guident notre parcours erratique. Société Générale, et surtout le concessionnaire Jaguar (et le Ford aussi, mais on a plus tapé sur Jaguar). En fait un jaguar ça a l’air costaud, mais les vitres qui cachent les belles bagnoles qu’on ne s’achètera jamais, elles sont pas si costaudes. Du coup ça fait des gros trous. Et ça lance des trucs dans les trous. Ou ça rentre dans le concessionnaire pour mettre des coups sur ces belles bagnoles qui commencent à devenir bien moins belles.

Là, franchement, on est plutôt chaud patate, du coup on essaye d’aller à la mairie du XIXe. On passe devant la rue du lycée Bergson ; représente les jeunes qui se laissent pas faire et qui bouffent du comico à la récré ! À la mairie c’est moins la folle ambiance par contre. Genre une dizaine de bagnoles de brigade de nuit, les noires-vitres-fumées avec écrit « POLICE » en petit en blanc sur les côtés, qui déboulent à la queuleuleu en mode vénèr, genre toutes sirènes dehors, arrêt d’urgence, boum flashballs qui fusent. Du coup, là, on court un peu. Après on s’est dispersé, et on espère que personne s’est fait choper, et sinon, que ça va aller pour elleux.

Ce qui était vraiment chouette dans cette manif, c’est qu’on a fait avec ce qu’on avait, ce dont on avait envie, et ce dont on était capables. Ensemble. Sans se crisper sur des pratiques, des fétichismes. Sans s’embrouiller pour de la merde. Sans distinguer les cagoules des visages dans ce bal masqué.

Ohé ohé !