Après trois semaines de manifestations dans les rues de Nantes et partout en France, cette journée du 31 mars se présente à nous sous d’étranges auspices. Comme chacun le sait la manifestation qui réunira des dizaines de milliers de personnes prendra deux colorations. Une plus syndicale avec son cortège de drapeaux, de slogans et avec son inénarrable service d’ordre, et une autre plus spontanée avec une part importante de la jeunesse nantaise, sans doute un peu de casse et le désormais fameux face à face avec les forces de l’ordre.

Il y a dans cette répartition une forme de fatalité. Quand les uns sont condamnés à suivre la sono qui répète en boucle les mêmes chansons depuis 15 ans, les autres vont désarmés affronter un dispositif policier, qui à Nantes détient depuis des années la médaille d’or des mutilations.

Quand les premiers se résignent déjà à l’idée que le 31 soit le point d’orgue du mouvement, les seconds tentent d’organiser les conditions pour en faire le point de départ.

Et cette série de fatalités brise à répétition depuis 15 ans le sens des mouvements et emporte avec elle la mémoire des luttes victorieuses ; nos retraites en savent quelques chose.

Pourtant, tout porte à croire que les raisons qui nous conduisent dans la rue ne sont pas si éloignées.

On descend dans la rue, d’abord parce que depuis le début de ce nouveau siècle, les gouvernements nous font sentir loi après loi la lente descente vers la précarité sociale.

On descend dans la rue ensuite parce qu’aucun gouvernement ne parvient plus à dissimuler le mensonge qu’a toujours été la politique classique. Exemple après exemple, gouverner n’est jamais, aujourd’hui, que faire croire au peuple que les temps vont être durs.

On descend dans la rue, encore, car aéroport après barrage, on nous a habitués ces dernières années à défendre nos territoires.

Et enfin, si on descend dans la rue, c’est parce qu’on nous somme depuis des mois maintenant de rester chez nous pour la sécurité de la nation. D’état d’urgence en assignation, personne ne nous fera oublier qu’aujourd’hui les armes c’est la police qui les détient, et qui les utilise contre nous. L’IGPN saisie deux fois dans la même journée du 24 mars dit bien quelle part incontrôlable contient la police qui encadre nos manifestations.

Sur cette base il faut briser la fatalité, la briser pour de bon.

Ici, à Notre-Dame-des-Landes, des années de lutte nous ont appris que se tenir ensemble malgré quelques désaccords stratégiques, apprendre à assumer la part débordante d’un mouvement, l’accompagner quand il le faut c’est lui donner toutes les chances de devenir victorieux. On a appris que l’État ne craint jamais ceux qui implorent le changement, il ne craint que ceux qui défient son autorité. On a appris aussi qu’on pouvait perdre un frère de lutte, Rémi, abattu par la police sur la ZAD du Testet le 25 octobre 2014.

Si on doit compter sur l’expérience d’une victoire, celle du CPE en 2006 par exemple, alors il faudra se rappeler qu’au moment ou le gouvernement a cédé, les rocades périphériques étaient bloquées dans toute une partie de la France, les émeutes s’étaient généralisées dans les principales villes, les grévistes n’attendaient plus les ordres de leurs directions pour agir. Des centres de tri postaux aux amphithéâtres de la Sorbonne, la même conviction sourdait du fond des assemblées : il faut bloquer le pays ; prendre les rues, c’est la clé de la victoire.

Aujourd’hui 10 ans nous séparent du mouvement CPE, et la loi travail qui nous est imposée n’en est qu’un prolongement plus sournois. Dans 4 ans peut-être célébrerons-nous les 10 ans du mouvement des retraites et le lourd sentiment d’échec qu’il a insinué en nous. Ou alors dès aujourd’hui décidons de rester dans la rue, d’arrêter la petite mécanique des luttes défaites et de pousser le pouvoir dans ses retranchements.

Le 31, le 32, le 33, pour que mars ne s’arrête jamais. Nous voulons le monde, ou rien.

Retrouvons nous à 19h place royale pour un printemps de lutte.

Quelques habitants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.