Polat Can, 36 ans, est un écrivain, révolutionnaire kurde et un officier (commandant) des YPG. Le fait qu’en janvier dernier il a accueilli et fait visiter Kobané à l’envoyé spécial de Barack Obama, Brett McGurk, a entraîné une vive campagne de calomnies à son encontre dans les médias fascistes turcs. D’autres ennemis du courageux peuple kurde se sont moqué du cadeau offert par Polat Can à Brett McGurk, une plaque militaire de collection reproduisant l’insigne des YPG, et ont dénoncé là un signe amical envers un état impérialiste. Au contraire, l’interview ci-dessous, dont nous avons assuré la traduction, montre que la position des YPG (et celle de Polat Can) par rapport aux puissances impérialistes occidentales est très clair.
Vive la révolution du Rojava et longue vie à la fraternité entre les peuples !

CLUG

Interview de Polat Can, représentant des YPG auprès de la Coalition internationale contre Daech.

L’Institut kurde de Washington (WKI) a rencontré M. Polat Can, le représentant des unités de protection du peuple (YPG) à la Coalition internationale [anti-Daech]. M. Can, l’un des membres fondateurs des YPG, était auparavant porte-parole des YPG et dirigeait le centre des médias Kobané. Il a travaillé de nombreuses années dans les médias, a aidé à la création de stations de radio et de télévision au Rojava et a publié de nombreux articles en langue kurde, arabe et turc. Il a également été rédacteur en chef du journal « Mesopotamia » et du magazine « Middle East » à Bagdad. Il a également été fondateur et coordinateur général de la Confédération des étudiants kurdes patriotiques et superviseur général de l’université Dogan Mazlum.

WKI: M. Polat Can, nous sommes heureux de vous rencontrer aujourd’hui pour discuter de la situation politique et sécuritaire actuelle en Syrie et au Rojava. Nous vous félicitons pour les récentes victoires obtenues par vos forces contre l’organisation terroriste Etat Islamique (EI). Qu’est-ce que les YPG et quels sont leurs principes?

Polat Can: Les YPG sont des forces de volontaires révolutionnaires. Nous croyons en la coexistence et la fraternité entre toutes les nationalités et ethnies de la région. Nous respectons l’identité de toutes les composantes de notre société, y compris les Kurdes, les Arabes, les chrétiens (Arméniens, Assyriens et Syriaques) et Turkmènes. Les YPG incluent des combattants et des Brigades de toutes ces composantes et vise à protéger tout le monde sans distinction ni discrimination. Nos unités respectent les droits des femmes. Les femmes jouent un rôle important dans la constitution, la régulation, et une résistance à tous les niveaux.
Nos unités ont acquis une grande expérience dans la lutte contre le terrorisme et ont remporté des victoires pour créer une atmosphère de justice et de liberté. Nous faisons des alliances avec les forces démocratiques et modérés en Syrie pour faire face à l’EI et au régime qui a causé tant de tragédies dans le pays. Nous sommes alliés avec de nombreuses tribus arabes, par exemple avec les Forces révolutionnaires arabes au sein du Volcan de l’Euphrate (Burkan al-Furat) qui est une salle d’opérations interarmées à Kobané, avec le Conseil militaire Syriaque (MFS) à al-Jazira, et également avec plusieurs bataillons et brigades de l’Armée syrienne libre (ASL) à Afrin et Alep.Nous luttons contre le terrorisme et nous ne resterons pas les bras croisés – nous cherchons à apporter la liberté, la justice, la sécurité et la stabilité dans la région, nous croyons en la justice et l’égalité pour tous, et nous ne tolérons aucun effort conduisant à menacer l’humanité.


Comment décrivez-vous la victoire remportée à Kobané?

La guerre des terroristes à Kobané était une guerre contre l’ humanité, la démocratie et le libre arbitre. Kobané symbole très important pour la révolution du Kurdistan, a été ciblé par l’EI depuis la mi-2013 ; ses attaques ont atteint atteint un sommet de brutalité en septembre 2014. Nos forces ont montré une résistance historique et ne se sont pas effondrés comme les autres armées de la région et des pays voisins. L’écho de cette résistance historique dans les médias internationaux et l’opinion publique a abouti à l’aide de la coalition internationale pour nos combattants héroïques sur le terrain. Cette solidarité forte a conduit à la libération de la ville de Kobané le 26 janvier 2015, puis du reste de la région. La victoire de Kobané est une victoire pour l’humanité, la justice et la démocratie. Elle est une victoire pour la civilisation contre la barbarie, le terrorisme, le racisme et l’extrémisme. Elle a montré des personnes persécutées victorieuses de tortionnaires et d’assassins.
La victoire de Kobané  a prouvé au monde et aux habitants de la région que l’organisation terroriste EI devient plus forte chaque fois que nous avons peur d’elle, mais qu’elle n’est qu’un tigre de papier, fragile et lâche qui n’a pas sa place dans la communauté internationale. Kobané a été une victoire universelle sur le terrorisme.

Pensez-vous que votre organisation est en mesure de remporter des victoires contre l’EI dans tous les affrontements militaires?

Nos forces sont les seules, depuis plusieurs années, a avoir remporté des victoires contre les différentes organisations terroristes telles que le Front al-Nusra, Ahrar al-Sham et l’EI. Les YPG ont fait leurs preuves sur le terrain grâce à d’imortantes victoires contre l’EI à Kobané, Tel Hamis, Tel Brak, Tel Temir, Tel Abyad, Ayn Issa, et Hasaka. Je peux vous dire qu’en dépit des blocages, des obstacles et de leurs capacités limitées, nos unités sont les seules dignes de confiance pour vaincre le terrorisme.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le rôle des femmes dans vos unités et sur les sacrifices qu’elles ont fait?

Tout au long de l’ histoire, les femmes kurdes ont été connues pour leurs actions et leur courage. La société kurde est une société ouverte qui respecte les femmes, elles sont impliquées avec les hommes dans toutes les entreprises et les activités, et elles n’hésitent pas à s’engager dans la résistance militaire. Depuis la fondation des YPG, les femmes kurdes ont joué un rôle majeur dans les principales batailles, dans l’organisation et la préparation des unités pour défendre toutes les composantes de notre société – kurde, arabe, syriaque, assyrienne, arménienne et turkmène. Au cours de la bataille de Kobané, beaucoup de femmes combattantes se sont battus avec courage, et sont devenues célèbres dans le monde entier pour leur résistance héroïque contre les forces du mal. Les femmes kurdes sont notre fierté!

La position officielle turque jette encore le doute sur vos victoires et vous accuse de nettoyage ethnique dans les zones libérées par les YPG à Hasaka, Tal Abyad et Kobané.

Dès le début, le rôle de la Turquie a été négatif par rapport aux victoires politiques, sociales et militaires des Kurdes de Syrie. La Turquie interfère dans nos affaires intérieures – Elle tente de diffamer nos troupes et de nous abuser en dépendant des rumeurs contre nous. Au début les pays étrangers ont été touchés par la propagande turque et ont adopté des positions négatives envers notre lutte, mais la résistance de Kobané a changé les choses – le monde a réalisé qui était vraiment en train de lutter victorieusement contre le terrorisme, et que les YPG protègent le peuple syrien sans discrimination et est prêt à créer une patrie libre et démocratique. Aujourd’hui, le monde sait qui entrave les efforts de la Coalition internationale dans la lutte contre le terrorisme, qui ferme les yeux sur les mouvements des terroristes dans son pays, et quelle route empruntent les combattants étrangers pour se rendre en Syrie et en Irak!
Chaque fois que nous remportons une victoire sur le terrorisme, des campagnes de diffamation et de  rumeurs visent nos forces ce qui montre que certains Etats ne sont pas gênés par la présence de l’EI à leurs frontières ou dans leurs villes et iqu’ils ne veulent pas que nous les expulsions Comme je l’ai dit plus tôt, nous allons poursuivre notre lutte contre le terrorisme, malgré la présence de voix pro-EI.

Avez-vous bénéficié d’une aide logistique, d’entraînement ou d’armement de la part du Gouvernement régional du Kurdistan (KRG) ?

Il y a des différences entre les partis politiques kurdes dans la région. Certains ont eu un rôle positif et fraternel vis à vis de notre résistance au Rojava et ont fait leurpossible pour nous soutenir diplomatiquement et politiquement, tandis que d’autres ont cherché dès le début à nous imposer un siège et a nous empêcher d’obtenir armes, munitions et matériel, et nous ont calomnié diplomatiquement et politiquement dans leurs médias. La position officielle du KRG n’a pas été au niveau requis. Bien sûr, nous ne pouvons nier le rôle des 150 courageux peshmergas qui sont venus à Kobané et ont combattu à nos côtés et nous les remercions.

Comment voyez-vous l’avenir des Kurdes au Moyen-Orient? Pensez-vous qu’il y a des acteurs régionaux qui cherchent à provoquer une lutte interne au sein du peuple kurde?

Les Kurdes sont l’un des principaux groupes ethniques de la région, tout comme les Arabes, les Perses et les Turcs. Les Kurdes sont la plus ancienne nation de la région. Les Turcs sont arrivés avec les Mongols et les Seldjoukides il y a mille ans et Arabes sont venus avec les campagnes qui ont imposé l’Islam il y a 1400 ans. Cependant, nous sommes privés de tous les droits nationaux – ils nous divisent, nous avons du subir des nettoyages ethniques, ils ont limité nos droits linguistiques et culturels et ont effacé notre civilisation des livres. Depuis plus de cent ans, nous avons mené des révolutions contre l’injustice, la persécution et les crimes, et je dirais que ce siècle est le siècle de la victoire du peuple kurde partout.
Les Kurdes ont un rôle important et essentiel dans le Moyen-Orient et il le sera de plus en plus. Les mouvements politiques du peuple kurde sont les plus organisés et les plus ouverts au système démocratique dans la région. Les Kurdes luttent contre le terrorisme et cherchent la liberté, personne ne peut assujettir les Kurdes et les garder en dehors de la zone politique régionale et internationale. Les Kurdes sont la clé pour de nombreuses solutions aux problèmes en suspens dans la région.
Les ennemis ont toujours œuvré pour diviser les Kurdes,  et les utiliser les uns contre les autres. Aujourd’hui, nous sommes conscients des jeux de l’ennemi et ils ne seront pas dupes! Le peuple kurde n’aura pas de pitié pour un groupe kurde qui voudrait déclencher une guerre civile, ce qui serait un suicide politique.

Des personnes ayant eu des discussions avec les décideurs américains concernant vos forces ont défendu votre cause en recommandant une aide immédiatement et décisive des forces de la coalition, surtout lorsque Kobané était sur le point de tomber. Que leurs dites-vous aujourd’hui?

Je étais personnellement en premières lignes de notre travail diplomatique et militaire depuis Février 2014. Je ai aidé beaucoup de mes camarades à rencontrer des représentants des acteurs régionaux et internationaux, je connais bien ceux qui ont contribué de manière significative en nous aidant à bâtir des relations international et à convaincre les pays de nous rencontrer, en particulier dans la construction de relation entre nous et les États-Unis. Nous remercions tous ceux qui nous ont aidés en secret et publiquement. Il faut aussi mentionner tous ceux qui ont travaillé dur pour nous empêcher de construire de bonnes relations avec les États-Unis et d’autres pays. Notre détermination à établir des relations diplomatiques internationales et la résistance historique de nos troupes ont convaincu les forces de la coalition de nous aider à Kobané à l’automne 2014 et jusqu’à présent.


Les États-Unis ont joué un rôle crucial dans la bataille en soutenant vos combattants. Est-ce un message aux forces qui travaillent contre vos objectifs dans la région? Est-il possible de tirer parti de cette tendance et d’avancer vers une nouvelle étape?

Nous avons de bonnes relations avec beaucoup de pays, en particulier ceux qui participent à la coalition internationale contre l’EI, et se sont les États-Unis qui dirigent cette coalition. Nous avons des relations directes et solides avec les États-Unis, nous travaillons ensemble pour nous coordonner dans le ciblage des terroristes en Syrie et en particulier au Rojava. Je peux dire que les États-Unis ont trouvé un partenaire solide, sérieux, courageux et discipliné en Syrie et je ne pense pas que ce soit dans l’intérêt des États-Unis de se retirer de cette relation qui se renforce jour après jour. Nos victoires sur les terroristes de l’EI sont aussi des victoires pour les forces de la Coalition. Beaucoup se sont opposés cette relation et ont cherché à créer des désaccords mais ils ont échoué.
Les États-Unis sont dans l’obligation de reconnaître nos droits et notre nationalité usurpé ! Ils voient l’injustice à laquelle nous avons été exposés et qui persiste encore dans certaines régions. Nous serons la force dynamique dans la lutte contre le terrorisme et la construction du modèle civilisé pour la région – nous cherchons à répandre l’esprit de fraternité et de coexistence et les fondements de la démocratie dans notre région et dans tout le pays. Tout le monde doit se rendre compte que les Kurdes ne seront pas réduits à de simples cartes à jouer dans un jeu régional, ils sont un acteur majeur dans la région et en particulier en Syrie.


Certains vous accusent de recevoir des armes du régime de Bachar al-Assad et d’agir en coordination avec lui. Ces allégations sont-elles justes ?

Toutes ces accusations ont été portées contre les révolutions et les mouvements révolutionnaires, en particulier les Kurdes. Ces entités hostiles aux aspirations du peuple kurde préfèrent voir les Kurdes spirituellement et moralement morts, et sans aucune conscience nationale, elles préfèrent voir les Kurdes divorcer de leur identité et être au service de régimes répressifs qui oppriment les gens. Nous ne sommes pas surpris par ce genre de rumeurs et d’accusations portées par des entités qui cherchent à réduire le peuple kurde, en particulier en Syrie, à un outil entre leurs mains.
Lorsque nous avons refusé d’être un outil pour certains camps, ils ont immédiatement commencé à nous diffamer en répandant des rumeurs contre nos unités. Dès le début, nous voulions protéger notre zone et la Syrie en général. Si chaque camp avait fait comme nous, la Syrie ne ressemblerait pas à ça aujourd’hui! La Syrie est détruite et s’est effondrée. Tout le monde sait que le peuple kurde s’est opposé au régime pendant cinq décennies, nous avons été les premiers à libérer une ville kurde presque entièrement des forces du régime le 19 juillet 2012. À ce moment, le régime contrôlait la plupart des villes syriennes. Nous avons libéré nos villes depuis le début, et nous avons également été les premiers à faire face au régime et à ses gangs dans la ville d’Alep quand nous avons commencé libérer les quartiers kurdes le 11 Mars 2012. Nous devons comprendre que le régime ne voulait pas être impliqué et ouvrir un autre front avec les Kurdes, et qu’ils ont réalisé que les Kurdes bénéficiaient d’une profondeur stratégique dans d’autres parties du Kurdistan comme l’Irak, la Turquie et l’Iran. Nous nous battons sur trois fronts différents, contre le régime, l’EI et le Front al-Nusra. Ceux qui nous accusent de recevoir des armes et le soutien du régime devrait nous fournir un véritable soutien dans notre lutte contre le terrorisme. Tous les États doivent fournir un soutien militaire, moral et logistique aux YPG.


Avez-vous des informations ou des preuves indiquant que le gouvernement turc soutient l’EI contre vous? Et que la Turquie facilite les mouvements de groupes extrémistes en Syrie?

La Turquie a une phobie avec tout ce qui a un rapport avec les Kurdes et le Kurdistan, et le président Recep Tayyip Erdogan a déclaré publiquement qu’il ferait tout son possible afin d’empêcher les Kurdes de Syrie d’obtenir leurs droits. Il pousse les forces de la Coalition à cesser leur coopération avec nous et, aussi longtemps que les groupes terroristes combattront les combattants kurdes, il sera favorable à leur mouvement et à l’utilisation de la terre turque. Ils le font contre la volonté du peuple syrien en général et contre celle du peuple kurde en particulier.
Le gouvernement turc a imposé un blocus serré sur notre territoire depuis des années mais, en même temps, il a ouvert des points de passages officiels et non-officiels sur la frontière pour l’EI (à Tel Abyad avant et à Jarabulus aujourd’hui) et pour le Front al-Nusra à Idlib et Azaz. La Turquie exige des parties syriennes qu’elles travaillent contre nous pour pouvoir opérer sur leur territoire ou être ravitaillées. Le monde entier a vu ces gros camions chargés d’armes et de munitions envoyés par la Turquie aux terroristes en Syrie sous prétexte d’aide humanitaire et médicale. La Turquie est également la principale porte d’entrée pour le transit des terroristes vers la Syrie ou le Kurdistan irakien. Selon des informations fiables que nous avons récemment obtenues, la fille d’Erdogan (Sümeyye Erdogan) supervise le comité chargé du traitement des terroristes de l’EI dans les hôpitaux turcs. Ils obstruent les efforts internationaux dans la lutte contre l’EI.
De nombreux prisonniers turcs et non turcs que nous avons capturés au Rojava ont reconnu qu’ils avaient été recrutés par des entités turques soutenues par l’Etat ou les services secrets turcs, et ces combattants de l’EI ont souligné le rôle clé des services secrets turcs dans les attaques terroristes contre notre peuple dans les régions kurdes.
Le gouvernement turc est complètement impliqué dans le soutien au terrorisme dans le but d’éliminer les avancées kurdes au Rojava et d’étouffer toute solution démocratique et pacifique en Syrie

Comment voyez-vous l’avenir de la région ?

Toute la région est au bord d’un changement profond et radical. Elle ne reviendra pas à ce qu’elle était avant 2011, cette époque est parti pour toujours. Un nouveau monde et un nouveau système sont en train de naître et rien ne sera plus comme avant. Cet état de chaos entraînera de grands changements. Je suis convaincu que le peuple kurde vaincra l’EI et le terrorisme, que les Kurdes obtiendront leurs droits et que personne ne pourra empêcher le peuple kurde de déterminer lui-même son avenir.

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Texte original en anglais : « Interview with Polat Can, the Representative of the People`s Protection Units to the International Coalition », 24 juillet 2015,

Autre lien : « Washington : Le PYD est un partenaire, la Turquie est une alliée »