A Rennes, fin janvier, a commencé l’occupation d’une grande maison laissée à l’abandon. Cette occupation débuta dans l’idée de fournir au carnaval un point de chute festif et tout en musique. Mais dès le départ, il était exclu de laisser la demeure vacante après la fête. Cette maison était depuis le début vouée à jouer un rôle dans le fourmillement politique rennais, en abritant, via des assemblées, ateliers, concerts (etc), la convergence de différents groupes et organisations, individus et associations.

En effet, depuis la mort de Rémi Fraisse à Sivens en octobre 2014, et plus récemment depuis la promulgation de l’état d’urgence et les rebondissements relatifs au projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes, il semble que de nombreuses personnes, à Rennes, expriment le besoin de se regrouper pour agir et réfléchir à un autre monde.

C’est en ce sens que nous avons pu voir émerger des initiatives collectives comme le Comité contre l’état d’urgence ou le Comité Zad. On s’est réuni pour soutenir des camarades assigné.es à résidence, on a manifesté son refus de l’état d’urgence, on a rendu hommage à Babacar Guèye, tué par la police, on a déambulé contre l’aéroport de Notre-Dame des Landes, on a donné vie au carnaval pour la Zad et encore contre l’état d’urgence. Nous avons fait tout cela en tentant de décloisonner autant que faire se peut le quadrillage des milieux, sans pour autant amoindrir la détermination propre à chacun d’eux.

L’occupation de cette grande maison, rebaptisée depuis le « Soupirail », s’inscrit dans la continuité de cette logique de convergence des luttes et des milieux. Localement, elle se veut l’épicentre de nos accrochages avec la Ville de Rennes et sa métropole, avec les promoteurs immobiliers, avec les institutions de la santé et du travail, avec la police, avec la prison ; un lieu de ralliement, de retrouvailles, où l’on fait plus que se croiser, où l’on échange sur ce qui nous porte. A plus grande échelle, elle se verrait bien nœud parmi tant d’autres d’un réseau toujours grandissant d’espaces affranchis de la domination de l’État, en lutte contre ses projets déments d’aménagement du territoire, de régulation des flux marchands et humains, d’enfouissement de déchets nucléaires, etc. En cela nous aimerions porter en ses murs les voix du Val de Suse, des personnes migrantes bloquées à Calais, de celles qui sont enfermées dans les prisons, les centre de rétention administrative, les hôpitaux psychiatriques, des habitant.es d’ici et d’ailleurs qui subissent les attaques incessantes des machines et du béton…

En plus de cela, et c’est un point essentiel, ce lieu a pour but, à travers son statut d’«ambazad », de porter la Zad en ville. Mais alors des éclaircissements doivent être faits. Il n’est pas question ici de monter à Rennes une succursale de la maison mère Zad, d’en exporter le modèle de façon dogmatique et rigide. Porter la Zad en ville signifie pour nous s’inspirer d’elle pour avancer ici, pour creuser ensemble. Il s’agit de réfléchir au sein de notre milieu urbain aux questions qui se posent depuis longtemps là-bas et que nous pensons nécessaire de nous réapproprier (à l’image de celle de l’autonomie alimentaire et matérielle, ou celle de la gestion collective des conflits ou des espaces). Nous voulons penser les formes que peut prendre en ville tout ce qu’évoque la Zad en termes d’autonomie d’un espace et de ses habitant.es, ainsi qu’en termes d’ancrage territorial d’une lutte.

Nous voulons nous poser la question des communs en ville, quels qu’ils soient. Nous voulons élaborer collectivement une réponse aux offensives urbanistiques actuelles (et elles sont nombreuses!), prendre les espaces et les défendre. Nous voulons nous réapproprier réellement nos maisons, nos espaces d’organisation, nos rues, nos quartiers, pour les habiter enfin pleinement, pour renouer avec une façon sensée de nous rapporter à eux.

Combien de personnes s’impliquant dans les comités locaux contre l’aéroport repartent de la Zad ou l’imaginent de chez elles avec le sentiment qu’il s’y joue quelque chose de primordial pour la tournure que prennent en ce moment les choses ? Combien se sentent démunies face à l’écrasante soumission que nous infligent les gouvernements, leurs logiques financières et sécuritaires, nationalistes et patriarcales ?

Par notre action, au delà de ce que nous cherchons à construire ici, nous invitons les comités de soutien à la Zad (et en pleine conscience que certains d’entre eux s’organisent déjà plus loin que sur la seule question de l’aéroport), à créer partout d’autres épicentres de luttes locales, d’autres nœuds du réseau, à se muer en autant de groupes formels ou informels de destitution du pouvoir de l’État, par la réappropriation de pratiques autonomisantes, par l’établissement d’une auto-organisation à échelle locale, par les rencontres et les discussions, les rêveries et les actes concrets.

Pour le projet Soupirail et au-delà,

l’assemblée décisionnelle du Soupirail, ambazad à Rennes.