Plongée dans “l’archipel éclaté”

Nous avons sillonné la Cisjordanie dans un petit groupe de trois personnes pendant deux semaines en décembre et janvier : Jérusalem, Jénine, Naplouse, Ramallah, Bil’in, Béthléem, Al Mas’ara, Hébron, les collines du sud, Beit Ommar… Nous avons voyagé avec les lignes régulières d’autobus ou des taxis. Nous avons alterné les rencontres avec des militant-e-s et celles avec des Palestinien-ne-s “ordinaires”. Nous avons essentiellement dormi chez l’habitant. Souvent des gens très pauvres, une fois à Ramallah dans une famille aisée.

C’est bien un sociocide qui est à l’œuvre en Palestine. La Palestine est émiettée, bouffée, balafrée. L’occupant fait tout pour détruire tout ce qui permettrait à ce peuple de mener une vie normale. Tout est fait pour le transformer en un peuple d’assisté-e-s.

L’accord dit “intérimaire” de Taba signé entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, le 24 septembre 1995, a divisé la Cisjordanie en trois zones. La zone A couvre 18 ?% du territoire avec 54 ?% de la population. Elle regroupe les zones surpeuplées des grandes villes palestiniennes et est (théoriquement) sous souveraineté palestinienne. Drôle de souveraineté : quand l’armée israélienne fait une irruption violente dans un camp de réfugiés où pour arrêter un-e militant-e, elle “prévient” la police palestinienne qui s’enferme dans une caserne et laisse faire. C’était prévu dans les accords d’Oslo. La zone B (20 ?% du territoire, 40 ?% de la population) est sous souveraineté “partagée”. Enfin la zone C (62 ?% du territoire, 6 ?% de la population) est sous contrôle total de l’armée israélienne. Elle couvre les colonies, les territoires sur lesquels celles-ci veulent s’étendre, la vallée du Jourdain et le désert de Judée. Plusieurs partis de la coalition gouvernementale autour de Nétanyahou, dont “le foyer juif” de Naftali Bennet, demandent ouvertement l’annexion pure et simple de cette zone. Les Palestinien-ne-s, privé-e-s de tout droit et sans cesse spolié-e-s, sont en train d’y devenir minoritaires et sont poussé-e-s au départ. Les colon-e-s vivant au-delà de la ligne verte (la frontière internationalement reconnue) forment désormais plus de 10 ?% de la population juive israélienne, mais aussi la moitié du gouvernement et presque la moitié de l’armée. La plupart des grandes villes palestiniennes sont encerclées par le mur et les colonies.

140 villages palestiniens sont coupés par le mur. Celui-ci est souvent situé bien loin de la ligne verte et annexe de fait 12 ?% du territoire “palestinien” à Israël. De nombreux villages ont une partie importante de leur superficie volée par une colonie. Le village bédouin d’Umm al-Khair au sud d’Hébron, peuplé de réfugié-e-s de 1948 qui ont acheté des terres à leur arrivée, a été déclaré “illégal”. Sur ses terres a été construite la colonie de Carmel. La population survit dans un bidonville à ciel ouvert dont les bâtiments sont régulièrement détruits par l’armée et les colons. Ceux-ci s’acharnent sur tout ce qui permettrait de vivre : les panneaux solaires, les canalisations d’eau.

 

Permis de tuer

 Du 1er octobre au 31 décembre, 154 Palestinien-ne-s ont été tué-e-s dont 55 dans le district d’Hébron. Du côté des dirigeant-e-s israélien-ne-s, les appels au meurtre sont incessants : la ministre de la justice Ayelet Shaked traite les Palestinien-ne-s de “serpents” et “d’ennemis”. Si la justice internationale faisait son travail, la déclaration qui suit l’aurait amenée en prison : “Les acteurs de la guerre sont ceux qui prêchent dans les mosquées, qui élaborent des programmes scolaires destructeurs, offrent l’asile, fournissent des véhicules, et tous ceux qui les vénèrent et leur apportent leur soutien moral. Ce sont tous des combattants ennemis, et leur sang leur retombera sur la tête. Cela concerne également les mères des martyrs, qui les envoient en enfer avec des fleurs et des baisers. Elles devraient suivre leurs fils [dans la mort], cela ne serait que justice. Elles devraient disparaître, tout comme les foyers dans lesquels elles ont élevé les serpents. Sans quoi d’autres petits serpents y seront élevés à leur tour”.Quand les ministres appellent au meurtre, l’armée et les colons passent à l’acte. D’autant que les colons (y compris leurs enfants) sont “légalement” armés.

Des colons ont incendié la maison de la famille Dawabcheh le 31 juillet dans le village de Douma. Le bébé est mort sur le coup. Le père et la mère sont morts de leurs blessures après d’atroces souffrances. Des regrets des meurtriers ? Absolument pas. Deux personnes dont un colon de Shilo ont été inculpés six mois après les faits. Quelques jours avant, une vidéo avait été mise en ligne où l’on voyait des colons danser sur une photo du bébé assassiné.

Un responsable du comité populaire de Beit Ommar nous raconte comment il a miraculeusement échappé, un jour de manifestation, au tir d’un colon depuis sa voiture en marche. Les comités populaires prônent la résistance non-violente (essentiellement parce que les Israélien-ne-s sont passés maîtres dans “l’élimination” de toute résistance armée). Mais en face d’eux, la violence est extrême. Ces comités ont eu environ 50 morts en dix ans. Dans le film Cinq caméras brisées , on voit “en direct” la mort de Bassem (dit Pheel) à Bil’in et il est enterré au côté de sa sœur (également tuée par l’inhalation de gaz lacrymogènes exagérément denses) dans le village. À Naplouse ou dans les camps de réfugié-e-s de Jénine ou de Dheisheh, on voit les effigies des innombrables “martyrs”, jeunes hommes qui ont voulu résister et qui ont été victimes de ces incessantes exécutions extrajudiciaires.

Cage et prison

Nous avons assisté en direct à Hébron à l’arrestation d’un enfant (12 ans peut-être) accusé sans doute d’avoir jeté des pierres (“Que vouliez-vous qu’il fît ?” comme dirait Corneille). Il va se retrouver en prison. Plus de 6 000 enfants palestinien-ne-s ont connu la prison depuis cinq ans. Le chiffre le plus hallucinant, c’est celui de 800 000 prisonnier-e-s depuis 1967. Quasiment sans exception, nos interlocuteurs/trices ont tous/tes connu la prison. Parfois avec des peines de longue durée. Certain-e-s ont fait connaissance d’un de leurs enfants des années après la naissance. Le président du comité populaire de Bil’in a pu échapper à une arrestation chez lui où l’armée israélienne a tout cassé. Réfugié à Ramallah, pourtant en zone A, il y a été arrêté peu après.

Dans les prisons israéliennes, on torture, on pratique l’isolement et la torture. La “détention administrative”, héritée d’une pratique coloniale à l’époque du mandat britannique, permet d’emprisonner sans jugement et de reconduire l’arbitraire.

Il y a des prisons en Cisjordanie, mais bien souvent les prisonnier-e-s sont détenu-e-s très loin en Israël, parfois dans le désert du Néguev et les visites familiales sont rares ou impossibles.

Pour la “justice” israélienne, tout-e Palestinien-ne arrêté-e est un-e terroriste en puissance. Et s’il/elle ne plaide pas coupable, c’est l’assurance de la peine maximale. Sur les murs des grandes villes, on voit les effigies des principaux dirigeants condamnés à la prison à vie : Marwan Barghouti (Fatah), Ahmed Saadat (FPLP)…

Les comités populaires

La construction du mur a été décidée au moment de la deuxième Intifada par un gouvernement israélien “d’union nationale”. Le ministre le plus actif a été un travailliste (Fouad Ben Eliezer). Le mur dépassait à peine 100 km quand sa construction a été condamnée par la Cour internationale de La Haye. Comme ce jugement n’a été assorti d’aucune sanction, le gouvernement israélien a tranquillement continué à dévaster la Cisjordanie. Le mur mesure aujourd’hui plus de 700 km, mélange de béton et de barbelés. Il coupe en deux des villages, interdit l’accès aux champs ou aux écoles. Il a provoqué la destruction de centaines de milliers d’oliviers. Beaucoup de Palestinien-ne-s sont mort-e-s à cause de ce mur, en voulant le franchir, en étant abattu-e-s à un check-point ou en manifestant. Il existe une douzaine de “comités populaires” dans les villages saccagés par le mur. Ces comités sont un peu à l’image de la Palestine fragmentée par l’occupation. Partout une très grande détermination à résister malgré les assassinats et les emprisonnements. Mais avec des stratégies différentes, voire contradictoires.

 

Bil’in est un village à 17 km de Ramallah. C’est en partie sur son territoire qu’est construite la colonie de Mod’in Ilit, véritable métropole de 55 ?000 habitants avec ses grands immeubles. La route directe Tel-Aviv-Jérusalem (plus courte que l’autoroute) coupe aujourd’hui par Mod’in. Depuis plus de 10 ans, il y a une manifestation (rituelle diront certains) tous les vendredis. La répression a été très dure : deux mort-e-s, des dizaines d’emprisonnements parfois de longue durée. Dès le début, le comité populaire a fait appel aux “internationaux” et aux anticolonialistes israéliens qui continuent de participer aux manifestations. Tout le monde est venu à Bil’in : aussi bien l’ancien Premier ministre Salam Fayyad que le fondateur du BDS Omar Barghouti. Bil’in a remporté un succès important. Suite à un jugement de la Cour suprême israélienne, le mur a été reculé d’un kilomètre et il ne vole “plus” que 25 ?% des terres du village. Sur le territoire récupéré, les villageois ont replanté des oliviers et fait des aménagements.

Le président du comité est au Fatah et a été longtemps emprisonné. Tous les partis politiques sont représentés dans le comité. Certains reprochent au comité de Bil’in de ne pas être indépendant de l’Autorité palestinienne et d’avoir reçu de l’argent. D’autres trouvent que la manifestation du vendredi annoncée à l’avance n’apporte rien.

Nous avons participé à celle du 25 décembre. Certain-e-s manifestant-e-s étaient déguisé-e-s en Père Noël. La nouvelle “barrière de sécurité” est hermétiquement close. Sauf le vendredi : les soldats israéliens entrent alors sur le territoire de Bil’in. Ils se postent sur l’ancien tracé du mur et arrosent la manifestation de grenades lacrymogènes. Dès qu’ils tirent, les enfants du village ripostent à coup de pierre. Parfois, il y a des blessé-e-s et des arrestations.

Plus au sud, le comité de Beit Ommar a une autre stratégie. C’est sur son territoire qu’a été créée (par un gouvernement travailliste) la colonie de Kfar Etzion dès 1967 (c’est la deuxième chronologiquement après celle de la vieille ville de Jérusalem). Le nouveau projet du gouvernement Nétanyahou porterait à 70 ?% les terres volées au village. Le président du comité populaire est aussi au Fatah. Mais il tient à une indépendance absolue. Et surtout ce comité veut inventer des formes de résistance inattendues, en frappant l’occupant là où il ne s’attend à rien. Parmi les actions réussies du comité, un drapeau palestinien hissé en pleine zone C, sur les bords de la Mer Morte, une tente installée au milieu d’une colonie, une route de contournement bloquée pendant des heures, un camp militaire cadenassé…

La gauche palestinienne

Réduire la Palestine aux deux grands partis (Fatah et Hamas) serait une erreur. La Palestine n’a pas d’État, mais elle a deux gouvernements rivaux et c’est une grande victoire de l’occupant. Logiquement nous avons entendu des critiques terribles contre l’Autorité palestinienne (“nous aurions aimé avoir un ennemi et pas deux”) et contre le Hamas accusé d’être un parti religieux et pas un parti national, d’obéir à un agenda étranger à la Palestine et d’être soutenu par des pays amis d’Israël (Turquie et Qatar). Ces critiques ne profitent pas aux partis de gauche, trop petits et trop dispersés, mais on retrouve cette gauche, souvent marxiste, dans de très nombreuses associations. Ce sont des associations de réfugié-e-s, des centres sociaux, des associations défendant les droits de l’homme, les paysans, des associations de femmes…

Cette gauche est très critique contre l’Occident, contre sa complicité avec l’occupant et contre les interventions militaires répétées dans toute la région. Elle dénonce les prétentions de l’Occident  : “de quel droit les occidentaux vont nous dire quel chef d’État nous devons avoir ou ne pas avoir ?” En même temps, cette gauche pense que la politique israélienne a un côté suicidaire  : “comment peuvent-ils penser que le monde arabe acceptera cela éternellement ?”. Cette gauche a toujours pensé que les accords d’Oslo faisaient le jeu de l’occupant. Ses positions (qui ont longtemps été celles de l’OLP) pour un seul État laïque et démocratique sont aujourd’hui reprises bien au-delà de ses rangs.

Les camps de réfugié-e-s

Le peuple palestinien est un peuple de réfugié-e-s. Ceux-ci ont la carte de l’UNRWA (l’office des Nations Unies chargé des réfugié-e-s palestinien-ne-s). Ils/elles sont les descendant-e-s du peuple expulsé de sa terre en 1948. Ils/elles forment les 3/4 de la population de la bande de Gaza et 1/3 de celle de la Cisjordanie. Les réfugié-e-s ont été littéralement abandonné-e-s par l’ONU. Ils/elles ont vécu de longues années dans des tentes ou dans des minuscules blocs (on en voit encore à Dheisheh) sans sanitaires. Aujourd’hui, une partie des réfugié-e-s a pu quitter les camps et se loger ailleurs. La vie dans les camps reste précaire. Ce qui a été réalisé en termes d’éducation, de centres sociaux, d’habitat en dur est souvent le résultat du travail des habitant-e-s.

C’est bien souvent dans les camps que l’armée israélienne a commis ses pires crimes : Jénine (2002) bien sûr, mais aussi Dheisheh, Aïda, Balata, Qalandia… Assassinats, emprisonnements de longue durée, maisons dynamitées jalonnent l’histoire de ces camps dont les murs rappellent en permanence que la lutte et la résistance sont quotidiennes.

Quand on demande à un habitant-e d’un camp d’où il/elle vient, il/elle ne répondra jamais “d’Aida” ou “de Balata” mais “de Haïfa” (nous avons même dormi dans une famille dont la fille s’appelle Haïfa) ou de tel ou tel village de Galilée.

Nier le droit au retour des réfugié-e-s (comme le préconisent certain-e-s dans le mouvement de solidarité français) ou le limiter à Gaza et à la Cisjordanie, c’est nier le crime fondateur : l’expulsion de 1948.

Le sociocide à l’œuvre

Souvent on nous dit : “vous exagérez, le nombre de mort-e-s en Palestine n’a rien à voir avec un génocide”. C’est vrai. Mais c’est la destruction systématique de toute une société. Chaque fois qu’Israël a bombardé Gaza, son armée a commencé par pulvériser la centrale électrique et la station d’épuration des eaux. La Cisjordanie est un des “châteaux d’eau” de la région. Et pourtant, les puits des Palestinien-ne-s sont systématiquement bouchés. Les Palestiniens-ne- sont obligé-e-s d’acheter leur propre eau à 30 ou 50 shekels le m3 quand la même eau coûte 8 shekels à Jérusalem. Ils doivent aussi acheter l’électricité israélienne. Dans le camp de Dheisheh, pour échapper à cette dépendance et aux coupures incessantes, les habitant-e-s ont construit une citerne. Celle-ci est systématiquement mitraillée dès qu’elle est remplie d’eau.

Dans le village d’Umm al-Khair, les colons tirent sur les troupeaux. Partout, ils brûlent les oliviers ou les déracinent. Tout est fait pour détruire ce qui permettrait aux Palestinien-ne-s de produire et de ne pas être dépendants. L’économie palestinienne est une économie captive et, pénurie aidant, des produits israéliens, que la campagne BDS appelle à boycotter, se retrouvent seuls sur les marchés palestiniens.

Hébron, l’horreur

Peu après les accords d’Oslo, le 25 février 1994, le colon Baruch Goldstein provoquait un bain de sang dans la mosquée d’Abraham (ou caveau des patriarches). Peut-être que si Yitzhak Rabin avait pris la seule décision sensée (évacuer cette bande de fous de Dieu qui avaient colonisé le centre historique d’Hébron), ces accords auraient abouti à autre chose que la farce qu’ils sont devenus et Rabin serait encore vivant.

Il a fait l’exact inverse : il a fait venir 2 ?000 soldats pour protéger 500 colons intégristes. Et il a coupé la ville en deux. 20 ans après, cette situation ahurissante est figée. Sur les 200 ?000 habitant-e-s d’Hébron, 50 ?000 habitent dans la zone H2, annexée par Israël. Les colons déversent leurs ordures sur la rue principale du souk. Ils caillassent les habitant-e-s d’Hébron et leurs enfants caillassent les écolier-e-s palestinien-ne-s. Les soldat-e-s regardent et n’interviennent que s’il y a une tentative de riposte. Dans la vieille ville, la rue Shahuda est fermée. 1800 magasins sont fermés, 500 ont les portes scellées. Le souk est ruiné à la fois à cause des agressions permanentes mais aussi parce qu’il est devenu une impasse sans issue. Fait presque unique en Cisjordanie, la mendicité est la règle. La population qui vit dans cette zone est souvent agressée chez elle.

Parmi les associations qui protègent les habitants, “Youth against settlements” (la jeunesse contre les colonies) attaque les pages facebook des colons et des militaires repérés. ISM (International Solidarity Movement, association à laquelle appartenait Rachel Corrie, tuée à Gaza) accompagne les enfants à l’école et au jardin d’enfants. Sans accompagnement, les enfants sont en insécurité.

Les colons, une nouvelle OAS

La frontière internationalement reconnue, la “ligne verte” n’existe plus dans les faits et n’est indiquée sur aucune carte israélienne. Plus de 10 ?% de la population juive israélienne vit au-delà de cette ligne : environ 250 ?000 à Jérusalem-Est et 400 ?000 dans le reste de la Cisjordanie. S’il y a des colons “économiques” (des banlieusards attirés par un coût de l’immobilier très modéré), la plupart sont des colons “idéologiques”. Liebermann vit à Tekoa, au pied d’Hérodion, le mausolée du roi Hérode devenu “parc national israélien”. Dans la colonie voisine de Nigdim, on a “relogé” les colons de Gaza. Les colonies ont des jolis noms bibliques : Efrat, Eli, Shilo. Certaines sont de gigantesques villes : Gush Etsion, Maale Adumim qui coupe en deux la Cisjordanie séparant Ramallah de Bethléem… Ariel a même une université, filiale du Technion de Haïfa.

Les colons sont au pouvoir. Plus personne dans le pays n’ose les défier. Ils sont armés, tuent souvent et presque toujours dans l’impunité la plus totale. Ils rendent totalement intenable la vie de leurs voisin-e-s, surtout ceux et celles de la zone C où les Palestinien-ne-s sont en train de devenir minoritaires.

Nous avons tenté un “dialogue” avec l’un d’entre eux à Hébron. Il voulait nous apitoyer sur un colon qui aurait été tué. Il a commencé par nous assurer n’avoir jamais frappé un enfant palestinien. Un jeune d’ISM lui a répondu avoir une vidéo prouvant le contraire. Il a commencé par dire “après ce que les Allemands nous ont fait”. On lui a dit que ce qu’ils faisaient aux Palestiniens ne valait pas mieux. Je lui ai dit que j’étais juif. “Allez au diable”. Aucune paix ne semble possible sans l’expulsion de ces fous furieux. Mais on ne voit pas quel dirigeant israélien oserait.

L’opinion israélienne bunkérisée

Les Israéliens ont “peur de ne plus avoir peur”. Cette peur, omniprésente et entretenue par le “complexe de Massada”, devrait les pousser à penser massivement“qu’ils ne seront pas en sécurité tant que les Palestinien-ne-s ne le seront pas”. Et bien non ! Majoritairement l’opinion s’est habituée à l’idée qu’il n’y aura jamais de paix. Ça laisse les mains libres à Nétanyahou avec deux croyances absurdes : que les Israéliens seront toujours les plus forts et que les crimes commis, quelle que soit leur ampleur, seront sans conséquence. Tous les jours, le journal Haaret z publie des articles d’Amira Hass ou Gideon Levy montrant comment l’armée israélienne brutalise les enfants et tue même dans les hôpitaux. Les barrières morales se sont effondrées et l’opinion ne réagit plus, sauf une poignée d’anticolonialistes aussi déterminés que courageux qui ne mordent plus sur la partie la plus “occidentalisée” de la population. Ces anticolonialistes sont à leur tour réprimés : Ezra Nawi qui nous a fait visiter le village bédouin d’Umm al-Khair, est (à l’heure où ces lignes sont écrites) en prison, victime d’une provocation de l’extrême droite.

Même une dame de gauche engagée et opposée à la colonisation nous a demandé pourquoi “l’ONU s’en prend à Israël alors qu’il y a tant de pays bien plus critiquables” !

Personne ne pourra dire “nous ne savions pas”.

Il y a un personnel diplomatique occidental important en Palestine. Régulièrement, ils envoient (en particulier les diplomates français) des rapports documentés et objectifs sur la situation coloniale et les violations du droit international. Ces rapports n’ont aucune conséquence. Dans la ville d’Hébron, depuis 20 ans une organisation TIPH (Présence temporaire internationale à Hébron), regroupant six pays, “surveille les exactions israéliennes”. Faute de sanctions, les colons ne se cachent même plus pour harceler ou frapper. Pire, une diplomate française qui avait giflé (dans la vallée du Jourdain) un militaire israélien la brutalisant a été sanctionnée par notre gouvernement.

Comme disait le cinéaste anticolonialiste israélien Eyal Sivan : “ce n’est pas parce que les dirigeants occidentaux sont mal informés qu’ils soutiennent Israël. C’est parce que cet État occidental militariste aux technologies de pointe, c’est l’État dont ils ont besoin pour contrôler la région”.

Régulièrement, des associations palestiniennes ou israéliennes sont primées pour tout ce qu’elles font dans la défense des droits humains. Sur le terrain, rien ne change.

La Palestine victime du chaos du Proche-Orient

Avec la situation en Syrie, en Irak ou au Yémen, on ne se préoccupe plus trop de la Palestine. Daesh est considéré comme une monstruosité en Palestine. Un de nos hôtes, très croyant, a exprimé son interprétation du Coran  : “je préfère que La Mecque soit détruite pierre par pierre plutôt qu’on tue un seul homme”. Le 13 novembre au moment des attentats en France, il y a eu de nombreuses manifestations, drapeau tricolore en tête, en Palestine.

Pour beaucoup de Palestiniens, Daesh et l’Arabie Saoudite, qui a joué un rôle déterminant dans son apparition et son financement, sont des créatures de l’Occident.

La Palestine résiste, c’est notre devoir d’être solidaire

La question palestinienne a été créée par une décision extérieure [le vote de l’ONU en 1947] et sa résolution viendra de l’extérieur”. Cette phrase entendue met une énorme responsabilité sur notre capacité, avec la campagne BDS, d’imposer enfin des sanctions. Le jour où il y en aura enfin, l’espoir reviendra vite.

En attendant, il faut interpréter les attaques au couteau comme des actes de désespoir suicidaires. Puisqu’il n’y a pas d’espoir ni de direction palestinienne, certain-e-s sacrifient leurs vies pour des actes à l’efficacité dérisoire.

La résistance palestinienne s’exprime autrement : par un réseau associatif très dense, une très grande solidarité familiale, un surinvestissement dans l’éducation des enfants.

La Palestine ne capitule pas, même dans un rapport de force très défavorable. Les “Indiens” refusent l’enfermement dans leurs réserves. Et le modèle israélien s’exporte avec l’état d’urgence, le modèle sécuritaire et le flicage généralisé. Si on inversait l’histoire ?

Pierre Stambul

http://www.emancipation.fr/spip.php?article1261