Le 6 mars prochain se tiendra un meeting contre l’islamophobie et les dérives sécuritaires. Mon premier réflexe ? « Intéressant, j’irais bien faire un tour ». D’ailleurs, ce meeting est annoncé dans l’édition « Les Invités de Médiapart », une valeur sûre d’habitude.

Depuis que j’anime des formations sur l’égalité et la lutte contre les discriminations, j’entends toutes les semaines des histoires de racisme, de sexisme ou d’homophobie au travail. Des histoires qui n’ont presque l’air de rien mais qui font perdurer années après années un système de domination invisible. Et donc les inégalités. Le soir, si on allume la télé ou la radio, on en reprend une couche (voir Pujadas ici ou un article sur le sexisme à la télé ici).

A en avoir la nausée.

Bref, j’avais plutôt envie d’y aller à ce meeting.

Puis j’ai jeté un œil à la liste des organisations appelant à la réunion. Et là, bug. Parce qu’à côté d’ATTAC, de la Fondation Copernic, d’Ensemble ou du Parti Communiste Français, on trouve des organisations sexistes et homophobes. Deux en particulier : l’UOIF, qui a soutenu la Manif pour tous et refuse le droit à l’avortement* et PSM qui organise des réunions communes avec Alliance Vita, organisation d’extrême-droite, anti-avortement.

J’ai vraiment hésité à écrire ce billet. Une militante féministe blanche, issu d’un milieu bourgeois, qui critique un meeting contre l’islamophobie, je vois bien l’écueil. Mais je tente quand même le coup et je pose la question : se battre contre l’islamophobie et le racisme avec des anti-féministes et des homophobes, c’est quoi le plan ?

Un peu comme si demain des féministes s’alliaient à des racistes pour essayer de lutter contre le sexisme. Ah oui, c’est vrai, il y en a déjà quelques unes qui ont fait ça. Et ça a été terminé pour nous. S’allier avec des racistes, c’est expliquer que le racisme n’est pas si grave. S’allier avec des anti-avortement et des homophobes, c’est sous-entendre que ce n’est pas si grave.

Parce que, franchement, si on commence à créer des alliances de circonstances avec des personnes qui portent des projets de société avec lesquels nous sommes en radical désaccord, uniquement parce que nous aurions un point commun, alors allons-y gaiement.

Allions-nous avec Laurence Parisot pour dénoncer l’absence de femmes dans les lieux de pouvoir, vu qu’elle est d’accord. Et puis on parlera des femmes précaires et de l’augmentation du SMIC un autre jour.

Pour lutter contre l’antisémitisme, on a qu’à s’allier avec le CRIF et puis on parlera par exemple de leurs positions sur le mariage pour tous un autre jour.

Ah, c’est pas pareil ?

Mais qu’est-ce qui n’est pas pareil ? C’est parce qu’on parle des femmes, des lesbiennes et des homosexuels ? C’est moins grave ? C’est moins important ?

Deux possibilités. Soit les orgagnisations n’ont pas vu les signataires soit les orgagnisations ont bien vu les signataires mais leurs membres ont décidé qu’on pouvait lutter contre l’islamophobie avec des misogynes et des homophobes. Donc lutter contre le racisme avec des racistes.

J’entends bien les arguments avancés pour essayer de justifier l’appel commun. On m’a expliqué qu’il n’y avait pas d’autre cadre pour lutter contre le racisme et l’islamophobie. Et bien créons-le. Avec les organisations anti-racistes ET féministes, il en existe.

On m’a aussi expliqué qu’on peut faire des alliances provisoires sur des sujets qui nous rassemblent. Sans doute, mais pas à n’importe quel prix. Je ne signerai jamais un texte avec le CRIF ou la Conférence des évêques de France. Même concernant un sujet sur lequel je suis d’accord avec eux. Parce qu’apposer mon nom ou celui de mon organisation à leurs côtés, c’est leur apporter une validation, un soutien. Et soutenir des misogynes ou des homophobes, ce n’est pas possible. Pas plus possible que de soutenir des racistes (ce qui, de fait, revient au même).

Donc je repose la question : c’est quoi le plan ?

Et si quelqu’un en a un (de plan), je suis preneuse. Parce que j’en ai bien conscience, critiquer une initiative sans rien proposer d’autre ne fait pas grandement avancer le schmilblick.

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Pour aller plus loin sur ce sujet, voir le billet d’Ornella Guyet, militante antifa sur StreetPress.

Ca me rappelle quelque chose cette histoire : en 2005, Ni Putes ni Soumises avaient appelé à une manifestation « féministe » avec des dizaines d’organisations dont l’UMP. Une grande partie des associations féministes n’avaient pas voulu manifester, refusant de marcher avec une organisation qui s’en prenait aux centres IVG et aux droits sociaux.

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* Voir sur leur site la « Charte de l’enfant », illustrée par le logo de la Manif pour tous, qui explique à son article 5 que l’avortement est interdit, sauf en cas de danger pour la mère.