Que dissimule l’Opération Pandora?

S’il est une chose dont nous sommes certains, c’est que le gouvernement espagnol ne vit pas ses meilleurs jours. Englué jusqu’au cou dans un marécage de corruption et incapable de résoudre, d’une part, la restructuration imposée par la sauvegarde de la souveraineté de l’État espagnol et, d’autre part, les problèmes économiques urgents qui noient des secteurs de plus en plus larges de la population, il craint que son manque de crédibilité et son impuissance n’aboutissent à une crise d’État qui, si la réaction populaire ne se limite pas au vote, aurait pour lui de dangereuses conséquences.

L’État se durcit, comme le montre la tentative du ministère de l’Intérieur de créer un fichier de personnes arbitrairement qualifiées de «suspectes» et d’imposer une Ley de Seguridad Ciudadana [1] qui donne les mains libres à la police pour réprimer n’importe quel mouvement de protestation de la rue. Face à ceux qui se proposent de le réformer constitutionnellement, ou même de le «démocratiser» pour le sauver, il y a un secteur politique qui prétend le cuirasser avec toute une série de mesures répressives. Derrière lui se dissimule la majorité des pouvoirs de fait qui ont beaucoup à perdre dans la crise. Ils ont commencé à paniquer, et c’est pour cela que l’État se dispose à donner un coup de gouvernail sécuritaire, avec pour objectif de préparer le terrain. Les médias ont été les premiers à se mettre à la tâche, bien avant les policiers et les juges. Des nouvelles fantastiques concernant de mystérieux voyageurs internationaux, messagers de l’anarchie, circulent depuis un moment, tandis que d’autres, du même niveau alarmiste, visent à criminaliser l’unique milieu opaque au Pouvoir qui existe, ce qui en soi est déjà scandaleux, celui des squats, des athénées libertaires et des centres autogérés.

Le message est clair: nous ou le chaos. Les stratèges du Pouvoir ne croient pas que les libertaires et les squats soient leurs ennemis les plus redoutables, bien qu’ils gardent à l’esprit l’exemple de Can Vies;bien au contraire, ils estiment que ce maillon est assez faible pour leur servir de bouc émissaire, comme une sorte de rappel à l’ordre aux opposants officiels. Le montage grossier du juge de l’Audience nationale, Gómez Bermúdez, n’est pas une simple manœuvre d’intimidation contre eux et les éventuels conflits que pourrait susciter la défense de la banque expropriée de Gràcia [2], menacée d’expulsion. Il n’est pas nécessaire de savoir lire entre les lignes: l’arrestation d’une douzaine de jeunes, presque tous de Barcelone, la vieille Rosa de Foc [4], sous le prétexte que trois pétards ont éclaté, il y a deux ans, dans des distributeurs automatiques, actes ridiculement qualifiés de «terroristes», ou le déploiement de quatre cents «mossos» autour de la Kasa de la Muntanya [3], sont des faits si incongrus et disproportionnés qu’ils ne peuvent dissimuler une intention infâme. Il y a déjà eu des faits similaires, il n’y a pas si longtemps.

Soit ceux qui tirent les fils d’une trame si évidente sont des imbéciles ou des cinglés, soit ils essaient seulement d’avertir les autres – l’opposition légale – qu’ils devront abandonner les balivernes, applaudir la «loi Mordaza» et faire front commun avec le système. Il est possible que les deux choses soient vraies. La provocation vis-à-vis des libertaires, bonnes gens qui ne se laissent pas intimider facilement, est le premier pas d’une stratégie de la tension qui vise plus loin. Le Pouvoir encourage le vacarme pour introduire la peur chez le citoyen téléspectateur. L’État affaibli craint pour sa stabilité, il est au bord de la crise de nerfs, et c’est pourquoi il compte sur la multiplication de troubles mineurs pour forger l’unité du parti de l’ordre. À en juger par les manifestations dans plusieurs villes, et principalement l’énorme manifestation d’hier dans le quartier de Gràcia, nous doutons qu’il l’obtienne.

Liberté pour les détenus!

Revue Argelaga, le 17 décembre 2014

  • 1. La Ley de Seguridad Ciudadana a reçu le sobriquet de «ley Mordaza» (bâillon).
    2. Banc expropiat de Gràcia: il s’agit d’une agence bancaire vide qui fut occupée il y a trois ans par des jeunes, des chômeurs, des retraités ou simplement des habitants du quartier barcelonais de Gràcia, et où s’organisent des activités culturelles, des ateliers et une cantine populaire.
    3. Rosa de Foc (Rose de feu): nom donné à Barcelone par un journaliste hispano-argentin, Antonio Loredo, qui, en août 1909, écrivit dans le journal La Protesta un éloge de la ville des revoltes.
    4. La Kasa de la Muntanya est un très ancien squat.