Tout ça pose pas mal de questions. Ça fait toujours chaud au cœur, bien sûr, quand des personnes décident de se révolter concrètement contre la paix sociale imposée par l’État et le Capital et font voler les pavés et les cocktails molotov sur sur la police et les vitrines des banques. Ça n’est qu’un juste retour des choses, assez minime, envers le souffrances et les morts qu’infligent tous les jours ces institutions à travers le monde, et si l’espoir d’un monde nouveau doit un jour devenir réalité, ça passera forcément par la violence révolutionnaire.

Seulement, et comme souvent, il aura fallu que ce soit un mec blanc, impliqué (au moins de fait) dans une lutte politique, qui se fasse tuer par l’État pour qu’une telle riposte se mette en place. Très régulièrement la police assassine des gens, toujours en toute impunité, pour de prétextes plus ou moins insignifiants ; seulement, ces gens sont la plupart du temps pauvres, racisés et/ou minorisés d’autres manières. Et presque toujours, personne ne réagit à part leurs proches : pas de déclarations larmoyantes de ministres, pas de unes dans les médias bourgeois… et pas de manifs ni d’émeutes dans le centre de plusieurs grandes villes. Soyons clair-e-s, c’est très bien qu’une telle réaction se soit produite ; mais pourquoi ça n’est pas le cas quand ce sont des ouvrier-e-s berbères à la retraite ou de jeunes braqueurs/euses noir-e-s qui se font assassiner ? Leurs vies ont donc tellement moins de valeur, même aux yeux des anarchistes qui prétendent abattre toutes les dominations ? Alors oui, il y a des gens, et des activistes, qui réagissent comme ils/elles le peuvent contre les meurtres de la police à chaque fois qu’il se produisent, mais étrangement ça ne donne jamais lieu à un mouvement d’ampleur comme celui-ci. Tout ça semble puer le racisme et le mépris de classe, et il est désolant que tant de révolutionnaires anti-autoritaires hiérarchisent les crimes d’État de la même manière que les média bourgeois et racistes.

Autre chose de dérangeant dans ce mouvement de solidarité, c’est la tendance de tout le monde à tirer la couverture politique à soi. La conclusion des organisations réformistes, c’est qu’elles ont raison, que le projet de barrage au Testet doit être abandonné, et d’ailleurs si ça intéresse du monde elles ont des cartes d’adhésion à vendre. Beaucoup de groupes et d’individu-e-s prennent une position bien plus intéressante, celle que ce meurtre n’est qu’une agression policière parmi tant d’autres, que la répression d’État est partout et doit être combattue dans son ensemble. Sauf que quel que soit le cas, la personne tuée est bien souvent un prétexte politique et tout le monde en profite pour lui faire dire ce qu’il/elle veut : le ministre des keufs accuse les émeutier-e-s de salir sa mémoire, les émeutier-e-s eux et elles éclatent des banques en son nom… C’est très cool de défoncer des banques, mais pourquoi toujours en rajouter une louche en brandissant une victime des flics comme un martyr, comme une sorte de bouclier médiatique ? « On est tristes à cause de la mort de notre camarade, alors on va péter des vitrines ». Depuis quand y’a besoin d’excuses pour péter des vitrines ? Le capital faisait moins de mal avant que les keufs tuent un activiste ?

Pour ce que j’en sais, c’est à dire pas grand-chose, la personne tuée se définissait comme non-violente. Est ce qu’elle aurait vraiment aimé qu’on défonce des magasins et des camions de keufs en son nom ? Combien de gens ayant participé aux émeutes se sont posé la question ? Nos convictions révolutionnaires devraient se suffire à elles-mêmes pour justifier la violence contre l’État et le Capital, et je trouve assez dégueulasse à plein de points de vue de se servir d’un mort qui ne peut plus dire ce qu’il pense comme prétexte à l’action directe. Oui, c’est cool de profiter d’événements d’importance comme les manifs qui ont eu lieu pour faire une émeute en ville ; c’est juste extrêmement dommage que presque personne ne semble vouloir dire clairement que ça n’a pas grand-chose à voir avec la victime des flics, qu’il y a plein d’autres raisons de vouloir s’attaquer aux infrastructures capitalistes et que c’est pour ça qu’on est là, pas pour rendre hommage à qui que ce soit.

De la même manière, dans les textes et les slogans publiés par des anarchistes et des révolutionnaires autour de ce meurtre, la lutte au Testet est généralement mentionnée rapidement. On y parle peu de ce qui s’y passe ou des motivations des gens qui y luttent, mais plutôt des violences policières en général. C’est clair que c’est nécessaire d’en parler, mais sur la nature même de cette lutte, sur les raisons qui ont amené là-bas la personne qui s’est faite tuer, on ne dit pas grand-chose, et ça donne l’impression que les personnes si promptes à partir en émeute pour venger quelqu’un avec qui elles auraient sans doute eu de gros conflits politiques ne s’y intéressent pas trop. Plus exactement, les textes sur le sujet parlent de la répression d’État, condamnent le projet de barrage parce qu’il enrichit de grands capitalistes (on les imagine bien avec leurs gros ventres et leurs cigares), mais c’est tout. Rien ou à peu près sur les milliers d’êtres vivants assassinés, les arbres abattus mais aussi toutes les plantes et les animaux qui vivaient dans cet écosystème. Rappelons que ce sont une dizaine d’hectares de forêt qui ont déjà été rasés pour le projet, ce qui n’a rien d’exceptionnel par rapport à la déforestation massive en cours sur la plus grande partie de la planète, mais représente cependant un nombre de vies incalculable.

Je ne sais pas quel était le point de vue là-dessus de la personne assassinée par les flics, pas plus que je ne connais réellement l’état d’esprit des personnes en lutte là-bas. Mais il est clair que la plupart des anarchistes et anti-autoritaires, une fois de plus, préfèrent se rassembler sur les éternels slogans simplistes contre les keufs et le capital, plutôt que de prendre en compte tous les êtres non-humains menacés ou déjà tués pour le barrage, qui n’ont pas droit à une émeute à chaque fois qu’on les massacre. C’est comparable avec l’approche de beaucoup d’activistes vis-à-vis de la ZAD de Notre-dame des Landes : on laisse l’écologie aux hippies pour s’occuper des « vrais » problèmes, comme si c’était un divertissement exotique, une espèce de préoccupation lointaine et un peu rigolote à laquelle on ne croit qu’à moitié, et pas une lutte nécessaire et urgente. Un grand nombre d’activistes, bourré-e-s de leurs privilèges d’humain-e-s vivant dans un pays riche et relativement épargné par la pollution et les catastrophes climatiques, se contentent de s’incruster dans une lutte pour y trouver l’occasion de caillasser quelques keufs. J’ai rien contre ça, mais quand est-ce que quelqu’un s’occupera réellement de sauver les forêts et les êtres qui y vivent ? Notre idéal révolutionnaire, c’est juste de piler des magasins en flammes, ou c’est de permettre de vivre sur Terre aux êtres vivants qui se font exploiter et massacrer à grande échelle ?

Ces derniers jours, j’ai l’impression que c’est juste très pratique pour plein d’activistes que les flics aient tué quelqu’un. Ça catalyse la rage, ça donne une raison de lutter et ça évite surtout plein de questions : pourquoi il faut en arriver là pour qu’il se passe quelque chose ? Pourquoi tout le monde s’indigne de la mort d’un mec blanc et pas des massacres et des oppressions perpétrées tous les jours par le système où on vit ? Et surtout, surtout, pourquoi tout le monde a ce besoin morbide et hypocrite d’avoir un martyr mort pour la cause, à qui on peut faire dire ce qu’on veut pour justifier nos actions ? J’espère sincèrement que nos luttes valent mieux que ça.

Une anarchiste