Le syndrome français fait son retour, il inonde de nouveau le monde politique, le web et les médias. Il est celui du coq qui cherche à savoir qui l’a plumé sans jamais reconnaître qu’il est la cause de son propre malheur, Nous le savons tous, le FN a mené sa campagne européenne avec sa vieille rhétorique du bouc émissaire. En France, l’extrême droite a dans son histoire conspué les juifs, les protestants, les italiens, les belges, les francs-maçons, puis aujourd’hui les musulmans, les roms, et demain qui sait les thaïlandais, les canadiens, les péruviens, les orthodoxes. La bêtise d’extrême droite, elle ne surprend plus, celle de ses adversaires par contre, ne cesse parfois de nous étonner. Pour expliquer l’événement que représente la victoire du FN aux européennes, certains anti-FN reprennent la technique employée par ceux qu’ils critiquent. Face aux 25% du Front, ils cherchent donc un bouc émissaire, victime sacrificielle d’un mal être électoral ; ce dernier est tout trouvé : l’abstention. Néanmoins, avant de lapider les désabusés, les anarchistes, les désintéressés, les fainéants, les réalistes, aussi sauvagement que le FN attaque tout ce qui n’est pas blanc-catho-français, reposons nous donc la question de l’imposition du FN sur la vie politique et des moyens réels ou supposés de renvoyer ce parti dans les poubelles de l’histoire.

Pour être bien clair, il ne faut pas imputer les 25% du FN aux abstentionnistes. Si l’abstention eut été moindre, le score du FN l’aurait été mathématiquement lui aussi, mais le vrai problème se figure être que des millions de personnes puissent voter FN, qu’importe le score que cela représente. Et à l’inverse, si l’abstention avait été encore plus importante, mettons 87% comme en Slovaquie, tout le monde aurait bien ri de l’autoproclamé premier parti de France (comprendre : premier parti d’à peine la moitié des inscrits, qui ne représente absolument pas la population totale car il faut y enlever les non-inscrits et ceux qui ne peuvent légalement voter). Il est également surprenant de ne voir personne critiquer la légitimité d’une élection où plus de la moitié des votants potentiels s’abstiennent. Mais pour cela, encore faut-il se laver de la moralité républicaine qui fait de l’abstentionniste celui qui a toujours tort, car il est celui qui ose tourner le dos à la merveille démocratique que représente le pays des Lumières. Ce qui arrange bien les partis de gouvernement, car les abstentionnistes ne s’expriment pas ou peu, ils n’ont ni parti ni représentant, pour certains ils ont un étendard anarchiste, mais pour les autres et avec les autres, le fait est qu’aux européennes de 2014, l’abstention est la première force politique de France.

Et quand bien même, si sur une élection on décide de faire baisser artificiellement le score du FN en se rendant massivement aux urnes, quelle serait la finalité ? Elle ne serait sans doute pas de s’attaquer directement, aux racines du mal, mais au contraire, elle ne reviendrait qu’à tendre l’autre joue pour alimenter sa rhétorique « antisystème » du seul contre tous. Ainsi, voter massivement pour le PS contre le FN, pour l’UMP contre le FN, c’est préparer un nouveau raz de marée frontiste à l’élection suivante, c’est retarder le problème tout en le consolidant. Nous avons beau expliquer à ceux qui se laissent berner par une posture révolutionnaire du FN que rien ne sert de rejeter le capitalisme mondialisé pour le capitalisme nationaliste ; il faut maintenant expliquer aux tenants du « vote utile » ou autres absurdités, que rien ne sert de rejeter le capitalisme nationaliste pour le capitalisme mondialisé. Entre le pire et le pire, entre l’inhumain et l’inhumain, entre le système et le système, il n’y a rien à attendre d’un camp ou de l’autre, « plutôt la mort que la souillure » comme exprime l’Hermine. Il faut être intransigeant sur les idées et ouvert sur les individus, il n’y a que les individus qui peuvent vaincre le FN et les idées d’extrême droite, pas les bulletins de vote, surtout pas ceux du PS ou de l’UMP. Ces derniers ne peuvent au mieux que contenir des scores électoraux, mais qu’est-ce donc que le petit ou le grand score d’une vaste mascarade dans une société déjà gangrenée par le racisme et la xénophobie ?

Alors de deux choses l’une, que va-t-il se passer, que l’on s’abstienne ou non, dans les élections à venir ? Ou le PS et l’UMP continueront à se prêter l’Élysée et les choses iront vers le pire, ou le FN arrivera finalement au pouvoir et les choses iront vers le pire. Si vous pensez que la discussion n’est pas possible avec l’extrême droite, alors préparez-vous à l’affrontement. Face à un adversaire ou à un autre, la lutte doit s’intensifier, elle est infiniment plus féconde qu’un sursaut électoral pour vendre son âme –afin de ne pas dire autre chose- à la république bourgeoise. Que faire donc ? On se pose la question depuis longtemps. Se préparer, au pire comme au meilleur. Voter, cela ne nous mènera nulle part, lutter par contre, fera potentiellement de ce nulle part un quelque chose préférable à notre misérable présent. Et si vous cherchez quelques arguments à rétorquer aux cohortes de l’idiotie utile qui place l’abstention en responsable de la montée du FN, voici une petite liste de réponses possibles à la question « pourquoi le FN remporte une élection ? ». A cause de :

  • Une UMP ultra sécuritaire, xénophobe et jalouse des succès du FN.
  • Un PS qui induit son monde en erreur en faisant croire qu’il est de gauche.
  • La consommation abusive des médias télévisés ou presse papier de caniveaux, qui cherche à faire son fric en vendant de la xénophobie et de l’islamophobie.
  • Une extrême gauche incapable de produire une véritable dynamique révolutionnaire (et donc hors système).
  • Les militants du dimanche qui ne savent se mobiliser que pour aller aux urnes. Un jour peut-être, 80 ou 90% d’abstention rendront à ces supercheries électorales le sens qu’elles devraient véritablement avoir.
  • Une jeunesse qui se couche et qui préfère la consommation à la rébellion.

Nous tous, malgré nous, nous avons laissé faire. Aller voter ne dédouane pas de la responsabilité collective, ni des impératifs à venir dans la lutte contre l’extrême droite et son monde, du fascisme jusqu’au capitalisme. A l’avenir, face à une extrême droite qui ne risque pas de perdre sa dynamique, le choix se fera de plus en plus mince entre accepter passivement les résultats des saltimbanqueries électorales, ou s’opposer radicalement et systématiquement au Front National et à tous ses groupuscules fascisants.

Douar ha Frankiz

http://lahorde.samizdat.net/2014/06/03/le-front-national-le-vote-et-labstention/