Qui es-tu Damien ?

Je m’appelle Damien T. J’ai 29 ans. Je suis maçon coffreur en intérim, actuellement en recherche d’emploi. J’habite à Rezé dans l’agglomération nantaise.

Quelle blessure t’a provoqué la police pendant la manifestation du 22 février ?

Je souffre d’une « contusion sévère du globe occulaire ». C’est ce que disent les médecins. Ils ne savent pas encore ce que ça va devenir. Mais je ne vois plus du tout de mon œil gauche. Le dimanche suivant la manifestation, j’ai été opéré pour une exploration de l’oeil. En tout, pour l’instant, j’ai déjà été hospitalisé quatre jours.

Étais-tu manifestant contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?

J’étais manifestant avec mes amis. Je trouve idiot de faire un aéroport là-bas. Mais je ne suis pas un activiste.

Que s’est-il passé exactement ?

C’était vers 17 heures, rue du Guesclin, dans l’Ile Feydeau, près du café Le Chat noir. On arrivait avec mes amis depuis le square Daviais où se tenaient des discours et des musiciens. En face, des affrontements chauffaient sérieusement du côté du square Fleuriot et de la station centrale des tramways. Nous nous sommes rapprochés du Chat noir. Brutalement, on s’est retrouvés au milieu des lacrymos et des grenades assourdissantes. Dix minutes avant ma blessure, j’ai vu tomber le manifestant très durement touché au nez par une balle de flash-ball.

La situation a dégénéré. Il y avait des activistes, disons « énervés » et aussi des gens avec des poussettes, des personnes âgées, qui se sont fait gazer.

Brutalement, les CRS nous ont chargés depuis l’intérieur l’Ile Feydeau, en tirant avec tout ce qu’ils avaient sous la main : lacrymos, flash-ball, grenades. Il balançaient également sur nous les cailloux qui leurs étaient jetés.

Je me suis retrouvé face à eux. Ils tiraient en l’air, puis à hauteur d’homme. J’ai été touché, soit par une grenade assourdissante, soit par une balle en caoutchouc.

Je suis tombé dans les bras d’un jeune manifestant. Deux personnes m’ont secouru et m’ont emmené en direction du quartier du Bouffay. Mon ami Alex a arrêté un véhicule de pompiers, qui a appelé une ambulance, qu’on a attendue longtemps.

Je souffrais beaucoup et je saignais. Et j’avais un énorme sifflement d’oreille.

Es-tu seul dans ton cas ?

Je peux affirmer que nous sommes au moins trois blessés à l’oeil sur cette manifestation, car à l’hôpital, en plus de Quentin que j’ai croisé, j’ai vu un troisième blessé à l’oeil pendant le rendez-vous avec l’anesthésiste, un jeune homme d’environ 25 ans dont je ne connais pas le nom.

As-tu prévu de porter plainte ?

Je suis allé déposer une première plainte au commissariat de Rezé. J’ai demandé à porter plainte pour « blessure aggravée avec intention de mutiler ». Mais les policiers n’ont écrit sur le papier que « Blessure aggravée avec ITT de plus de huit jours ». Il faudra sans doute que je dépose une plainte plus argumentée auprès du Procureur de la République.

Quelle est ta situation maintenant, deux semaines après ?

Quand c’est arrivé, j’étais dans une période sans mission d’intérim et en fin de droits de chômage. Je ne sais comment je vais payer mon loyer. Car maintenant je ne peux plus travailler en maçonnerie. Je ne peux plus faire aucun effort car ça ferait monter la pression dans mon œil.

Et je ne peux plus conduire. J’espère d’ici six mois retrouver au moins un dixième de vue de mon œil gauche, pour être autorisé à reconduire un véhicule.

J’ai beaucoup de mal à réaliser que je ne vais peut-être jamais retrouver la vue de mon œil. Je préfère ne pas y penser.

(Propos recueillis le 8 mars 2014 par Luc Douillard, à Nantes)

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Dernière minute, supplément à l’entretien, recueilli le 10 mars 2014 :

« Et j’ai du nouveau pour mon œil, plutôt négatif… Là, je commence à réaliser, vraiment, que jamais je ne pourrais plus lire, écrire, marcher, etc, uniquement de mon oeil gauche, vu ce que le docteur L. m’a dit cet après-midi. Voilà !!! »