« Farewell from Indymedia London » : l’un des piliers du réseau d’info alternative annonce sa fermeture
Extraits : (lire la totalité du texte sur le site site Atelier des Medias Libres)
« Le lancement d’Indymedia a ouvert de nouvelles perspectives, techniquement, socialement et politiquement. Alors que les blogs n’avaient pas encore décollé, le fait de fournir aux gens la possibilité de publier leurs propres informations et reportages multimédias sur les manifestations et les luttes sans avoir besoin de s’identifier changeait la donne. /…/ En même temps, Indymedia s’organisait de manière transparente et à travers des décisions au consensus, établissant une distinction entre un média participatif et démocratique (par le peuple, pour le peuple) et les objectifs et méthodes opaques des industriels des médias. /…/ Indymedia devint un réseau mondial offrant solidarité et soutien direct au-delà des frontières nationales, impulsant une dynamique expérimentale impliquant ouverture, collaboration, respect de la confidentialité et logiciels libres, afin de donner aux gens la capacité de s’exprimer par eux-mêmes et d’amplifier la résonance de nos luttes collectives./…/« 

Passé cette introduction évidemment partagée, beaucoup de passages, critiques, nous ont intrigué : certes l’expérience de la construction du réseau Indymedia nous a montré les limites d’une forme d’organisation collective mondiale principalement liée par l’Internet. D’un autre côté, cela contre-balance tous les discours sacralisants que l’on peut entendre dans certains milieux autour de l’Internet comme outil de changement social, voire comme déclencheur. Cependant, peu de bilans ont été réellement fait des échecs rencontrés, en dehors des ressentis, qui permettraient d’en comprendre vraiment les raisons. Certes, il serait aisé de tomber dans une forme de dogmatisme s’il n’y avait de régulières remises en question. Certes le risque d’obsolescence guête chaque site si on ne veille à faire évoluer régulièrement l’outil. Certes, tout le monde publie, tout, tout le temps, depuis presque n’importe où et beaucoup de n’importe quoi.

Indymedia, « Tu t’en sers ou tu le perds »

Un hasard amusant fait qu’a été diffusé dans la foulée de cette traduction, un documentaire de Jean-Marc Manach et Julien Goetz : Une Contre Histoire de L’Internet (dispo aussi en téléchargement via Torrent)

Résumé : « Internet a été créé par des hippies tout en étant financé par des militaires ! Cet improbable choc des cultures a donné naissance à un espace de libertés impossible à censurer ou à contrôler. C’est pourtant ce que cherchent à faire, depuis des années, un certain nombre de responsables politiques, poussant hackers et défenseurs des libertés à entrer dans l’arène politique. »

L’émission-documentaire, forcément un peu caricaturale et avec moult raccourcis, était avant tout divertissante. Mais elle a eu l’avantage de montrer à quel point le web est devenu un foutoir à tout et n’importe quoi, et laisser entrevoir toutes les brèche qu’on peut imaginer… et potentiellement exploiter !

Puis un article a été publié, en réaction à cette diffusion : « Ma contre-histoire de l’internet » par Jet Lambda :

Extrait : « Le goût amer qui me reste au fond de la gorge, c’est que j’ai le sentiment qu’on continue à gesticuler, qu’on répète en boucle des évidences aux accents libertaires, et qu’il semble y avoir encore un non-dit faramineux qui subsiste, à savoir que la marchandisation du monde, l’exploitation de l’autre, n’ont cessé de se servir de l’internet pour gagner en puissance, sans bien sûr que l’internet, en tant que machin, gros tuyau, n’en soit intrinsèquement responsable — mais qui en devient immanquablement une des armes les plus fatales« 

Ce à quoi Jean-Marc Manach a répondu en commentant cet article :

 » /…/ Parce qu’on n’a jamais autant parlé des questions de surveillance, de vie privée et de libertés, que sur le www et les internets. Parce qu’on a effectivement les moyens (techniques) de contourner ou résister à la surveillance. Mais je vais poser la question différemment : je (tu) ne peux pas libérer les gens à leur place. Mais tu peux leur montrer comment faire. Reste que la majeure partie des gens ne choisiront pas tel ou tel camp. Et qu’il se trouvera toujours des gens pour collaborer, par conviction ou attirés par l’argent, avec les surveillants. Pour moi, le plus important, c’est de cultiver cet esprit de résistant, pour documenter, surveiller et contrecarrer les surveillants, et je pense pas qu’on ait perdu. Loin de là, qu’on accepte ou qu’on acquiesce…« 

Toutes ces réflexions sur la notion d’une liberté précaire d’internet font revenir en force le passage souligné dans le texte du collectif indymedia Londres : indymedia EST et demeure l’un des rares espaces libre, gratuit et totalement anonyme qui existe. C’est une des ces « contre-histoires », qui semble être complètement occultée par cette narration. En quoi Indymedia serait-il devenu obsolète ? Au contraire même, en entendant les conclusions de ces reportages et débats, est-ce qu’il n’est pas primordial de maintenir en fonction cette spécificité ? On nous dit que l’époque des grands contre-sommets est révolue. Tout du moins pour l’instant ou sous cette forme. Diaz, tombée sous les coups de la main armée du capital le 21 juillet 2001, aurait été l’un derniers bastions important de ces médias center si nécessaires… même si d’autres ont très bien fonctionné par la suite (Gleneagles en 2005, Rostock en 2007, Copenhague en 2009, etc).

Et quand les journalistes dénoncent la non-traçabilité de l’info sur indymedia, ils semblent oublier la levée de boucliers face au projet d’obligation de révéler leurs sources dans le cadre de procédures judiciaires. Nous ne reviendrons pas sur le fait que le milieu du journalisme, bien qu’utilisant cet argument contre Indymedia, a maintes fois démontré à quel point ses informations, même soi-disant vérifiées par ces professionnels de l’info, n’étaient finalement pas si fiables. Hyper récemment encore : Trappes, Brétigny

Et quand certain-e-s estiment que le modèle est dépassé, illes semblent oublier que certaines informations demeurent disponibles uniquement sur indymedia. La seule chose qu’on peut réellement regretter est qu’indymedia ne soit pas employé plus spontanément, particulièrement par les mouvements ouvriers ou les banlieues. Et la faute nous incombe sûrement (parce qu’indymedia est le reflet des luttes sur le terrain et que les acteurices des mouvements sociaux n’arrivent pas à se désenclaver de leur petit entre-soi). Mais cela ne veut pas dire que tout est fini, loin s’en faut. Il reste encore beaucoup de choses à faire, à développer, à permettre.

C’est donc à ce titre que nous nous inscrivons en faux avec les conclusions du collectif de Londres (et nous en étonnons) quand il explique « La principale raison d’être d’Indymedia a disparu« , en déplorant sa supplantation par les réseaux sociaux et les plateformes commerciales.

Nous croyons, au contraire, que ces plateformes et autres outils « à la mode » montrent de plus en plus leurs limites. La récente bombe Snowden, après celles d’Assange et Manning, ne sont que les parties émergées d’un iceberg orwellien. Ces affaires font, hélas, parce qu’issues d’un milieu officiel, passer en second plan le suicide de Aaron Swartz il y a quelques mois.

Il nous semble donc indispensable, au delà de nos histoires personnelles ou autres fatigues passagères, de maintenir cet outil en état de marche et de trouver le moyen de le faire évoluer indymedia vers les nouvelles pratiques tout en gardant cette particularité indispensable qu’est la sécurité/anonymat des contributeurices.

Ni scribe, ni flic !

Quand à l’aspect « bruyant » du site, son côté foirum parfois, bien sûr, il est souvent perturbant… voire épuisant ! Comme le souligne l’article « Indymedia : un média radical de lutte à l’heure du Web 2.0 ?« . Mais il permet aussi de garder contact avec la réalité, pas toujours plaisante, ce qui est paradoxalement un terreau fertile pour l’interpénétration, le développement de l’esprit critique et l’apprentissage politique, trolls mis à part bien sur ! Et puis il ne faut pas confondre « bruit » internet et absence d’intellectualisation systématique, particulièrement dans le cadre de témoignages sur les luttes. Il ne faut surtout pas oublier que quand certain-e-s mesurent en kilomètres, d’autres mesurent en centimètres, et que ce ne sont en rien des échelles de valeur, mais de simples indicateurs de différentes façons de lutter qui n’ont rien à voir ni avec l’intelligence ni avec la légitimité. A nous de rester humbles. L’éternel débat sur l’orthographe en est un exemple criant : les turques et égyptien-ne-s sont super tant qu’illes  sont en photos ou vidéos, plus localement les Contis aussi. Mais leurs revendications doivent-elles êtres policées, normées, bien écrites pour être prises au sérieux ? Une personne exploitée, spoliée, humiliée, doit-elle retourner sur les bancs de l’école pour livrer d’elle-même son témoignage sans passer par un autre filtre journalistique (alternatif ou pas) ? De qui se moque-ton ? A qui nous adressons-nous ? Qui cherchons-nous à aider ? Clairement, depuis le début, indymedia fait le choix de ne pas juger la forme mais le fond. L’émancipation avant tout. L’expression multiple de luttes et au sein des luttes, et non d’un mouvement particulier. Ce qui permet aussi à tout à chacun-e de se reconnaître dans tel ou tel type d’écrits, et parfois l’émergence de débats.

 

Média toi-même !

Nous pensons aussi que c’est la nécessité qui fait l’actualité de l’outil, et non l’inverse. Les membres du collectif de Nantes passent donc du temps à gérer cet outil, modestement, en choisissant de l’axer essentiellement sur le local et les divers mouvements qui l’habitent (diffusions parallèles au site de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, pour ne citer que le contexte le plus récent). Il existe bien d’autres projets exaltants et de grands moments à suivre dans le monde entier, mais à chaque fois, les indymedia les plus proches géographiquement s’en font l’écho. Car c’est ça la principale vocation d’indymedia : donner la parole aux luttes locales. Ou du moins donner l’outil pour que chacun-e puisse s’exprimer. Indymedia a servi de relais sur chacune des dernières révoltes : Grèce, Turquie, Brésil, Égypte… A chaque fois, des mentions à certains articles publiés sur les sites locaux ont été rapportées en France, et ce, pas systématiquement sur les indymedias français mais sur bien d’autres réseaux.

 

Trop de cowboys-girls, pas assez d’indyen-ne-s !

Alors certes, on ne se retrouve pas sur certains arguments d’indymedia Londres quant à leur analyse sur l’outil et nous sentons beaucoup de non-dits que nous n’avons pas à questionner, par respect pour leur décision. Mais on se retrouve sur l’essentiel, la conclusion immuable : expérimentation et transmission de savoirs. « L’ouverture, l’horizontalité, la transparence et des pratiques à la fois collaboratives et participatives ont été des éléments centraux d’Indymedia et de nos politiques radicales. » Et cela le restera. A nous de nous réapproprier les outils et inverser les rapports de domination. A chaque mouvement de choisir son moyen de communication. Le plus important est qu’à un instant critique, toute personne puisse trouver un vecteur de communication qui lui convienne et qui ne le mette pas en danger. On ne peut que vous inciter à découvrir et utiliser TOR si ce n’est déjà fait. Un autre projet très complet comme RiseUp incluant mail, chat et autres outils mérite aussi le détour ainsi que son Crabgrass, sorte de réseau social sécurisé permettant la collaboration en ligne. Les Etherpads, comme le souligne Rebellyon, autre site mettant en place d’autres processus pour la sécurité de ses contributeurices, sont de bonne bases à l’écriture collective. Et l’outil Sedna, issu des Médias Libres, permet une vision globale de ce qui est publié de manière alternative et militante sur le web francophone.
Nous ferons sûrement un topo collectif plus complet sur tous les outils et sites libres et sécurisés de la toile à la rentrée… Indymedia n’est pas la seule solution, il participe à la transmission, il n’est qu’un outil parmi d’autres, mais il y en a peu d’aussi sécurisés et c’est ce qui le rend indispensable.

 

Et parce que nous sommes et demeurons radicalement en lutte contre le capitalisme, l’autoritarisme et toutes les dominations, nous conclurons comme indymedia Londres : « on se retrouve dans la rue ! »… ou sur toute autre zone à défendre

A très bientôt donc ;)

Collectif indymedia nantes. juillet 2013.