UNE SALE HISTOIRE…

Kaoutar Chtourou était incarcérée à la centrale pour femmes de Rennes. Cela faisait plus de cinq ans qu’elle avait été baladée de Fleury-Mérogis à Versailles, puis à Fresnes… Il faut dire qu’elle ne s’était pas attirée les sympathies de l’administration pénitentiaire. Loin de là. Elle avait toujours combattu l’arbitraire, et elle était notamment à l’origine du passage de l’équipe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté à la maison d’arrêt de Versailles : cette démarche avait abouti à la mise à pied de l’ex-directeur Gonçalves, pris en flagrant délit d’abus de pouvoir et autres fautes graves.

Ce triste personnage avait quand même réussi à la pousser à bout, la faisant passer à tabac par d’autres prisonnières, ses protégées, et l’avait placée au quartier disciplinaire en lui promettant le pire. Le pire, ce fut le placement en psychiatrie à l’Unité pour malades difficiles de Villejuif, Paul-Guiraud, d’où elle n’est sortie que grâce à l’opiniâtreté de sa famille et de ses proches. Très affaiblie, physiquement et psychologiquement, elle a mis de longs mois à se remettre de cet épisode.

Puis pendant plus d’un an, alors qu’elle était légalement déjà en droit de bénéficier d’un aménagement de peine, l’administration l’a encore baladée, d’abord en la maintenant dans l’attente d’une expertise psychiatrique obligatoire, puis par le report de son passage en commission en application des nouveaux textes qui empêchent les conditionnelles « sèches ».

C’est finalement avec plus d’un an de retard qu’elle a pu passer devant un tribunal d’application des peines (TAP).de Rennes le mardi 15 mai. Et encore, elle a eu de la « chance »car à quelques jours près, elle tombait sous le coup d’une nouvelle législation qui l’aurait envoyée se faire examiner pendant quelques semaines par des psychiatres dans un Centre national d’évaluation. Avec un avis favorable de la direction de Rennes et de la juge d’application des peines (JAP), malgré un sévère réquisitoire du procureur, la réponse a finalement été favorable. C’était loin d’être un cadeau, puisqu’elle doit porter un bracelet pendant un an et rester écrouée pendant toute cette période avant de passer à la phase conditionnelle pendant une autre année ! Deux ans sous tutelle stricte : quelle générosité, quand on sait que ces deux ans sont exactement ce qui manque pour arriver au terme de sa peine !
Le vendredi 18 mai, elle est sortie de la prison de Rennes et s’est rendue à Compiègne, où sa jeune sœur l’héberge et où elle a trouvé un emploi (dans la même boîte de centres d’appels pour laquelle elle travaillait à la centrale de à Rennes).

Le samedi 19 mai, l’administration de Beauvais vient installer bracelet et terminal, et le lundi 21, elle embauche. Nous l’avons eue plusieurs fois au téléphone, elle respirait enfin, bien contente d’avoir quitté les murs et les miradors.

Le mardi 22, en arrivant au travail, elle apprend que les gendarmes vont arriver pour la faire réincarcérer… Elle appelle son avocate qui lui dit que la JAP de Rennes lui a expliqué que le parquet avait fait appel le mardi même de la décision du TAP et que Kaoutar devait du coup retourner en prison. En fait, elle n’aurait pas dû sortir, mais attendre à Rennes l’appel, seulement, disent-ils, le greffe du TAP avait « omis de prévenir le greffe de la prison » (sic). Kaoutar nous prévient : nous nous renseignons pour nous assurer de la légalité de la démarche, et en fait, quoi qu’il en soit, comme elle est écrouée, elle reste à la disposition de l’administration pénitentiaire. Trop fort ! Les gendarmes lui laissent deux heures pour préparer ses affaires avant de l’emmener à la maison d’arrêt de Beauvais, au quartier femmes.

Elle se retrouve dans cette prison du Moyen Age, dans un dortoir de 6 à 10 prisonnières, sans rien, aucune activité, rien de rien, la misère. Ses codétenues sont très jeunes et de passage, elles regardent la télé nuit et jour, volume sonore au maximum. Cela fait quinze jours qu’elle ne dort pas, qu’elle ne mange pas et qu’elle déprime. Beauvais est une prison très surpeuplée (l’effectif prévu est multiplié par trois) : difficile même de réserver des parloirs. Ils n’ont aucune cellule individuelle ; il n’y a même pas de quartier d’isolement pour les filles. Elle a demandé à voir un psy, rien. Elle demande des somnifères pour dormir, rien. En revanche, ils lui donnent sans problème des tranquillisants, des anxiolytiques qu’elle avale pour éviter de s’énerver. Et elle nous dit au téléphone qu’à nouveau elle a beaucoup de mal à se concentrer, à écrire… Comme à Fresnes dans les jours pénibles. On ne l’a jamais sentie aussi abattue et nous sommes très inquiets. Nous pensons franchement que l’administration pénitentiaire peut l’envoyer dans un hôpital psychiatrique encore une fois… Ce qui permettrait au parquet de Rennes de gagner l’appel, d’annuler la libération conditionnelle et de maintenir Kaoutar enfermée jusqu’à la stricte fin de sa peine, peu importe dans quel état.

Nous avons prévenu, appelé toutes les personnes concernées : la direction de la prison de Beauvais, pour bien dire au directeur qu’elle n’était pas seule, et qu’il fallait la faire transférer au plus vite, même pour peu de temps, en attendant l’appel (la cour d’appel a deux mois pour fixer une date) ; le Spip de Rennes, celui de Beauvais : ils invoquent tous une impuissance administrative. Nous avons eu plusieurs fois le service du Contrôle des lieux de privation de liberté au téléphone et ils nous ont assurés avoir fait tous les courriers pour faire fixer au plus vite la date de l’audience, et en attendant, pour demander le transfert de Kaoutar… Son avocate a aussi fait les mêmes démarches.

Nous vous alertons pour aider Kaoutar dans cette nouvelle épreuve en demandant l’application de la loi pénitentiaire, selon laquelle Kaoutar doit pouvoir « bénéficier » d’une cellule individuelle en tant que condamnée. Nous demandons que le jugement d’appel de la décision du tribunal d’application des peines de Rennes soit fixé au plus vite. Et nous rappelons aussi aux autorités pénitentiaires que s’il lui arrive quelque chose (transfert dans un HP, tentative de suicide…), ils ne pourront pas dire qu’ils n’ont pas été informés. Nous avons pour notre part écrit à la Chancellerie, à la direction régionale de l’AP de Lille, à la direction de la prison de Beauvais.

Enfin, lui envoyer un petit mot pour lui dire que d’autres personnes sont informées de ce nouveau mauvais coup de l’AP, cela lui donnerait des forces…

Kaoutar Chtourou, pas besoin de numéro d’écrou,
Maison d’arrêt, 2, rue Bossuet
BP 80698
60006 Beauvais cedex.