« Nous ne connaissons pas assez le cas soral pour même le mentionner dans nos lignes » Activeast, Positionnement & Réponse à Alsace Libertaire (30 juillet 2011).

A celles et ceux nous rejoignant en route, nous signalons avoir très clairement démontré, dans le texte Critique et positionnement, partie II.1 – Activeast, relai exhaustif de la fachosphère que non seulement Activeast est, sinon partisan, au minimum concerné non seulement par Soral (et Dieudonné) mais en plus par toutes les productions ou les problématiques fascistes et néo-nazies actuelles : ce qu’ont confirmé les articles Collage de « La dissidence » à Strasbourg – alerte antifasciste montrant qu’Activeast a fait des appels du pied à ce tout récent groupuscule national-socialiste proche d’Egalité et Réconciliation ainsi que l’analyse le groupe autonome Mary Read dans Retour historique du national-socialisme et guerre sociale. Ces articles sont documentés, et les références sont explicitées. Nous nous attaquons maintenant, après avoir pris soin de contextualiser les sources d’informations d’Activeast et de préciser notre rapport à ce qu’on nomme la « liberté d’expression » (dans le texte Critique et positionnement, partie I – A propos de la tolérance vis-à-vis d’Activeast et des thèses conspirationnistes), à la critique de l’idéologie propre des tenant-e-s du site Activeast, totalement propice à l’infiltration ou au renforcement de forces d’extrême-droite. Quant à savoir si cela est consciemment assumé ou non, nous n’en savons rien et cela nous importe peu : néanmoins le constat est sans appel, à Activeast et aux personnes proches de lui de réagir. Nous estimons avoir fourni assez de matière pour cela.

On peut d’ailleurs déjà observer une évolution récente dans son positionnement : si au début les auteur-e-s défendaient une posture frontiste classiquement sociale-démocrate en martelant qu’abstraction faite de l’extrême droite (qu’ils ne définissaient pas, se bornant à citer Lepen, et parfois Soral ou Dieudonné)1 « toutes les luttes sociales pour notre dignité vont dans le même sens »2 (ce qui les conduisaient à unifier des positions aussi hétéroclites et contradictoires, voire aussi vides de sens, que « les anars » (lesquels ?3), « les patrons qui pensent à la paix » (quelle paix ?), « les syndicats » (lesquels ?) ou ZeitGeist), aujourd’hui Activeast défend l’idée « d’être un relais informatif de ce qui se fait en matière de critique et de rupture avec le système »4, et ce en incluant l’extrême-droite puisque « l’opposition au système […] est partagée […] par certains courants de droite, identitaires / nationalistes » !5

Les choses ont le mérite d’être claires. Ainsi le cas de Soral est significatif : au début classé par Activeast dans l’extrême-droite aux côtés de Lepen et Dieudonné, Soral et Dieudonné disparaissent d’abord de ce classement6, et voilà qu’Activeast prétend maintenant ne pas assez connaître Soral pour pouvoir émettre un jugement sur lui, alors que notre dernier texte présentait un certain nombre de liens susceptibles de donner une idée du personnage et de sa clique. On notera d’ailleurs qu’Egalité et Réconciliation a affiché de manière opportuniste son soutien à Activeast7, sans trop savoir ce que c’est : voilà donc une occasion pour les auteur-e-s du site de se positionner vis-à-vis de lui. De plus, il n’est guère suffisant de déclarer, par principe, que « l’opposition au système n’est plus le monopole de la « gauche » [quelle gauche ? Quel monopole ? ; NDLA] »8, encore faut-il préciser ce que l’on entend par « opposition », « critique » et « système », ce que nous allons essayer d’expliciter dans ce texte9 – et, à partir de là, nous verrons alors pourquoi Activeast se révèle incapable d’appréhender et de remettre en cause les nouveaux visages de la réaction en relayant des critiques partielles sur le monde qui nous entoure.

« Le fascisme n’est pas, comme on a tendance à le croire, un mouvement purement réactionnaire, mais il se présente comme un amalgame d’émotions révolutionnaires et de concepts sociaux réactionnaires. » Reich Wilhelm, Psychologie de masse du fascisme.

« La situation sociale […] « capitaliste » n’est pas caractérisée […] par l’existence de capitalistes individuels, mais par l’existence d’un « mode de production spécifiquement capitaliste » » Ibid.

Les tous premiers reproches formulés à l’encontre d’Activeast ont amené ce dernier à tenter une légitimation de ce qui est nommé « conspirationnisme » ou « théorie du complot ». Aussi nous allons nous arrêter plus en détail sur ces termes10. Le conspirationnisme présent sur le site d’Activeast désigne des personnes qui « doutent » de « l’histoire officielle »11 de « l’ordre établi » parce qu’elles sentent « qu’on nous cache des choses importantes » et, en conséquence, « se rendent compte qu’on ne vit pas au pays des merveilles » – sentiment qui serait fondé puisqu’il y aurait effectivement « divers complots ourdis contre les peuples », complots chapotés en dernière instance par celui, encore plus occulte, des Illuminatis, supposés influents dans divers groupes ou sociétés clandestins dominant, grâce à leur présence dans certaines banques privées, les politiques des pays les plus puissants (principalement les Etats-Unis) afin de continuer à « façonner et piller la planète » pour leur profit pécunier via un renforcement autoritaire et centralisateur de leur pouvoir.

Une telle vision du monde social réactive, via sa vision statique et manichéenne d’un complot ourdi depuis longtemps contre « les peuples » par une élite diabolisable à souhait12, inamovible et clandestine (on peut même dire, puisqu’Activeast prétend se réclamer d’empirisme13, qu’elle est transcendante au monde social), les vieilles parades unitaristes et frontistes destinées à étouffer toute critique remettant en question leur hégémonie14 : critiquant la théorie du complot, nous n’avons logiquement d’autre choix que d’être « bêtes, méchants ou complices »15 ; que serions-nous d’autre ? La théorie du complot n’a pas de case prévue pour nous étant donné qu’il ne saurait y avoir de catégorie entre le « peuple » et les « Illuminatis » ; il s’agirait donc, puisque nous refusons la manipulation de luttes nous concernant16, soit de nous éduquer, soit de nous enfermer, soit de nous combattre – à moins, bien sûr, de faire un prix de gros et de combattre tout ce qui est considéré comme « bêtes et méchants ».

Avant d’aller plus loin, remarquons que le terme de « conspiration » est inapte à définir ce pseudo phénomène « d’élite mafieuse » contrôlant le monde : en effet, une conspiration se constitue, selon les propres informations données par Activeast (et corroborées à l’aide d’un dictionnaire ^^), « en vue de renverser un pouvoir établi » ou « d’attenter à la vie d’une personne d’autorité ». Or, il ne saurait être question de « conspiration » pour qualifier cette « élite » « d’Illuminatis » puisqu’elle détiendrait déjà tout pouvoir et toute autorité. Nous préférerons donc utiliser le terme de « Complot » (avec une majuscule, puisqu’il est censé désigner le complot des complots) lorsque nous ferons référence à celle-ci, ce dernier étant caractérisé par une association secrète constituée avec l’intention de nuire à quelqu’un ou quelque chose (en l’occurrence, ici, les « peuples »).

Il est évident que dans toutes ses productions écrites, Activeast n’a cessé d’appeler ou de chercher l’unité anti-Complotiste au sein des luttes sociales, et ce au prix, comme nous l’avons pointé, d’absurdités manifestes et paralysantes en termes d’analyses. Il est aussi évident, contrairement à ce que prétendent les auteur-e-s du site lorsqu’ils font mine de refuser le « nationalisme cocorico »17 de La Dissidence (sans refuser La Dissidence) que cette unité s’est cristallisée dans le patriotisme, dans le titillement de la fierté nationale : « Serait-ce toujours cet esprit franchouillard merdique, du moins dans son côté le plus détestable : […] tout le monde casse du sucre sur l’autre »18, « « Diviser pour mieux régner » n’a jamais été aussi bien imagé en france. Et sûrement ailleurs, mais ici on a des champions. »19, « Mais apparemment, les français n’ont pas cette vision »20, « Finalement la France est fière de ses acquis, mais râleuse comme elle est, elle est se permet de juger »21, « Mon dieu, pauvre France… »22, « Montre l’exemple, France ! »23, « Le peuple américain est dans sa majorité, maintenu dans une sorte de léthargie intellectuelle, sous-informé, DES-informé, manipulé, maintenu pour beaucoup dans des croyances religieuses exacerbées, nationalistes, patriotiques »24 (un peu de racisme ne fait jamais de mal)… Rien d’étonnant à cela lorsque la seule catégorie à opposer au Complot est « les peuples »… Les thèses Soralienne de libérations nationales sont toutes proches, et, là encore, il n’y a donc rien d’étonnant à tomber majoritairement, en suivant les liens des sites fournis par Activeast, sur les thèses nauséabondes d’Egalité et Réconciliation, aimant à parler d’un certain Complot américano-sioniste… Là où Activeast dénonce un amalgame, nous parlons d’accointance idéologique25. Et ce n’est pas l’impérialisme techno-totalitaire d’un ZeitGeist qui réfutera ces vues26. Par ailleurs, nous nous permettons une petite parenthèse pour relever que Legardien De la Terra, responsable de ZeitGeist Alsace et qu’Activeast soutient27, affiche également une bonne appréciation d’Egalité et Réconciliation et des Brigades de la Dissidence. Va-t-on encore nous accuser d’amalgamer des choses ?

Qu’il existe des complots, des conspirations, des groupes de pression, des réunions propres à la bourgeoisie dominante (ou aux dominé-e-s), etc., cela, nul ne songerait à le nier (et ceux qui le nient ne sont effectivement pas nos amis – voir à ce sujet l’article de Patrick Champagne et Henri Maler sur le rôle de la propagande anticomplotiste dans les médias dominants28) : mais nous nions que ces mécanismes soient le coeur vital de nos oppressions29. Ainsi, affirmer cette position ne nous empêche pas d’être radicalement contre la « théorie du Complot »30 ou même contre la théorie des complots, non seulement à cause de ce que nous venons d’énoncer ci-dessus, mais aussi parce que cette vision est avant tout une vision moralisante, et donc idéologique31, de l’histoire : notre misère et notre condition de dominé-e-s, exploité-e-s, opprimé-e-s proviendrait d’une intention consciente de nuire réalisée par des êtres immondes avides de profit (bref, qui sont notre envers, c’est-à-dire, inhumains : parfaits boucs-émissaires fondant une réconciliation classiste typique du fascisme ou de la sociale-démocratie – ils ne s’opposent pas, et l’un n’est pas mieux que l’autre32).

Nous avons déjà développé notre opposition à cette idée, que nous trouvons dangereuse, dans notre premier texte : l’exploitation de l’homme se fait par l’homme, et ces derniers peuvent et sont souvent dépassés par un rôle social qu’ils ne contrôlent pas33. Nier cela, c’est, d’une part, croire que les mécanismes perpétuant les rapports sociaux oppressifs nous sont totalement extérieurs sans que nous y jouions une part active, et c’est, d’autre part, croire que la base matérielle de ces rapports sociaux n’exerce en elle-même aucune influence dans la construction de ces rapports. Dans les deux cas est entretenue l’idée fausse qu’il suffirait de se débarrasser d’une immorale caste parasitaire faisant un mauvais usage de ces structures pour régler les problèmes, le tout soutenu par la diffusion d’une « masse critique de conscience »34 destinée à impulser le changement : nous conchions la « subversion par la connaissance » ou les mouvements de « révolution de conscience » à la ZeitGeist déplorant une perversion dûe aux « valeurs [consuméristes] qui soutiennent [le système] »35 pour prôner « un « anti­ca­pi­ta­lisme » qui se réduit à la défense du cor­po­ra­tisme contre le « capi­tal finan­cier » […], à une cri­ti­que des valeurs consu­mé­ris­tes, sans contenu de classe, sans lien avec la réa­lité des luttes popu­lai­res. »36

Ce sont les raisons pour lesquelles, contrairement à Activeast, nous n’espérons pas « un complet chamboulement politique »37, que nous ne regrettons pas l’absence « de dirigeants responsables et sincères »38 et que la non-« prise en compte » du « vote blanc »39 n’est pas l’argument qui fait que nous ne votons pas, mais que nous sommes attentifs à construire le rapport de force permettant une révolution sociale anti-autoritaire40 :

« La plupart des complots sont d’essence politique, et ceux qui les organisent ne sont conduits que par l’ambition de prendre le gouvernail de la chose publique et de remplacer au Pouvoir ceux qu’ils en auront chassés par la violence […]. Il est bien entendu que ces gestes de violence politique ne peuvent en rien intéresser les classes opprimées, sinon que dans la mesure où les troubles occasionnés par le Coup d’État consécutif au complot lui permettent, à la faveur des désordres, de créer un courant d’opinions déterminant non pas un changement de gouvernement, mais une transformation totale de l’ordre social établi. »41

Par ailleurs, si « l’argent » est bien un problème42, l’ériger comme cause unique de l’oppression sociale, qui plus est en partant d’une analyse sommaire et complotiste de sa création, ainsi que le fait ZeitGeist et que le comprend Activeast, c’est disqualifier, toujours au nom de ce réflexe frontiste, la légitimité et l’intérêt de toutes les luttes sociales radicalement anti-capitalistes, anti-sexistes, anti-racistes, … en réduisant toutes ces oppressions à un seul facteur alors que celles-ci, irréductibles en totalité les unes aux autres, se renforcent mutuellement (de plus, le sentiment de l’oppression et de l’injustice ne provient pas du fait « qu’on nous cache des choses » mais de l’expérience des violences et des humiliations subies quotidiennement). Là encore, il est facile de voir comment les discours d’extrême-droite promus, entre autres, par Soral et Egalité et Réconciliation savent jouer de ce réductionnisme pour diffuser leurs thèses réactionnaires43 sans, bien évidemment, que cela dérange les complotistes incapables de piper mot à propos de ces questions sociales :

« Monsieur Soral, il nous dit qu’on n’a pas à se plaindre, vu qu’on n’est pas chez nous, mais que si vraiment ça nous démange, on n’a qu’à aller se plaindre à Wall-Street ou auprès des sociétés secrètes, mais qu’en tout cas, on n’a pas à venir casser la tête aux français de souche qui n’ont rien à voir. […] Moi personnellement ça m’arrange cette explication comme quoi c’est la faute du Talmud et pas des français de souche parce que des français de souche, il y en a plein dans mon entourage. Par contre je connais pas de juifs de Wall-Street. Ni de franc-maçons. Du coup j’ai pas à me prendre la tête, et c’est autant de temps de gagné pour m’assimiler tranquillement dans la société française. »44

On notera que perdre son temps à s’interroger de manière fantasmatique sur un hypothétique génocide de la population humaine fomenté par on-ne-sait-trop-qui (mais en tout cas des méchants mystérieux – peut-être même que ce sont eux qui ont génocidé les dinosaures, allez savoir) remplit peu ou prou la même fonction.

Si nous avons pris le temps d’écrire tout ces textes, c’est aussi pour contribuer à la critique du Complotisme, autour duquel très peu de textes ont tourné, à notre connaissance, sur les réseaux alternatifs (à ce propos, si quelqu’un pouvait nous signaler s’il existe un compte-rendu de la conférence Conspirationnistes et droites extrêmes organisée le 20 mai 2011 au local du FSQP à Paris). Les quelques textes y faisant référence étaient plutôt des textes antifascistes. Aussi, merci de prendre nos textes sans doute incomplets comme des pistes lancées pour combattre cette mouvance Complotiste, terreau et alliée des droites extrêmes.

Enfin, un dernier mot à propos de l’hypocrisie d’Activeast (qui, dans sa nouvelle présentation, a pris pour emblème une flamme qui brûle – ça ne s’invente pas), continuant à se définir comme « antifasciste » et nous reprochant un manque de communication (!) : cette revendication « antifasciste » nous facilite la tâche puisque, s’il est indubitablement vrai que l’extrême-droite se renouvelle et infecte, parfois à leur insu, certaines critiques, les antifascistes sont parmis les premiers à tirer la sonnette d’alarme ; aussi, à moins que « l’antifascisme » d’Activeast soit au mieux une étiquette sociale-démocrate vide de contenu (et dans ce cas nous leur conseillons plutôt de chercher à se renseigner sur les droites extrêmes avant de chercher à redéfinir l’anarchisme45) au pire un trompe-l’oeil digne des autonomistes lorrains, il est impensable que les tenant-e-s du site n’aient pas été informés et aient continué à relayer autant d’informations de ces réseaux. Par ailleurs, point n’est besoin d’être un expert antifasciste pour qualifier comme nauséabond des sites diffusant Mein Kampf, affichant des croix gammées ou des drapeaux français partout.

Et, puisqu’Activeast continue à se demander « si nous sommes réellement du même bord » (sic), mettons les points sur les « i » : clairement pas, surtout en voyant les dernières positions prises par ces altermondialeux de plus en plus séduits par les sirènes du fascisme et légitimant les critiques des droites extrêmes au lieu de chercher à dénicher les fondements des nouvelles lignes de partage. Quant à la présence d’Activeast dans la future AMAP Si c’était ma terre, nous laissons Pannekoek conclure tous nos articles par cette mise en garde, dont les récents contacts entre Activeast et les Brigades de la Dissidence ont rappelé la pertinence :

« Dès le début le national-socialisme accorda une attention toute particulière aux paysans. Le programme de tout parti petit bourgeois parle de libérer les paysans de l’exploitation qui résulte du crédit hypothécaire et bancaire. »46

Des anarchistes.

Annexe – Quel antifascisme aujourd’hui ? (par la Coordination des Groupes Anarchistes)

Le nécessaire bilan de deux décennies « d’antifascisme » La lutte contre le fascisme a jusqu’à son effondrement temporaire, été souvent amalgamée en France avec la lutte contre le Front National et les idées racistes et réactionnaires qu’il véhicule. Or le Front national n’est pas à proprement parler un parti fasciste, même s’il comporte une composante fasciste. C’est un parti d’extrême-droite nationaliste, qui a pendant longtemps fait coexister des tendances idéologiques différentes, depuis les nostalgiques de l’Algérie française, jusqu’au catholicisme intégriste, et pour un certain temps, les nationalistes révolutionnaires. Il a représenté pen­dant long­temps la face visi­ble et la plus expli­cite d’un natio­na­lisme qui irri­gue la classe poli­ti­que en France, de la droite à la gauche voire à une partie de l’extrême-gauche.

Il a repré­senté la for­mu­la­tion expli­cite des consé­quen­ces idéo­lo­gi­ques de ce natio­na­lisme : un dis­cours raciste et xéno­phobe, mais aussi sexiste et homo­phobe.

Il cor­res­pond au choix de la bour­geoi­sie fran­çaise, dans le contexte de crise lié au second choc pétro­lier, de pro­mou­voir une grille de lec­ture raciste et xéno­phobe pour mas­quer les anta­go­nis­tes de classe, et ainsi com­bat­tre le déve­lop­pe­ment de luttes popu­lai­res. Il a également béné­fi­cié des faci­li­tés accor­dées par la sociale-démo­cra­tie, dans une pers­pec­tive poli­ti­cienne, afin de briser sur le plan électoral l’influence de la droite.

La stra­té­gie anti­fas­ciste de riposte domi­nante pen­dant ces 20 der­niè­res années a été la créa­tion de fronts anti­fas­cistes spé­ci­fi­ques, larges et uni­tai­res, dont la domi­nante idéo­lo­gi­que a été un dis­cours moral, fondé sur les valeurs huma­nistes, dans les­quels les réfé­ren­ces de classe et à la nature du natio­na­lisme comme outil des clas­ses domi­nante a été dilué, voire com­plè­te­ment mas­quée. Même si les liber­tai­res, comme d’autres grou­pes d’extrême-gauche, ont tenté de visi­bi­li­ser cette dimen­sion au sein de ces fronts, ils n’ont pu se faire enten­dre de manière audi­ble, ce qui a amené à une pré­do­mi­nance du dis­cours répu­bli­cain en matière « d’anti­fas­cisme ». Cela a sou­vent amené les liber­tai­res à faire les « peti­tes mains » de fronts anti­fas­cis­tes qui pro­mou­vaient une appro­che clas­siste du fas­cisme.

« L’anti­fas­cisme radi­cal » n’échappe pas à ce cons­tat. Malgré la volonté et les ten­ta­ti­ves de relier la lutte contre le fas­cisme à la lutte contre le capi­ta­lisme, la dimen­sion spé­ci­fi­que de ce cou­rant a sou­vent évolué vers une ten­dance à réduire la lutte contre le fas­cisme à la lutte contre les fas­cis­tes, à se conten­ter d’une « riposte » qui pla­çait néces­sai­re­ment la lutte sur le ter­rain même du fas­cisme, lui lais­sant l’ini­tia­tive poli­ti­que, voire dans cer­tai­nes de ses expres­sions, au folk­lore plus qu’à l’action poli­ti­que. Une chose est sûre c’est que le déve­lop­pe­ment des idées natio­na­lis­tes, racis­tes et xéno­pho­bes n’a pas été stoppé, et qu’il a même été donné crédit à la rhé­to­ri­que du fas­cisme qui a ainsi pu se pré­sen­ter comme « anti­sys­tème », comme « révo­lu­tion­naire ».

Un autre aspect de ce bilan est qu’une telle appro­che foca­li­sée sur une orga­ni­sa­tion, le FN, est passé à côté de la réa­lité idéo­lo­gi­que du fas­cisme, à savoir sa stra­té­gie d’implan­ta­tion « méta­po­li­ti­que », c’est-à-dire en conqué­rant une influence idéo­lo­gi­que par la culture, mais aussi par un patient tra­vail d’implan­ta­tion sociale. Elle a également eu pour effet d’empê­cher de saisir les « nou­vel­les » formes et ten­dances du fas­cisme, celui de la réor­ga­ni­sa­tion d’un cou­rant fas­ciste authen­ti­que, alliant racisme, anti­sé­mi­tisme et rhé­to­ri­que « anti­ca­pi­ta­liste », alliant dis­cours social et natio­nal, et se déve­lop­pant hors de la sphère clas­si­que et iden­ti­fiée du fas­cisme fran­çais, puisqu’il s’enra­cine et se déve­loppe également au sein des mino­ri­tés natio­na­les.

Analyser le fas­cisme comme ten­dance Définir le fas­cisme

Qu’est-ce que le fas­cisme his­to­ri­que­ment ? C’est l’alliance entre dis­cours social et natio­nal, la for­ma­tion d’une « droite révolutionnaire » qui remet en cause l’idéo­lo­gie démo­cra­ti­que bour­geoise, se vit comme « révo­lu­tion­naire », mais sert les inté­rêts de la bour­geoi­sie en bri­sant les luttes popu­lai­res et toute pers­pec­tive révo­lu­tion­naire. C’est aussi un dis­cours voyant la société — amal­ga­mée à la « nation », ce mythe au ser­vice de la bour­geoi­sie — comme un « orga­nisme » qu’il faut puri­fier (des « enne­mis inté­rieurs » que sont les mino­ri­tés natio­na­les et les étrangers, mais aussi les sub­ver­sifs), diri­ger et défen­dre contre elle-même, en la gui­dant d’une main de fer.

C’est un dis­cours idéo­lo­gi­que qui se fonde sur une vision raciste ou eth­no­dif­fé­ren­cia­liste iden­ti­taire (racisme bio­lo­gi­que ou cultu­rel) qui divise l’espèce humaine en grou­pes aux­quels il assi­gne une « race », une iden­tité essen­tia­li­sée, c’est à dire une ensem­ble de carac­te­ris­ti­ques sté­réo­ty­pi­ques. C’est enfin un dis­cours assi­gnant ces iden­ti­tés à un ter­ri­toire, autour d’une mys­ti­que de la terre et des morts (cf. Maurras, l’un des théo­ri­ciens fran­çais du fas­cisme). C’est une idéo­lo­gie qui oppose le capi­ta­lisme indus­triel, cor­po­ra­tiste, consi­déré comme « authen­ti­que », au capi­ta­lisme finan­cier, arbi­trai­re­ment séparé, et amal­gamé aux juifs par le dis­cours anti­sé­mite, ce qui permet de pro­té­ger la classe capi­ta­liste par une stra­té­gie de bouc émissaire.

Le fas­cisme et la crise

Dans une période de crise d’adap­ta­tion capi­ta­liste, le fas­cisme est l’ultime recours du capi­ta­lisme et de la bour­geoi­sie : pour briser toute résis­tance des clas­ses popu­lai­res à ses offen­si­ves, mais aussi pour « mettre de l’ordre » en son sein. Tant que son pou­voir n’est pas remis en cause, la bour­geoi­sie a inté­rêt à pré­ser­ver le cadre de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive, car le pou­voir d’influence est la forme de pou­voir la plus effi­cace et la plus économique. Mais dès lors que ce pou­voir est fra­gi­lisé, la ten­ta­tion fas­ciste sus­cite rapi­de­ment l’adhé­sion de larges sec­teurs de la bour­geoi­sie.

Dans la période actuelle, la crise économique et sociale capi­ta­liste a sus­cité un cer­tain nombre de résis­tan­ces popu­lai­res qui inquiè­tent la bour­geoi­sie. Parallèlement, elle béné­fi­cie depuis plus de dix ans d’un avan­tage cer­tain dans la lutte des clas­ses liée à la désor­ga­ni­sa­tion du mou­ve­ment ouvrier à l’échelle inter­na­tio­nale :

Du fait de l’effon­dre­ment de l’URSS, la fin de l’illu­sion sta­li­nienne a marqué l’affai­blis­se­ment des mou­ve­ments de clas­ses qui se situaient en réfé­rence à l’Union sovié­ti­que. Faute d’un projet révo­lu­tion­naire alter­na­tif, c’est le fata­lisme et le sen­ti­ment de l’immua­bi­lité du sys­tème capi­ta­liste qui s’est ins­tallé dans de larges sec­teurs des clas­ses popu­lai­res.

L’inté­gra­tion d’une partie du mou­ve­ment ouvrier par le sys­tème capi­ta­liste, lié à la bureau­cra­ti­sa­tion et à l’électoralisme, a affai­bli l’auto­no­mie de celui-ci et l’a rendu dépen­dant de la poli­ti­que sociale-démo­crate.

Cet avan­tage, la bour­geoi­sie veut le pous­ser et c’est ce qui l’amène à mener une offen­sive sans pre­cé­de­nt contre les conquê­tes socia­les popu­lai­res, qu’elle n’est plus contrain­te de conser­ver pour pré­ve­nir une dyna­mi­que révo­lu­tion­naire, puis­que l’exis­tence d’une alter­na­tive au capi­ta­lisme n’est plus portée que par une frac­tion très res­treinte du mou­ve­ment ouvrier et des clas­ses popu­lai­res, inau­di­ble pour le plus grand nombre, en partie du fait de la puis­sance des relais idéo­lo­gi­ques de la bour­geoi­sie.

La stra­té­gie de « contre-révo­lu­tion pré­ven­tive », appli­quant notam­ment la doc­trine de la guerre révo­lu­tion­naire à la ges­tion de la contes­ta­tion sociale, est à l’œuvre.

La doc­trine de la guerre révo­lu­tion­naire repose sur deux aspects : isoler un « ennemi inté­rieur » réel ou dési­gné du corps social. Créer dans ce sens des hié­rar­chies par­al­lè­les visant à saper la base sociale de cet « ennemi inté­rieur », c’est-à-dire les liens qu’il entre­tient avec la popu­la­tion.

Le statu quo aujourd’hui qui permet au capi­ta­lisme de se main­te­nir, sans explo­ser sous les contra­dic­tions qui le tra­vaillent, est lié à la capa­cité d’adap­ta­tion de celui-ci, et plus lar­ge­ment des sys­tè­mes de domi­na­tion. Il est lié à l’absence de pers­pec­tive révo­lu­tion­naire, faute de pers­pec­tive (projet de société alter­na­tive) et de dyna­mi­que d’auto-orga­ni­sa­tion de masse.

Mais l’État et la bour­geoi­sie savent que ce statu quo est pré­caire, et ten­tent de pré­ser­ver l’avan­tage en menant une offen­sive géné­ra­li­sée qui vise non seu­le­ment à faire payer la crise aux tra­vailleu­ses et tra­vailleurs, et ainsi pour elle se « refaire », mais aussi à les démo­ra­li­ser. Mais elle s’ins­crit plus lar­ge­ment dans la logi­que sys­té­mi­que du capi­ta­lisme, celle de l’appro­pria­tion d’une part tou­jours plus impor­tante des riches­ses créées par les tra­vailleu­ses et tra­vailleurs.

La situa­tion sur le plan inter­na­tio­nal

Cette situa­tion est visi­ble clai­re­ment sur le plan inter­na­tio­nal. On assiste à un triple mou­ve­ment : Le ren­for­ce­ment des outils de coer­ci­tion des États et des régi­mes coer­ci­tifs visant à répri­mer les mou­ve­ments popu­lai­res liés à la révolte des clas­ses popu­lai­res contre leurs condi­tions de vie ; Le déve­lop­pe­ment de mou­ve­ments popu­lai­res pous­sés par la néces­si­tés, qui se confron­tent aux inté­rêts de la bour­geoi­sie et des États, pour défen­dre leurs inté­rêts ; Et enfin le déve­lop­pe­ment de cou­rants idéo­lo­gi­ques qui s’ins­cri­vent dans la défense des inté­rêts de la bour­geoi­sie confrontée à ces sou­lè­ve­ment, mais qui se pré­sen­tent comme « révo­lu­tion­nai­res » et « anti­ca­pi­ta­lis­tes ». Ces ten­dan­ces cor­res­pon­dent aux dif­fé­ren­tes formes que pren­nent le fas­cisme.

En Europe, on cons­tate le déve­lop­pe­ment de mou­ve­ments natio­na­lis­tes, et notam­ment « natio­na­listes révo­lu­tion­nai­res », qui se tra­dui­sent à la fois par des vio­len­ces contre les mino­ri­tés natio­na­les (Arabes, Noirs, Juifs, Rroms…), et contre les mili­tant-e-s anti­fas­cis­tes et pro­gres­sifs (agres­sions de cama­ra­des en Russie, en Serbie, etc…). Aux États unis, on cons­tate le déve­lop­pe­ment de grou­pes natio­na­lis­tes et racia­lis­tes, depuis les supré­ma­cis­tes blancs jusqu’aux « Minute Men » ser­vant d’auxi­liai­res à la poli­ti­que de répres­sion de l’immi­gra­tion amé­ri­caine. En Amé­ri­que du Sud, le déve­lop­pe­ment de grou­pes para­mi­li­tai­res de type natio­na­lis­te et de grou­pes néo-nazis répond aux mêmes dyna­mi­ques.

En Turquie, les grou­pes fas­cis­tes tels que les Loups gris mènent une poli­ti­que de vio­lence et de ter­reur fas­ciste contre les mino­ri­tés natio­na­les kurdes, armé­nien­nes, les mino­ri­tés reli­gieu­ses (hale­vis), et les mili­tant-e-s révo­lu­tion­nai­res. Dans un cer­tain nom­bres de pays où la reli­gion musul­ma­nes est majo­ri­tai­re, les grou­pes qui assu­ment ce type de poli­ti­que se cachent der­rière le masque de la reli­gion : nervis fas­cis­tes ira­niens se récla­mant de l’islam qui répri­ment et atta­quent les mili­tant-e-s ouvriers et fémi­nis­tes ira­nien-ne-s, fas­cis­tes ou réac­tion­nai­res reli­gieux tels que les Frères musul­mans, les sala­fis­tes, les mili­tant-e-s du FIS en Algérie, qui ser­vent de sup­plé­tifs à la répres­sion antiou­vrière et anti­fé­mi­niste, ainsi que de « fausse oppo­si­tion » et de « fausse alter­na­tive » à des pou­voirs natio­na­lis­tes dis­cré­di­tés, qui mènent eux aussi une répres­sion directe des luttes popu­lai­res.

Ce type de mou­ve­ment existe également dans bon nombre de pays catho­li­ques ou ortho­doxes, à tra­vers notam­ment des mou­ve­ment réac­tion­nai­res reli­gieux qui assu­ment ce type de poli­ti­que.

La situa­tion en France

La période récente se tra­duit par une montée en puis­sance du natio­na­lisme, entre­tenu notam­ment par le pou­voir poli­ti­que, mais aussi les relais média­ti­ques et idéo­lo­gi­ques de la bour­geoi­sie. Si ce natio­na­lisme irri­gue la quasi tota­lité des cou­rants poli­ti­ques, depuis la gauche colo­niale jusqu’à l’extrême-droite, les cou­rants fas­cis­tes sont le fer de lance de sa dif­fu­sion en milieu popu­laire, au moyen d’une rhé­to­ri­que « sociale » pseudo-anti­ca­pi­ta­liste. Au sein des caté­go­ries de popu­la­tion dési­gnée par l’idéo­lo­gie natio­nale comme cons­ti­tuant le « corps natio­nal », le fas­cisme joue un rôle mobi­li­sa­teur pour les inté­rêts de la bour­geoi­sie, en pré­sen­tant la vio­lence sociale non pour ce qu’elle est, le résul­tat du capi­ta­lisme, mais pour l’effet de l’action « d’enne­mis inté­rieurs » ou « d’enne­mis exté­rieurs ». Ces « enne­mis inté­rieurs » et « extérieurs » sont dési­gnés comme étant les mem­bres de mino­ri­tés natio­na­les, reli­gieu­ses, sexuel­les du pays, ou les étrangers. En contexte de crise, c’est la ten­dance « socia­liste-natio­nale » qui se déve­loppe le plus rapi­de­ment, autour notam­ment d’un anti­sé­mi­tisme viru­lent (qui se masque der­rière un dis­cours pré­ten­du­ment anti­sio­niste) réac­ti­vant la figure de bouc émissaire du Juif, d’une isla­mo­pho­bie viru­lante (sub­sti­tuant ou le plus sou­vent ajou­tant à la figure bouc-émissaire du Juif celle du Musul­man), et plus lar­ge­ment d’un racisme « décom­plexé ».

Cette ten­dance « socia­liste-natio­nale » est repré­sentée par plu­sieurs orga­ni­sa­tions se récla­mant plus ou moins ouver­te­ment du natio­na­lisme révo­lu­tion­naire : Égalité et réconci­lia­tion et ses alliés (Dieudonné et les relais de l’État d’Iran en France que sont les mili­tants du centre Zahra), qui pri­vi­lé­gie un front anti­sé­mite visant à mobi­li­ser au côté des natio­na­lis­tes fran­çais une partie des per­son­nes appar­te­nant à la mino­rité natio­nale arabe. Les iden­ti­tai­res qui pri­vi­lé­gient un front « anti­mu­sul­man » qui vise à mobi­li­ser au côté des natio­na­lis­tes révo­lu­tion­nai­res euro­péens les cou­rants racis­tes qui se cachent der­rière une « laïcité » à deux vitesses, et une partie des per­son­nes appar­te­nant à la mino­rité natio­nale juive (notam­ment la frange fas­ciste du sio­nisme, comme en témoi­gne l’orga­ni­sa­tion d’une mani­fes­ta­tion com­mune iden­ti­tai­res-LDJ devant l’ambas­sade d’Israël).

Enfin, à cela s’ajoute la frac­tion mari­niste du FN qui tente de déve­lop­per un dis­cours « natio­nal et social » proche de celui des iden­ti­tai­res, mais qui dif­fère en ce qu’il pri­vi­lé­gie un cadre natio­na­liste fran­çais au cadre natio­na­liste euro­péen (supré­ma­ciste blanc) des iden­ti­tai­res.

Toutes ces ten­dan­ces ten­tent de dévier la révolte sociale vers une appro­che natio­na­liste, xéno­phobe et raciste, en se pré­sen­tant comme « révo­lu­tion­nai­res ». Leur radi­ca­lité for­melle leur permet d’amener aux thèses natio­na­lis­tes une partie des tra­vailleu­ses et tra­vailleurs en révolte contre le sys­tème capi­ta­liste, à tra­vers un « anti­ca­pi­ta­lisme » qui se réduit à la défense du cor­po­ra­tisme contre le « capi­tal finan­cier », à pré­sen­ter la nation comme un recours contre la « finance inter­na­tio­nale », à une cri­ti­que des valeurs consu­mé­ris­tes, sans contenu de classe, sans lien avec la réa­lité des luttes popu­lai­res. C’est en ce sens que ces cou­rants dif­fè­rent des cou­rants natio­na­lis­tes de la droite clas­si­que : en période de crise ceux-ci appa­rais­sent trop ouver­te­ment comme les repré­sen­tants de la classe bour­geoise (en témoi­gnent les affai­res Béttencourt, etc…), et sus­ci­tent donc la méfiance au sein des clas­ses popu­lai­res. Alors que la radi­ca­lité de pos­tu­res des natio­na­lis­tes révo­lu­tion­nai­res, leur convic­tion d’être « révo­lu­tion­nai­res », leur permet d’atti­rer aux thèses natio­na­lis­tes des indi­vi­dus appar­te­nant aux clas­ses popu­lai­res, en mobi­li­sant les valeurs réac­tion­nai­res lar­ge­ment pré­sen­tes dans la société (sexisme, homo­pho­bie, chau­vi­nisme…).

Soral a ainsi d’abord cons­truit son image de « rebelle » sur un dis­cours anti­fé­mi­niste et homo­phobe, pré­senté comme un « refus du poli­ti­que­ment cor­rect », puis sur un anti­sio­nisme anti­sé­mite qui a visé à ins­tru­men­ta­li­ser la ques­tion pales­ti­nienne pour relé­gi­ti­mer l’anti­sé­mi­tisme his­to­ri­que des fas­cis­tes fran­çais. L’outil inter­net a donné une caisse de réso­nance impor­tante à des cou­rants au départ confi­den­tiels, qui ont su uti­li­ser les nou­vel­les tech­no­lo­gies (vidéos sur Dai­ly­mo­tion, You­tube), pour dif­fu­ser leur pensée. Ils ont également su uti­li­ser des pas­se­rel­les, sous la forme de sites inter­net relayant en lien leurs dis­cours ou de per­son­nes cau­tion­nant leur dis­cours (les uni­ver­si­tai­res « Bricmont », le jour­na­liste « Michel Collon ») au nom d’un « anti-impé­ria­lisme » hérité du sta­li­nisme ou du tiers­mon­disme d’une part, les pseu­dos laïques relayant un dis­cours racis­te (par exem­ple l’offi­cine raciste « Riposte laïque ») der­rière une pré­ten­due cri­ti­que de l’islam.

Sur inter­net par exem­ple, de nom­breux sites dif­fu­sent l’idée d’un « nouvel ordre mon­dial » (expres­sion qui pro­vient à l’ori­gine de la droite radi­cale amé­ri­caine) dirigé par les « sio­nis­tes » et les « illu­mi­na­tis ». Il ne s’agit de rien d’autre que du bon vieux dis­cours natio­nal-socia­liste et fas­ciste sur le « com­plot juif et franc-maçon mon­dial », qui a adopté une nou­velle forme pour contour­ner le dis­cours anti­fas­ciste et la légis­la­tion de l’État sur le racisme. Cette nou­velle forme du dis­cours sur le « com­plot judéo-maçon­ni­que » a des succès inat­ten­dus, au sens où de telles appro­ches sont repris par des musi­ciens de rap, y com­pris ceux qui affi­chent des sym­pa­thies liber­tai­res (par exem­ple Kenny Arkana), qui en igno­rent peut-être l’ori­gine, mais qui les bana­li­sent et contri­buent à leur dif­fu­sion dans la jeu­nesse popu­laire. On retrouve ces influen­ces dans les cou­rants fas­cis­tes ou natio­na­lis­tes spé­ci­fi­ques aux mino­ri­tés natio­na­les : ainsi, les sio­nis­tes de ten­dance fas­ciste de la Ligue de défense juive repren­nent le dis­cours raciste anti-arabe des iden­ti­tai­res ou la théo­rie du « choc des civi­li­sa­tions » et du danger isla­mi­que. À Belleville, des natio­na­lis­tes chi­nois ont orga­ni­sés une mani­fes­ta­tion « contre l’insé­cu­rité » au cours de laquel­les des pas­sants noirs ou arabes ont été pris pour cibles, dési­gnés comme des « voleurs » sur cri­tè­res racis­tes, ce qui a pro­vo­qué les applau­dis­se­ment des réseaux iden­ti­tai­res fran­çais (par exem­ple sur le site inter­net « Fran­çais de souche »).

De même une partie des cou­rants fas­cis­tes pana­ra­bes et des cou­rants fas­cis­tes se récla­mant de l’islam poli­ti­que repren­nent la rhé­to­ri­que anti­sé­mite issue du natio­na­lisme fran­çais.

Ces conver­gen­ces expli­quent le déve­lop­pe­ment de front com­muns entre natio­na­lis­tes fran­çais et natio­na­lis­tes se reven­di­quant des mino­ri­tés natio­na­les, qui peut appa­raî­tre sur­pre­nante au pre­mier abord, puis­que c’est le natio­na­lisme fran­çais qui en excluant Juifs et Arabes du corps natio­nal a « créé » de toutes pièces les mino­ri­tés natio­na­les, en créant dans le même temps les condi­tions de l’oppres­sion raciste des indi­vi­dus qui y sont alors assi­gnés par leur ori­gine et/ou leur cou­leur de peau.

Mais cela tra­duit au contraire la pro­fonde parenté idéo­lo­gi­que entre ces dif­fé­rents cou­rants, et le fait qu’ils se nour­ris­sent les uns des autres, au détri­ment des clas­ses popu­lai­res, et par­ti­cu­liè­re­ment des indi­vi­dus vic­ti­mes de l’oppres­sion raciste parce qu’assi­gnés à une « mino­rité natio­nale ». Cela montre qu’il n’existe pas d’alter­na­tive au racisme domi­nant dans le déve­lop­pe­ment d’un natio­na­lisme au sein des mino­ri­tés natio­na­les, puis­que celui-ci repro­duit le dis­cours raciste domi­nant et converge par­fois avec le natio­na­lisme domi­nant, mais au contraire dans le déve­lop­pe­ment d’un anti­ra­cisme popu­laire qui com­batte toutes les formes de racis­me, sur le plan idéo­lo­gi­que comme sur le plan pra­ti­que.

Les dif­fé­rents cou­rants fas­cis­tes ont pro­gres­sés sur le plan orga­ni­sa­tion­nel comme sur le plan de leur influence idéo­lo­gi­que et cultu­relle : ils ont ainsi réus­si à impo­ser leurs « sujets », leurs « appro­ches » dans le débat poli­ti­que : une appro­che éthno-dif­fé­ren­tia­liste des ques­tions poli­ti­ques et économiques au détri­ment d’une appro­che de classe, une rhé­to­ri­que fondée sur la « menace inté­rieure » ou « exté­rieure » que repré­sen­te­raient les mino­ri­tés natio­na­les ou reli­gieu­ses, au détri­ment de l’affir­ma­tion de la ques­tion sociale, etc… L’influence de l’idéo­lo­gie natio­na­liste a pro­gressé, et celle de l’idée de la « guerre du tous contre tous » également.

Dans le même temps les dis­cours ouver­te­ment sexis­tes ou homo­pho­bes, qui cons­ti­tuent également une partie du corpus fas­cis­tes, ont gagné du ter­rain. L’influence de l’idéo­lo­gie fas­cis­te dépasse de loin celle des grou­pes cons­ti­tués, mais ceux-ci pro­gres­sent quan­ti­ta­ti­ve­ment et orga­ni­sa­tion­nel­le­ment, notam­ment dans les cam­pa­gnes, mais aussi en ouvrant des locaux pignons sur rue dans plu­sieurs gran­des villes.

Il est également signi­fi­ca­tif que des dis­cours repre­nant les canons de l’idéo­lo­gie fas­ciste ne sont pas consi­dé­rés comme tels y com­pris au sein de la gauche et de l’extrême-gauche, voire d’une partie du cou­rant anar­chiste. C’est ce qui expli­que notam­ment l’invi­ta­tion de « Riposte laïque » sur Radio Liber­taire, la pro­mo­tion d’un livre déve­lop­pant l’idée de la défense de « valeurs de l’Occi­dent » aux Éditions du Monde Liber­taire, ou le tra­vail avec des orga­ni­sa­tions relayant le disc­ours des anti­sé­mi­tes comme Gilad Atzmon au nom de la soli­da­rité avec la Palestine. Ce qui expli­que par exem­ple la tolé­rance dont a long­temps béné­fi­cié Dieudonné au sein de l’extrême-gauche au nom d’une pos­ture « rebelle », cer­tains grou­pes le trou­vant fré­quen­ta­ble jusqu’à ce que celui-ci invite Faurisson sur scène.

On peut trou­ver des éléments d’expli­ca­tion dans la fai­blesse de réflexion sur le fas­cisme de « l’anti­fas­cisme des années 90 », qui s’est foca­lisé sur les grou­pes fas­cis­tes plutôt que sur leurs idéo­lo­gies (quand dans sa ver­sion gau­chiste ou social-démo­crate il ne s’est pas contenté d’une dénon­cia­tion du FN), qui a négligé la lutte idéo­lo­gi­que anti­fas­ciste pour se consa­crer exclu­si­ve­ment à la néces­saire (mais pas suf­fi­sante) lutte et auto­dé­fense contre les grou­pes fas­cis­tes cons­ti­tués. On peut aussi trou­ver une expli­ca­tion à cela dans l’amal­game fré­quent entre natio­na­lisme, fas­cisme et racisme. Or si le fas­cisme se nour­rit et fait la pro­mo­tion du racisme et du natio­na­lisme, il ne s’y résume pas, et réci­pro­que­ment : on retrouve l’idéo­lo­gie natio­na­liste dans une grande partie du spectre poli­ti­que, comme le dis­cours raciste. La spé­ci­fi­cité du fas­cisme réside dans le déve­lop­pe­ment d’un dis­cours social « anti­sys­tème » qui permet de recru­ter au sein des milieux popu­laire en période de crise des per­son­nes qui auraient pu être atti­rées par un réel dis­cours révo­lu­tion­naire.

Une réponse anar­chiste Cela sou­lève la néces­sité d’une contre-offen­sive idéo­lo­gi­que. Cela fait appa­raî­tre de manière d’autant plus criante la néces­sité d’une réponse poli­ti­que anar­chiste.

D’abord sous la forme d’une auto­for­ma­tion sur les formes que pren­nent les dis­cours racis­tes et fas­cis­tes au sein de notre orga­ni­sa­tion, et plus lar­ge­ment, dans le mou­ve­ment liber­taire et le mou­ve­ment social. Ensuite sous la forme du déve­lop­pe­ment de luttes popu­lai­res qui res­tent le meilleur moyen d’impo­ser nos thé­ma­ti­ques (lutte de classe, soli­da­rité, refus de la domi­na­tion mas­cu­line et de l’homo­pho­bie…) dans le débat poli­ti­que et de briser ainsi les ten­ta­ti­ves d’hégé­mo­nie cultu­relle des natio­na­lis­tes et des fas­cis­tes.

Enfin sous la forme du déve­lop­pe­ment d’une auto­dé­fense anti­fas­ciste qui évite le piège d’un tête à tête anar­chis­tes contre fas­cis­tes, qui pla­ce­rait l’État, et les cou­rants poli­ti­ques ins­ti­tu­tion­nels dans le rôle d’arbi­tres, usant tour à tour de la répres­sion pour l’un et pour l’autre, ce qui n’empê­che pas l’État par ailleurs de sou­te­nir ponc­tuel­le­ment les fas­cis­tes (en leur garan­tis­sant l’immu­nité ou en les pro­té­geant). Cette auto­dé­fense anti­fas­ciste, c’est une culture d’auto­dé­fense à déve­lop­per dans nos quar­tiers, nos lieux de tra­vail, nos asso­cia­tions, nos syn­di­cats, qui ne se résume pas à l’auto­dé­fense phy­si­que, néces­saire, mais aborde aussi l’auto­dé­fense idéo­lo­gi­que contre les offen­si­ves fas­cis­tes mas­quées der­rière des « pas­se­rel­les ».

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