Tout le monde parle « d’une page tournée » de l’histoire de la Serbie et de son désormais possible « futur euro-atlantique ». Ainsi, « Londres a salué la fin d’un « chapitre très malheureux dans l’histoire » de la Serbie. (…) Quant à la diplomatie italienne, elle juge que cela  »rapproche la Serbie davantage encore de l’Europe et de l’Union européenne » (…) Nicolas Sarkozy a souligné que l’arrestation de Mladić représentait une « étape de plus vers l’intégration de la Serbie à l’Union européenne » » (Le Monde, « Ratko Mladic a été arrêté », 26/5).

Sans aucun doute, la coalition au pouvoir en Serbie, dirigée par le Parti Démocratique de Boris Tadić, utilisera cet évènement pour essayer de calmer une tension sociale et politique de plus en plus forte dans le pays, ce qui n’est d’ailleurs pas du tout sûr. En effet, la Serbie a été durement frappée par la crise économique mondiale et développe depuis toute une série de luttes pour l’augmentation des salaires (qui sont en moyenne de 280 euros par mois), pour le paiement des arriérés de salaires, contre les mauvaises conditions de travail et contre les conséquences de la privatisation des anciennes entreprises étatiques. L’un des derniers exemples le plus important étant le mouvement de grève de trois mois cette année (du 28 février au 1er avril) des enseignants pour une augmentation des salaires, qui a incité d’autres secteurs à les suivre, notamment le personnel du secteur de la santé et de la justice. Ces secteurs avaient aussi organisé une manifestation à la mi-mars qui a réuni plus de 10 000 travailleurs à Belgrade. En ce sens, un dirigeant de l’Alliance des Syndicats Indépendants de Serbie avertissait : « Nous pouvons atteindre très rapidement une sorte de guerre sociale (…) Il y a plein de grèves, parce que les salariés sont conscients que les employeurs et l’Etat sont incapables de leur assurer une sécurité sociale » (SETimes.com, « Economy, social problems fuel Serb discontent », 24/04).

Par ailleurs, le Parti Progressiste Serbe (SNS), droite populiste, de Tomislav Nikolić, profitant de l’érosion du gouvernement Tadić parmi les masses, en appelle à des élections anticipées. Début février en effet, il a convoqué une manifestation qui a réuni plus de 50 000 personnes pour faire pression sur le gouvernement. Etant donné le contexte, les leaders du SNS ont quand même averti que « les citoyens [serbes] n’étaient pas dans la rue pour faire  »comme en Tunisie ou en Egypte » » (Le Courrier des Balkans, « Serbie : l’opposition réclame des élections anticipées  »d’ici au mois d’avril » », 6/2).

Dans ce contexte, il ne serait pas étonnant que le moment de l’arrestation de Mladić ait été le résultat d’un calcul politique de la part de Tadić et de ses partenaires, pour essayer de contrer la montée du SNS (qui est une scission plus « modérée » de l’ultranationaliste Parti Radical Serbe) tout en se présentant comme le gouvernement du « futur européen de la Serbie » afin de calmer la contestation sociale à travers des promesses, de moins en moins crédibles, d’un avenir meilleur au sein de l’UE.

Srebrenica : l’impérialisme est responsable aussi !

L’une des « prouesses militaires » par lesquelles Mladić est « réputé », mis à part le siège sanglant de Sarajevo, c’est la prise de l’enclave musulmane de Srebrenica et le génocide qui s’en est suivi. En effet, après la chute de Srebrenica le 11 juillet 1995, l’armée des Serbes procédait, sous les commandements de Ratko Mladić, à l’extermination de plus de 8 000 hommes musulmans « en conditions de combattre » et à la déportation des femmes et des enfants vers les « zones bosniaques ». Le tout devant le regard passif des troupes hollandaises de l’ONU.

Cependant, la « tragédie de Srebrenica » ne commence pas le 11 juillet 1995, mais bien avant. Cette ville de Bosnie orientale se trouvait encerclée par l’armée des Serbes de Bosnie dès le début de la guerre, l’objectif de celle-ci étant d’affamer les 40 000 habitants dont une bonne partie de réfugiés de villes et villages voisins. En 1993 le général français Philippe Morillon, alors commandant des forces de l’ONU (FORPRONU), va en personne à Srebrenica pour apporter des vivres ; quand le convoi de l’ONU tente de rentrer à Sarajevo, la foule le lui en empêche, dénonçant l’abandon dans lequel « les Occidentaux » les laissent face aux attaques des forces serbes. Après avoir passé deux jours retenu dans la ville, le général français se dirige vers la foule et lance : « Je suis venu de mon plein gré et j’ai décidé de rester ici, à Srebrenica ; vous êtes désormais sous la protection des forces de l’ONU ».

Après ce discours, l’ONU s’est vue obligée de déclarer la ville « zone de sécurité »… mais sous les conditions imposées par Mladić ! Celui-ci exigeait que les forces de résistance de la ville soient désarmées, ce que l’ONU a accepté et a imposé aux défenseurs de Srebrenica. Ainsi, les forces serbes avaient obtenu une première victoire inattendue grâce à « l’intervention humanitaire » de l’impérialisme : d’une part, la ville étant isolée et encerclée par les forces serbes, la défense de celle-ci par les troupes de l’ONU n’était qu’une promesse irréalisable ; d’autre part, les Serbes obtenaient le désarmement de ceux qui auraient pu les empêcher de prendre la ville. Les forces de Mladić n’attendaient que le moment opportun pour lancer l’assaut…

Ce moment arrive vers juillet 1995, quand il devient de plus en plus clair que l’on se dirige vers un partage du territoire de la Bosnie-Herzégovine, ce qui sera entériné par les accords réactionnaires de Dayton : « La tragédie de Srebrenica survient en effet alors que la guerre en Bosnie touche à sa fin, et que l’on cherche les voies d’une solution négociée. Préparant le mécanisme qui devait mener aux Accords de Dayton, le gouvernement de Sarajevo n’aurait-il pas « cédé » les enclaves de Bosnie orientale, indéfendables, en échange des quartiers de Sarajevo encore occupés par les Serbes ? Quelques jours après Srebrenica, la poche de Župa tomba à son tour, et l’assaut serbe se porta ensuite sur Goražde, qui ne s’était pas laissé désarmer et qui sut de défendre » (J.A. Dérens et C. Samary, Les conflits yougoslaves de A à Z, p. 362-363).

Ainsi, l’opération de « nettoyage ethnique » de Srebrenica, comme la déportation et le massacre des civils serbes de Krajina en Croatie lors de « l’Opération Tempête » de l’armée croate en août 1995, a été menée pour légitimer l’occupation des territoires et pouvoir ensuite les revendiquer comme « territoires nationaux » lors des négociations de partage des restes de l’ex-Yougoslavie. Dans la logique du plan réactionnaire de « partage ethnique » de la Bosnie-Herzégovine, le problème posé par des enclavées musulmanes dans le « futur territoire serbe », telles que Srebrenica, Župa ou Goražde, ne pouvait être résolu en fin de compte que par la conquête de celles-ci et une « épuration ethnique » postérieure. En ce sens, il est significatif que de ces trois villes, seule Goražde, qui a pu résister à l’attaque des forces serbes parce qu’elle ne s’était pas désarmée, fasse aujourd’hui partie de la Fédération Croato-Musulmane.

L’arrestation de Ratko Mladić est sans doute une bonne nouvelle, surtout pour les familles des victimes. Cependant, il est évident que dans sa cavale de plus de 15 ans, il y a eu des complicités de la part des responsables politiques et militaires serbes, mais aussi des dirigeants des puissances impérialistes. Divers analystes font notamment remarquer que pendant de nombreuses années, Mladić n’a pas eu besoin de se cacher : si tel a été le cas, il est vraisemblable que cela l’ait été suivant un souci pragmatique de « ne pas porter atteinte à un équilibre instable » après la signature des accords de paix de Dayton. On ne peut pas non plus penser qu’avec l’arrestation des « grands chefs » on puisse tourner la page. Il y a encore toute une série de « petits chefs » vivant en totale liberté sans être dérangés, car considérés moins politiquement exploitables, tel Brano Gojković, accusé par l’un de ses anciens soldats du 10° bataillon de sabotage de l’armée des Serbes de Bosnie d’avoir ordonné le massacre de plus de 1000 civils de Srebrenica le 16 juillet 1995 [[Voir « Un bourreau,  »Le 16 juillet, nous avons abattu mille civils » », Libération, 12/7/1996 (http://www.liberation.fr/monde/0109186474-srebrenica-le…pable)]]. .

Face à cette incapacité des institutions internationales impérialistes d’aller jusqu’au bout dans la punition des criminels de guerre, qui souvent sont protégés par les puissances impérialistes elles-mêmes, c’est le mouvement ouvrier des pays issus de l’ex-Yougoslavie qui doit prendre en main cette tâche. La mobilisation de indépendance des travailleurs pour juger et punir les criminels des guerres de l’ex-Yougoslavie qui ont introduit hier le poison nationaliste parmi les masses travailleuses pour les diviser, est le meilleur moyen pour lutter contre ceux qui aujourd’hui, dans un contexte de crise économique, seraient tentés d’attiser les tensions et les haines nationalistes pour diviser les travailleurs, et mieux appliquer les attaques contre leurs conditions de vie et de travail déjà très dégradées. Ce n’est que l’internationalisme prolétarien qui pourra assurer la fraternité et l’union entre les travailleurs des différents peuples et nationalités pour lutter contre leur ennemi commun : les bourgeoisies locales et l’impérialisme.

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