Rapport de l’observateur Ospkd concernant les habitants de la planète Terre *

({Je rédige ce rapport dans l’une des langues autochtones, afin de mieux vous imprégner de leur façon de penser. Une notice linguistique fera l’objet d’une prochaine communication. Les concepts en italique seront détaillés dans une annexe ultérieure.})

{{Ç}}a fait un bon moment déjà que j’observe la Terre et j’avoue humblement que je ne comprends pas tout. La majeure partie de l’activité de son espèce la plus agitée est pour le moins déroutante : celle-ci semble globalement passer son temps à détruire tout ce qui pourrait lui être utile et agréable, et à construire des choses qui lui sont au mieux inutiles, le plus souvent nuisibles. Son fonctionnement psychologique parait organisé autour de deux pôles principaux, opposés et complémentaires à la fois : d’un côté la {domination}, le {pouvoir} et l'{autorité}, de l’autre l'{obéissance} et la {soumission}.

{{J}}e sais, il faut faire un effort pour se familiariser avec ces notions, qui vous seront étrangères comme elles l’ont été pour moi au début de mon observation. La façon dont ses membres se pourrissent la vie avec l'{argent} par exemple, comment ils s’abîment dans ce qu’ils appellent {travail} (c’est à dire une activité dont l’intérêt pour celui qui la pratique et pour l’ensemble de la collectivité n’apparaît pas évident, qui semble plutôt relever d’une tradition ou d’une sorte d’envoûtement, et dont les sujets qui en sont privés, se sentant alors perdus, se mettent à remuer dans tous les sens comme les poulets qu’ils décapitent en certaines occasions – une autre de leurs traditions que je ne comprends pas), sont des mystères à la profondeur insondable. Cela ressemble à un gigantesque jeu {sado-masochiste}, pour prendre une référence dans leur culture.

{{L}}eurs civilisations dominantes ont exterminé les groupes qu’ils qualifient de {primitifs}, c’est à dire qui ne s’adonnaient ni à l'{argent} ni au {travail}. De manière générale, ils n’ont pas une grande considération pour les autres espèces qui peuplent leur planète. Lorsque c’est possible, ils soumettent tout ce qui n’est pas “ eux ”, qu’ils estiment {inférieur}. Lorsqu’ils envisagent des êtres extraterrestres, c’est pour craindre qu’ils leur soient {supérieurs} et leur fassent subir un sort similaire. Ils ont une tendance marquée à l’expansionnisme et il n’est pas à exclure qu’ils tentent de coloniser notre planète s’ils en apprenaient l’existence. Il paraît donc dangereux, dans l’état actuel des choses, d’entrer en contact avec eux. D’un autre côté leur exploration de l’espace les fera tôt ou tard tomber sur nous. Notre intérêt est qu’alors ils aient changé d’état d’esprit. Ce qui donne l’impression d’être possible par moment, une espèce d’ambivalence ayant l’air de les habiter.

{{L}}orsqu’ils font ce qu’ils nomment {grève} notamment (ce qui est actuellement le cas dans la contrée où je me trouve), leurs journées se mettent à ressembler aux nôtres : ils se parlent davantage, ils tentent de s’organiser par eux-mêmes pour les choses indispensables (nourriture, etc.), ils se mettent à penser dans tous les sens, ils remettent les aspects de leurs vies en question, bien souvent le duo {pouvoir}/{soumission} se met à leur paraître absurde. Leur temps n’est plus le même. Leur temps leur appartient. (Je ne parle pas ici, bien sûr, de certains {syndicalistes} ou {militants}, qui, à ce qui m’a été donné de voir, passent le plus clair du leur – de temps – à essayer de rendre les moments de {grève} aussi tristes et ennuyeux qu’une de leurs journées de {travail}.)

{{I}}l apparaît clairement que lorsque certains d’entre eux tentent de reprendre leur temps, ceux qui ont une position dominante au sein de leur organisation s’y opposent ; vraisemblablement parce qu’ils considèrent que c’est à eux d’en disposer à leur aise. Comment une chose pareille est-elle possible ?!… Et, plus surprenant encore, il y en a parmi eux, qu’ils portent ou non un uniforme, dont la façon singulière de perdre leur temps est d’empêcher les autres de retrouver le leur ! Ceux-là sont tout aussi dépossédés que n’importe qui, mais paraissent trouver satisfaction à exercer quelque pouvoir subalterne. En résumé, leur organisation repose sur d’obscures systèmes hiérarchiques, d’incompréhensibles constructions sociales et n’a d’autre finalité que la perpétuation de son propre fonctionnement. De telles attitudes, à l’échelle individuelle ou collective, ne peuvent sérieusement être interprétées que comme relevant d’une pathologie aiguë, comme révélant un état avancé de décomposition de ce qui constitue la vie.

{{C}}ependant, je perçois la possibilité d’un glissement de temps généralisé sur Terre. Je vois nombre d’entre eux désirer confusément autre chose, je vois la vie se débattre avec les surprenantes péripéties dans lesquelles elle s’est empêtrée en cet endroit précis de l’univers. Je ne peux m’empêcher d’éprouver de la tendresse pour ceux qui tentent de résister aux tendances dominantes de leur espèce que j’ai décrites ici. Leur souffrance doit être immense. La vie, nous avons eu maintes fois l’occasion de le constater, peut rejaillir là où on l’attend le moins. Un grand télescopage est possible, du temps subjectif peut émerger et toutes ces stupidités qui les encombrent peuvent disparaître aussi vite qu’une étoile s’éveille. C’est pourquoi j’ai décidé, contre votre avis, de prolonger mon séjour. Je vous tiens au courant de l’évolution de la situation.

Terre, octobre 2010
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* Ce rapport, on ne sait trop comment, a atterri chez l’un de nos membres.

Le Gang Déprimeur (http://legangdeprimeur.blogspot.com)