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Introduction

CES QUELQUES PAGES TRAITENT du dossier d’instruction judiciaire sur ce qui fut, en janvier 2008, la première affaire traitée par une juridiction antiterroriste concernant ce que policiers, juges et médias nomment « la mouvance anarcho-autonome », plus spécifiquement dans cette histoire « la mouvance anarcho-autonome francilienne ». Dans cette affaire, six personnes ont été mises en examen et ont fait de 4 à 13 mois de prison. Les faits reprochés sont divers : détention de fumigènes et de clous crève-pneus en manifestation, tentative d’incendie d’une dépanneuse de police, détention de produits pouvant rentrer dans la confection d’explosifs (chlorate de soude), détention de manuels de sabotages et de plans d’une prison pour mineurs (l’EPM de Porcheville). Ces six personnes sont maintenant soit sous contrôle judiciaire, soit en fuite ; aucune date de procès n’a été fixée. Pour rappel sur ces histoires : http://infokiosques.net/mauvaises_intentions

Il semblerait même que la justice n’ait pas du tout envie d’accélérer la procédure, le parquet a récemment prétendu avoir retrouvé une trace ADN de l’un des mis en examen sur un sabotage datant du mouvement anti-CPE de 2006, soit 4 ans après les faits et 18 mois après avoir prélevé son ADN. L’instruction a donc été rouverte. Pour rappel : http://nantes.indymedia.org/article/19423

Nous essayons donc dans cet article de reprendre et de résumer quelques éléments intéressants de cette instruction, tant d’un point de vue technique que d’un point de vue théorique. Il va sans dire que de nombreuses réserves doivent être soulignées dans ce type de démarches. D’un point de vue technique nous recopions des passages figurant dans l’instruction, écrits par des flics, des experts ou des juges (indiqués dans l’article entre « » et en italique). Nous ajoutons aussi des résumés ou des explications et interprétations écrits par nous-mêmes. Cela ne signifie évidemment pas que tous les dossiers sont similaires de ce point de vue. Surtout cela ne signifie pas que les flics ne soient pas capables de bien d’autres choses que ce qui est écrit. Par exemple dans notre dossier, il n’est jamais question de balises sur des voitures ou de micros dissimulés dans des appartements ; des techniques qui ont été utilisés dans d’autres affaires. Cela ne signifie pas non plus qu’ils ne l’aient pas fait dans notre affaire et que cela ne figure pas dans le dossier judiciaire. Bref, d’une manière générale les quelques exemples figurant dans ce dossier ne doivent pas être pris comme des généralités. Cet article présente quelques exemples figurant dans un dossier spécifique et rien de plus. Il nous a semblé néanmoins intéressant de publier et de partager ces quelques éléments, qui n’ont rien de bien neufs en soi, avec tous ceux qui un jour ou l’autre peuvent se retrouver dans des situations similaires.

Nous pensons d’ailleurs qu’il serait intéressant que ceux qui ont accès à des dossiers dans d’autres affaires en fassent de même, surtout quand ces dossiers concernent directement ou indirecte-ment bien plus de monde que les seuls mis en examen. Nous pensons évidemment en premier lieu aux inculpés de l’affaire dite de « Tarnac » qui n’ont jamais fait clairement cette démarche envers tous ceux qui pourraient être concernés tout en laissant le dossier entièrement ouvert à pleins de crapules journalistiques de passage (Le Monde dès mars 2009, L’Express, Libération…). Cette distorsion en dit long sur l’état d’esprit des mis en examen de cette affaire face à la justice, mais il est certain que les médias que nous avons cité sont les mieux placés pour faire passer leur discours démocrate policé sur les gentils petits étudiants que le méchant juge Fragnolli empêche de planter tranquillement des carottes. Et qu’on ne s’y méprenne pas, il n’est nullement ici question de régler des comptes mais de souligner l’inconséquence politique très grave de laisser des médias avoir accès à des données parfois sensibles ou intimes d’une instruction tout en refusant de le faire pour les proches qui peuvent être directement concernés.

Cet article ne prend pas en compte le récent ajout au dossier de la procédure concernant les sabotages SNCF durant le mouvement anti-CPE, nous nous limitons à la tentative d’incendie d’une dépanneuse de la police en mai 2007 et aux arrestations de janvier 2008. Ce qui signifie qu’il y a peu d’éléments de ce qu’on appelle une « enquête préliminaire », ou du moins d’une enquête avant les arrestations, et qui sont souvent les éléments les plus intéressants.

D’une manière générale dans un dossier, les pièces arrivent au fur et à mesure au greffe du tribunal selon le bon vouloir du juge d’instruction et du parquet, c’est d’ailleurs une de leurs techniques de tarder à transmettre des pièces qui ne vont pas dans leur sens. Par exemple dans notre histoire, deux personnes ont été arrêtées en janvier 2008 avec un fumigène en allant à une manifestation. Au bout de 24 heures de garde à vue une sorte de pré-expert avait déjà expliqué qu’il s’agissait d’un produit explosif, ce qui les arrangeait bien sur le moment pour gonfler l’histoire. Ensuite, la véritable expertise, admettant à demi-mot que ce mélange n’était pas explosif et était sans doute destiné à être consumé pour produire de la fumée, a été transmise à la défense au bout de sept mois. Entre-temps, l’affaire était passé à la juridiction anti-terroriste et deux copains avaient fait plus de quatre mois de prison chacun. Les pièces arrivant sous forme papier ou informatique sont classées en cotes. Une cote peut comporter de une à cent pages, cela dépend. Notre dossier comprend 840 cotes, soit environ plus de 5000 pages. C’est un aspect important, les dossiers sont longs, très chiants à lire, remplis d’inepties procédurières, genre des pages entières qui pourraient se résumer par : « Le mardi 7 avril, Julien Mabrut, troufion policier, a tenté de prendre contact avec Sandrine Valade, troufion expert, mais ça répond pas. Dont acte. ». Il faut donc une certaine habitude pour distinguer ce qui est intéressant et ce qui est purement procédurier. On se décourage rapidement devant des milliers de pages, c’est sans doute l’un des objectifs, et pourtant il est évidemment très important qu’un mis en examen connaisse parfaitement son dossier et ne s’en remette pas à son avocat, qui d’ailleurs ne lisent très souvent pas les dossiers.

De plus, au-delà de tout cet aspect procédurier, le dossier est parsemé d’incohérences plus ou moins voulues, et de directions d’enquêtes qui peuvent sembler absurdes au premier regard. Par exemple la présence d’un autocollant de Georges Ibrahim Abdallah sur le frigo d’un lieu perquisitionné va justifier des pages entières de renseignements sur lui et sur tous ces potes. Ou la découverte d’un article concernant l’EZLN (armée zapatiste au Chiapas) sur un ordinateur qui entraîne une dizaine de pages copié-collé de Wikipédia sur Zapata qui aura sans doute valu une très bonne note au flic en charge de cet exposé. Alors bien sûr il faut être prudent et la justice peut se servir de ces prétextes (autocollant, article sur un ordinateur…) pour donner une connotation au dossier dans le sens désiré, mais clairement les directions d’enquêtes semblent aussi être laissées à l’intuition du juge d’instruction qui ne sort jamais de son bureau. Dans d’autres exemples, on se rend compte que parfois les flics s’intéressent à quelqu’un en particulier et que pour des raisons pas très claires ils vont mettre les moyens pour le retrouver et l’interroger et que dans d’autres cas, ils laissent tomber après avoir passé quelques coups de téléphone infructueux. Il nous semble qu’il n’y a vraiment pas de généralités ni de cohérence très claire d’ensemble. D’une manière générale, l’aspect procédurier et intuitif des directions d’enquêtes nous semble très présent dans ce dossier. Ce dossier vient renforcer également une évidence, il faut se garder de ne pas tomber dans des logiques extrêmes qui voudraient soit que les flics sont complètement à la masse et ne comprennent rien à rien, soit qu’ils sont omniscients et qu’avant même le début de l’enquête ils savent déjà tout.

Il est aussi important de souligner que les enquêtes visent bien plus que des faits spécifiques reprochés, ils enquêtent au moins autant sur des profils à travers des enquêtes de personnalité, des expertises psychologiques et psychiatriques, des interrogatoires des parents… Cette démarche existe dans toute procédure criminelle. De plus dans notre affaire ils passent aussi du temps à tenter d’établir des liens entre des personnes, des groupes. Par exemple, dans une maison de campagne qu’ils ont liée à notre affaire, plus d’une dizaine d’ADN nucléaires inconnus ont été relevés et placés au fichier des empreintes génétiques (FNAEG) en attente d’être recoupés.

Nous l’écrivons avec les précautions habituelles mais nous avons noté dans notre dossier que les informations dites « de première main » (sous-entendu les infos directement récoltés par les flics sur le terrain, par d’éventuels indics, par les RG…) sont très peu nombreuses. L’essentiel de leurs infos et du contenu de leurs fiches de renseignements transmises concernent le recoupement d’informations policières et administratives : contrôles d’identité, gardes à vue… Toutefois cette histoire date maintenant d’il y a deux ans et on peut s’imaginer que leurs connaissance de terrain se soient améliorées depuis.

Il est difficile de distinguer avec précision ce qu’implique concrètement une instruction antiterroriste par rapport à une autre instruction. Il est évident que c’est en grande partie un effet d’annonce politique qui a été déjà analysé (cf http://infokiosques.net/mauvaises_intentions). Sans doute l’instruction est elle rallongée, sans doute les logiques soulignant l’existence d’une organisation avec ses chefs, ses mots d’ordre, ses consignes est-elle accentuée ; sans doute une attention spécifique est dédiée aux mis en examen en détention et les flics peuvent bénéficier de moyens plus importants. Toutefois le procès n’ayant pas encore eu lieu, il nous semble prudent de ne pas tirer trop de conséquences et de liens hâtifs entre la manière dont cette histoire a été instruite et le fait qu’elle soit sous juridiction antiterroriste.

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