Un immense trou dans une terre rouge et desséchée, des dizaines de corps d’enfants, de femmes et d’hommes y sont ensevelis. Tout autour une foule pleure. Au Nigeria, l’horreur a encore frappé. Dans la nuit du 6 au 7 mars plusieurs centaines de personnes, toutes chrétiennes, ont été massacrées. Ces nouvelles atrocités ont eu lieu dans trois villages de l’Etat du Plateau, région du centre du Nigeria qui sépare le Sud à majorité chrétienne du Nord de celui-ci à majorité musulmane. Sur les cadavres encore chauds, les différentes fractions bourgeoises se disputent comme de véritables charognards, en fonction de leurs intérêts, le nombre de morts à afficher.

Ce nouveau massacre perpétré par un groupe extrémiste pro-musulman se dénommant Boro Haram ne fait en réalité que suivre un chemin de tueries qui dure depuis plusieurs dizaines d’années. En janvier dernier, plus de 300 personnes, essentiellement des musulmans, avaient été tuées par des chrétiens à Jos et dans sa région. En dix ans, dans ce pays martyrisé, il y a eu officiellement 10 000 personnes assassinées. Et c’est en millions qu’il faut les compter depuis son indépendance en 1960 ! Au-delà de la haine qui s’est développée entre une partie de la population musulmane et chrétienne, des questions se posent cruellement. Qui sont les véritables responsables de tous ces massacres ? Qui attise le feu en permanence entre les différentes communautés ? Qui arme et protège les bourreaux des deux camps ?

« Le travail sanglant de l’impérialisme »

Le Nigeria est de très loin le pays le plus peuplé d’Afrique, 130 millions de personnes y survivent et y connaissent une situation de guerre permanente. De 1967 à 1970, il a connu une guerre qui fit à elle seule deux millions de morts. A cette époque, comme encore aujourd’hui, on a présenté cette guerre comme un simple conflit armé inter-ethnique et religieux, entre les Houassas musulmans du Nord et les Ibos chrétiens du Sud-Est. Ces derniers voulaient constituer un Etat indépendant dans le sud du pays en tentant de séparer la région du Biafra du reste du Nigeria. A cette époque, c’était encore l’impérialisme britannique qui gardait une influence majeure sur le pays et ceci malgré l’indépendance acquise quelques années plutôt. En encourageant la sécession biafraise, la France cherchait à affaiblir l’influence britannique en Afrique subsaharienne. La Côte d’Ivoire contrôlée par la France servit d’intermédiaire pour livrer des armes aux rebelles. Quand au Gabon et sa capitale Libreville, ils devinrent tout simplement la base arrière de l’aide politique et militaire de la France. Cette politique meurtrière et inhumaine n’a pas cessé depuis. A ce moment-là, l’impérialisme français n’est pas parvenu à contrôler le Nigeria, qui est resté un pays d’où partait la politique tentant de contrecarrer l’influence de la France dans toute région de l’Afrique de l’Ouest. Cette politique de la France a un nom tristement célèbre, on la nomme “Françafrique”. Elle concerne des pays comme : la Côte d’Ivoire, le Sénégal,, le Bénin, le Burkina-faso, le Mali ou encore le Niger. Elle n’est faite que de magouilles, turpitudes et massacres. C’est sous le règne de Sani Abacha de 1993 à 1998 que la France va effectuer un retour spectaculaire au Nigeria, venant ainsi contrarier l’influence de l’Angleterre et des Etats-Unis. Mais ces puissances ne vont pas non plus rester à leur tour inactives. Le retour au pouvoir d’Oluseguen Obansanjo en 1999 va permettre à l’impérialisme américain de reprendre pied dans ce pays.

« La “Françafrique” est toujours là »

Le nouveau président du Nigeria se présentait alors comme l’interlocuteur numéro un des Etats-Unis en Afrique de l’Ouest. Cette allégeance ne durera pas, car il se tournera vers le plus offrant, qui se révélera être à nouveau la France. Lors de sa visite à Paris en 2005 pour rencontrer Jacques Chirac, et chercher l’appui de l’Etat français pour l’annulation de sa dette, voilà ce qu’il déclarait : “La France peut faire preuve de leadership et de courage en la matière afin de récompenser un gouvernement qui réforme, un gouvernement qui dans une large mesure sécurise l’Afrique de l’Ouest et un gouvernement qui a montré du courage dans sa lutte contre la corruption.” Demande qui sera entendu cinq sur cinq. Le Club de Paris décidera alors, sous la pression du gouvernement français, l’annulation de la dette.

Le Nigeria ne sera pas ingrat et appuiera la France dans son soutien actif aux massacres au Togo pour y favoriser le coup d’Etat de Gnassingbe, ancien sergent de la coloniale. Au Nigeria, comme dans aucun autre pays d’Afrique, pas un de ces grands charognards impérialistes ne veut laisser la place à un de ses concurrents directs. De ce fait, après les derniers massacres du 6 et 7 mars, chacun des deux plus importants prédateurs impérialistes sur la scène nigériane ont tout naturellement réagi immédiatement en faisant réciproquement assaut de la plus belle hypocrisie. Le chef de la diplomatie guerrière française, Bernard Kouchner, ne pouvait être en reste :“La France condamne fermement les graves violences qui ont frappé les communautés villageoises au sud de la ville de Jos dans l’Etat du Plateau. J’adresse aux familles et aux proches mes plus sincères condoléances. J’exprime le soutien de la France aux autorités nigérianes dans leurs efforts pour ramener le calme et pour traduire les auteurs de ces violences devant la justice.” Son homologue et concurrente américaine Hillary Clinton lui faisait alors écho en ces termes : “J’appelle les Nigérians à la retenue et demande aux autorités de déférer les coupables à la justice.” Derrière ces paroles mielleuses se cachent la concurrence acharnée que se livrent la France et les Etats-Unis. La région du Nord, sous le poids de la montée de la décomposition, de la misère et de chaos, semble aller dans le sens d’une radicalisation de type talibans, faite d’un fanatisme religieux inhumain ; quant au Sud, par ailleurs zone possédant des ressources pétrolières non négligeables (estimées à 3% de celles de la planète), apparaît devoir continuer à être le théâtre des rivalités impérialistes et économiques les plus féroces. La population nigériane, comme celle de tant de pays d’Afrique et du tiers-monde, n’en a donc pas fini d’être la proie de la barbarie capitaliste.

Courant Communiste International