Pendant longtemps, le carnaval était le jour où tous les interdits étaient bravés et le pouvoir parodié. Masqué, chacun s’ingéniait à se comporter de façon exactement contraire à la bienséance sociale. Mais tout le lendemain tout revenait dans l’ordre. Rien n’avait changé. La veille n’avait été qu’un désolant simulacre de la suspension de la domination et du renversement de l’ordre. Le carnaval n’avait été qu’une respiration collective circonscrite et autorisée pour le déploiement de tous les excès, un mime du désordre sans aucune conséquence. L’image du roi avait été brulée par ses bouffons pour mieux l’acclamer à l’aube de la nouvelle année. Loin de remettre en cause le pouvoir institué, le carnaval, comme « un bol d’air nécessaire et un élan vital », le nettoyait, le purifiait, l’asseyait. Une vaste plaisanterie.

Tels les rois des anciens temps, les princes de la métropole n’ont pas dérogé à la tradition. Pour cette journée, où les pauvres deviennent roi et où le roi revêt les habits du pauvre (ses conseillers l’ayant assuré qu’il avait tout à y gagner), toute la cité se mobilise : les uns en « déambulant », les autres en subventionnant. Les rois y sont attachés au moins autant que le sont leurs bouffons. Au carnaval rennais, derrière les masques, c’est la mairie elle-même qui déambule, met en scène toutes sortes de bouffonneries offre des fleurs aux flics, envahit les champs libres, « lèche (littéralement) les vitrines » et lance des pavés en mousse sur la CAF. C’est Delaveau qui se déguise en reine d’Angleterre et Joucquand en scaramouche. Le carnaval c’est le pouvoir qui rit de lui-même. Nous sommes tous d’accord, dans cette grande farce, « rires et ironie font bon ménage avec la critique sociale et la politique ».

Qu’est ce que le pouvoir pourrait craindre de toute cette mascarade, sinon que le carnaval se prolonge et que certains carnavaliers refusent de retourner à leur place ? A Romans, en 1580, le carnaval s’était transformé en une véritable guerre des paysans menée contre les possédants qui croyaient encore jouer à une temporaire inversion des valeurs.

Nous l’admettrons tous, le carnaval porte en lui la possibilité d’un véritable renversement. En formulant l’abject de cette société, le mime et le grotesque pourraient réveiller le désir refoulé d’en finir pour de bon avec l’ordre des choses. Mais, ce désir, en s’épuisant d’année en année dans les formes creuses de la représentation, se vide de toute puissance. Et si, pour une fois, le carnaval ,ne s’arrêtait pas ce soir ? Et si, pour une fois, , nous n’enlevions pas nos masques, laissons le roi avec ses guenilles, nous ne nous contentions pas d’un seul jour férié pour mardi gras et restions dans la rue ? Et si, nous déclarion le carnaval permanent ?

Le carnaval continue ! Retrouvons-nous au bar chez Ramon et Pedro le mercredi 24 février à 18h00 pour une discussion sur les possibilités de réappropriation de la rue et de la fête. (Rue JM Duhamel – Métro Gare – Rennes)