Alors qu’on le recherchait depuis des années, c’est à la Brûlerie St-Denis du quartier Côte-des-Neiges qu’un militant contre la brutalité policière a surpris le ministre de la Sécurité Publique du Québec, Jacques Dupuis. En effet, depuis la mort d’Anas, la Coalition Justice pour Anas a plusieurs fois tenté d’entrer en contact avec Dupuis (qui était alors ministre de la Sécurité Publique ET ministre de la Justice), en lui écrivant des lettres, en organisant deux vigiles devant le Palais de Justice de Montréal qui abrite ses bureaux et même en organisant une délégation à son bureau. Pourtant, le ministre s’est toujours réfugié dans le silence et derrière des portes closes, ce qui montre bien son mépris pour les familles de victimes de bavures policières. [1]

Et bien contre toute attente, alors qu’on ne l’espérait plus, c’est vers midi le samedi 9 janvier 2010 qu’un militant a reconnu le ministre Dupuis qui s’apprêtait à quitter le restaurant !

Sautant sur l’occasion, il lui demanda tout d’abord pourquoi, alors qu’il était le critique de la Sécurité Publique pour l’opposition libérale en 1999, il avait critiqué le système dans lequel des policiers enquêtent sur d’autres policiers et que maintenant qu’il est au pouvoir il défend ce même système ? En bon politicien, Dupuis nia en bloc qu’il ait jamais critiqué le système. Pourtant, il est bien cité dans un article de la Gazette du 8 décembre 1999 disant : « Nous sommes en danger d’une crise de confiance du public… Ne jouons pas avec la confiance que le public devrait avoir dans la police. Si le gouvernement ne suit pas la recommandation (de la Commission Poitras), les gens pourraient croire encore que ce sont des amis qui enquêtent sur des amis. » [2] Bien qu’il parlait des enquêtes sur la SQ, il serait hautement hypocrite de prétendre que cette préoccopation pour la « confiance du public dans la police » ne s’appliquerait pas aux cas de morts d’hommes aux mains des policiers du SPVM ou d’autres corps policiers.

Quand on lui demanda ce qu’il pensait du fait que plus personne ne fait confiance au système des « politiques ministérielles » (selon lesquelles une enquête sur les cas de morts ou de blessures graves durant des interventions policières ou en détention doivent être confiées à un autre corps de police), Dupuis répondit qu’il était « au courant » ! Il annonça même en primeur au militant qu’il serait « content » car « bientôt » il allait réformer ce système. Il a parlé de créer un organisme soi-disant « indépendant », qui serait composé exclusivement d’anciens policiers pour mener les enquêtes… Comme si un ancien policier était plus indépendant qu’un policier en service pour enquêter sur ses confrères d’autres corps policiers ! Et comme si la solidarité policière, qui transcende les corps policiers et fait qu’ils se protègent entre eux (SQ, SPVM, SPVQ et les autres), ne s’appliquait plus après la retraite des policiers ! Il nous prend pour des cruches ou quoi ce ministre ?

Pourtant, un tel système existe déjà en Ontario depuis plusieurs années et il a déjà fait ses preuves : à savoir qu’il blanchissait les policiers pareil et que les familles de victimes se plaignent de son manque de transparence, entre autres ! [3]

Dupuis rejeta du revers de la main la proposition de former des civils pour mener les enquêtes sur les policiers, en disant qu’il ne « peut pas » assermenter des civils comme agents de la paix pour mener des enquêtes criminelles… Comme si les policiers étaient les seuls êtres humains à être capables de mener des enquêtes criminelles ! Comme s’ils n’avaient pas besoin d’une formation et que c’était inné chez eux (comme la vocation ?)…

Avant qu’il ne se sauve, sous prétexte qu’il était en retard à un rendez-vous, le militant lui rappela que tant qu’il ne s’attaquerait pas à l’impunité policière, les policiers continueraient d’abuser de leur pouvoir, de blesser et tuer des gens.

La promesse d’une réforme du système par le ministre était-elle une simple excuse pour se tirer d’une discussion inconfortable ou bien va-t-on bientôt voir une nouvelle « politique ministérielle » remplacer celle qui date de 1989 et qui est depuis trop longtemps discréditée aux yeux de tout le monde ? C’est ce qu’on verra. Mais en tout cas, si une telle réforme n’est qu’un « copier-coller » du système ontarien, un système qui est déjà discrédité lui aussi, elle ne pourra en aucun cas nous « contenter » et rassurer le public sur la crédibilité et la soi-disant « indépendance » des enquêtes sur les crimes policiers. Et elle ne serait en rien un frein à l’impunité policière, juste une hypocrite arrangement de façade qui ne changerait rien au système et au fait que les policiers ne sont presque jamais accusés quand ils blessent grièvement ou tuent des gens.

M. Dupuis, vous pouvez bien dire ce que vous voulez, nous savons de quel côté sont vos « amis », entre les policiers et les citoyenNEs, vous prendrez toujours le côté des premiers.

Assez de brutalité policière et d’impunité !

François Du Canal, pour la Fédération Universitaire Carrément Kontre (FUCK) la police

Notes
[1] Coalition Justice pour Anas :

http://www.justicepouranas.org

[2] Sean Gordon, « Status quo in force ? Opposition critic worries about loss of public confidence in SQ with PQ seemingly set to disregard Poitras recommendation », Montreal Gazette, December 8, 1999. La citation originale, traduite librement, était la suivante : « We’re in danger of a crisis of confidence among the public… Let’s not play with the trust the public should have in the police. If the government doesn’t go along with (the Poitras Commission) recommandation, people could again think that it’s friends investigating friends. That could mean calling in detectives from other police services -like the Montreal Urban Community’s – when allegations are leveled against SQ officers. »

[3] Au sujet des critiques du SIU, lire entre autres la section « L’herbe n’est pas plus verte du côté ontarien » du texte « Combien d’émeutes est-ce que ça va prendre ? » d’Alexandre Popovic, 26 août 2008,

http://www.cmaq.net/node/30802