Deux ans et demi  et certainement encore tout autant devant nous, avant de remettre les compteurs de notre redevabilité à zéro, d’en finir avec une compression de nos vies aux tonalités parfois sourdes et d’autres fois assourdissantes. Depuis les 20 et 29 octobre, c’est dans une phase assourdissante qu’elle est entrée. Nos lieux de vie sont devenus nos cellules. Des cellules où les murs ne sont pas de béton, mais d’ondes magnétiques, où les barreaux sont invisibles, impalpables, mais bien présents. Où le rôle du maton nous est imparti. À nous de nous escorter dans notre cellule aux heures fixées, de veiller à ne pas enfreindre le règlement. À nos proches, également de partager les conséquences de cette situation, d’en subir les contraintes, de nous rappeler l’heure lorsque des fois / souvent, on a tendance à l’oublier. Une sorte d’autogestion de notre enfermement.
Nous venons donc d’écoper d’un Placement sous Surveillance électronique (PSE). Un bracelet électronique comme aménagement de notre peine de prison ferme. Une laisse virtuelle attachée  à notre cheville, pour parler en termes clairs.
 
« Il faut bien savoir que c’est pour vous éviter la prison que nous faisons tout ça. »
Remarque lancée en guise de mise en garde par le maton venu installer le bracelet.
 
Effectivement, le bracelet électronique devrait nous permettre de ne pas remettre les pieds en taule, son isolement et sa désocialisation radicale. De plus nous ne sommes pas seuls, nous sommes entourés, épaulés. Nous sommes chez nous tous les soirs, près de nos amis, de nos proches. Si infime soit-elle, nous gardons également une certaine emprise sur nos vies, par le biais de petites marges sur nos horaires de sorties, par le fait d’avoir tout de même suffisamment d’espace à nos domiciles pour ne pas trop étouffer. En étant « dehors », hors des murs bien réels et physiques d’une taule, il  nous semblait aussi bien plus simple de pouvoir continuer à prendre part aux luttes, de conserver une part ne serait-ce que minime de notre capacité d’agir, de nuire.
Nous avons été placé devant un choix. Notre peine (pas plus d’un an) nous permettait d’obtenir un PSE plutôt qu’une incarcération. Et pour toutes les raisons citées ci-dessus, c’est ce que nous avons choisi. Peu d’autres possibilités s’offraient à nous si nous avions refusé le PSE. Nous n’en voyions que deux, l’incarcération ou la cavale. Cette dernière nous l’avons écartée, les conséquences nous paraissaient bien trop lourdes en comparaison de la peine à purger.
 
Nous avons fait le choix du PSE, mais en aucun cas nous n’en faisons une évidence.
Beaucoup trop de paramètres entrent en compte dans une telle décision. Pour des personnes isolées, atomisées, sans le moindre soutien, et cloitrées dans des clapiers à peine plus grands que les 9 m2 cellulaires, cette décision paraît peut être beaucoup moins évidente.
Mais plus largement, quel est ce choix ? Est-ce réellement un choix ?
S’il paraît difficile de nier que le PSE permet, dans certains cas, des conditions un peu plus supportables que durant une incarcération, il n’empêche que ces deux mesures restent, de manière certes différente, des formes d’enferment, d’isolement et de contrôle, et conservent les mêmes objectifs pour la justice et l’Etat.
A travers elles, ils exercent leur besoin vindicatif, affirment leur autorité, soumettent les récalcitrants par des mesures punitives, poussent vers une réinsertion sociale en plaçant l’accès au salariat comme condition de libération. Mais ils restreignent également des pratiques de lutte et de survie aux strictes cadres de la légalité (et de la démocratie). Par la peur ils tentent de dissuader de toutes intentions offensives.
 
Pour vous éviter la prison… nous vous proposons : la prison.
En remplaçant un enferment par un enferment, un isolement par un isolement, une désocialisation par une désocialisation, une perte d’autonomie par une perte d’autonomie, on voudrait nous voir nous réjouir et, de surcroît, ostensiblement. On voudrait non seulement nous faire accepter, mais aussi apprécier, l’inacceptable en l’opposant à des situations toujours pires[1].
 
Dans la même logique, oui, le placement sous surveillance électronique permet plus de marges de manœuvre qu’une incarcération. Mais bien hypocrites sont ceux qui maintiennent que c’est réellement un choix et le placent au rang de progrès social. On ne choisit pas entre l’incarcération et l’enfermement à domicile, on se débat seulement face aux exactions du pouvoir. Et dans ce contorsionnement tout le monde ne réagit pas de la même manière. Chacun, en fonction d’une multitude d’éléments et de ses capacités à faire face, s’engage dans la voie qui le fera le moins souffrir et/ou lui offrira le plus de marges de manœuvre.
En acceptant le bracelet nous n’acceptions pas le discours qui fait de lui une avancée, l’humanisation d’un système qui n’a pour but que d’écraser et d’asservir des vies.
 
Deux ans et demi donc que la machine judiciaire s’attèle quotidiennement à comprimer nos vies, en mettant tout en œuvre pour nous maintenir à sa disposition, sous son joug. Toujours dans l’attente d’une nouvelle décision, d’une nouvelle mesure, qui constituent l’interminable processus punitif de la machine judiciaire.
Comprimer nos vies, également en nous imposant de nous soumettre, sans aucune alternative, à l’exploitation salariale. Peu importent les conditions de cette exploitation, sa rudesse physique, psychologique, économique, morale…, la justice ne s’embarrasse évidemment pas de telles considérations. Il n’y a de toutes manières rien à attendre de sa part.
 
Même si le fait d’être sous le joug de la justice n’accentue pas, en soi, la violence de notre exploitation salariale[2], et si ces conditions sont les mêmes que celles de n’importe quel exploité (sans traitement spécifique), cette situation réduit néanmoins drastiquement les infimes marges de manœuvres encore en notre possession (débrouille, rapine, black, entraide…). Le fait d’avoir en permanence, comme épée de Damoclès, la réincarcération au moindre faux pas, développe et/ou accentue la peur de perdre son taff. Et cette peur là est véritablement fatale pour tout exploité. Elle nous rend corvéable à merci. Nous ôte la capacité à être ne serait ce que défensif face aux exactions de nos patrons. Nous pousse à accepter le moindre taff de merde. Avoir un taff pour avoir un taff. Aller bosser non plus en raison d’une précarité économique, pour sa survie, mais seulement sous la contrainte à l’état pur. Une tentative de mise au pas de ceux qui s’aventurent hors des sentiers battus, ou bien une tentative de réinsertion sociale qui, si elle échoue sur le long terme, aura permis à minima une exploitation le temps de la peine.
 
Il nous reste en théorie un peu plus de neuf mois fermes à purger. Remises de peines et conditionnelle cumulées pourraient faire tomber cette durée à quatre mois. Quelques mois qui risquent d’être longs, mais nous savons déjà que nous ne seront pas seuls à les affronter. Nous ne manquons pas de soutien moral, ni de coups de pouce du quotidien. Tout ceci nous réchauffe le cœur et nous renforce à la fois. Nous rappelle que nous ne sommes pas seuls face à cette justice de classe. Et que face à elle, seules la solidarité et la rage comptent.
La solidarité est bien une arme et, à travers elle aussi, la lutte continue.
Pleins de bisous depuis notre chez nous carcéral. Nous ne sommes pas loin, nous vous rejoindrons vite.
Guerre à ce monde.
Damien et Greg
Avignon, décembre 2009.

 
 

 
[1] Certains n’oseraient ils pas dire à des longues peines «  Mais de quoi vous plaignez-vous, il y a trente ans c’est la peine de mort que vous auriez encourue, aujourd’hui il n’est même plus question de vous ôter la vie ». Effectivement, l’état français a bien aboli la peine de mort, mais la prison n’en reste pas moins une peine de mort lente, un maintien à l’état végétatif, une survie imposée dans l’attente de la mort. Combien de condamnés à de longues peines ou, tout bonnement, combien de taulards, ne se sont-ils pas posé la question du suicide ? Et combien passent à l’acte ?
 
[2] Quoi que certains charognards de patrons, voire la plupart, lorsqu’ils sont au courant des antécédents judiciaires de leurs salariés, n’hésitent pas à les harceler, les humilier, les pousser à bout, pour s’en débarrasser ou bien pour mettre à profit la situation pour tirer toujours plus de profits.D’où l’importance de ne pas faire de sa franchise et sa sincérité une règle, notamment face à ces vermines.