Voici le compte-rendu du procès d’Amadou Aw, sans-papier incarcéré à Villepinte depuis juin 2008 pour avoir résisté à son expulsion cers la Mauritanie. Le procès a eu lieu le Jeudi 26 février au TGI de Bobigny.

Dans la salle d’audience, nous étions une vingtaine de personnes venues en solidarité avec Amadou Aw. Les flics nombreux étaient aussi venus soutenir leur collègue, partie civile.
Avant même le début du procès, la juge a été claire : c’est une « affaire sensible » et précise immédiatement qu’au moindre bordel, elle demande le huis clos et que « les petits copains ne pourront donc pas assister à la séance ». L’ambiance est tendu.

Amadou a donc trois chefs d’inculpation : séjour irrégulier, refus de reconduite à la frontière et mutilation d’un fonctionnaire de police.
Alors que l’avocate de la défense tente de faire valoir le fait que la mesure de reconduite à la frontière est illégale et récuse donc les deux premiers chefs d’inculpation, le procureur commence déjà à montrer ses crocs et répète avec mépris que de toutes les manières, il est sans-papier et que à ce titre « c’est un délinquant qui a enfreint la loi ».

Commence alors le récit de l’arrestation. Il s’est fait contrôlé dans la rue à Beauvais. Les flics voient qu’il y a un arrêté de reconduite à la frontière, se foutent de savoir qu’il est en train de faire un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (qui doit lui valoir le droit de ne pas être considéré comme étant en situation irrégulière), inscrivent ce qu’ils veulent sur le procès-verbal (notamment le fait qu’il est sans profession, alors qu’il travaille) et le mettent en centre de rétention à Rouen. Comme dans beaucoup de cas, les formalités administratives pour l’expulser se font rapidement et il est donc emmené à Roissy. Amadou raconte donc comment il s’est fait trimballé jusqu’à Roissy, comment à chaque fois qu’il dit qu’il refuse de partir et demande des explications sur son expulsion les flics lui répondent qu’ils « ne font qu’exécuter leur mission », qu’ « ils n’en savent rien et qu’il a qu’à discuter avec la prochaine escorte. ». Jusqu’au moment où les flics doivent l’embarquer dans l’avion, là, ils lui demandent s’il veut retourner ou pas en Mauritanie. Question pour déterminer à quel point il faudra serrer les menottes, entraver ses chevilles, se préparer à l’embarquer par la violence s’il le faut.
Petite interlude du flic qui vante alors son humanité en précisant que les menottes utilisées étaient des menottes espagnoles (des cordes et non pas des métalliques). Mais, ça n’a pas empêché que les cordes étaient trop serrées et qu’Amadou a eu une main paralysée pendant deux semaines.

Au moment où ils sont sur la passerelle, Amadou refuse de monter et s’accroche à la rambarde. Pour lui, il n’est pas question de se faire expulser, et de retourner dans un pays où il est en danger. Vu qu’Amadou ne coopère pas, le flic dira « qu’il cherche à le maîtriser, en lui sanglant les cuisses et les chevilles pour sa propre sécurité ». Ce qui va devenir l’emmener dans le camion, lui donner des coups pour le dissuader de crier, de lui faire peur et de bien lui faire comprendre que leur mission c’est de l’expulser. Ca n’est pas la première fois que les flics tabassent quelqu’un qui refuse d’embarquer. Et du coup, puisqu’il est en train de crier, un des flics l’en empêche en lui mettant la main devant la bouche et l’étouffe. Amadou décrit très clairement ce qui s’est passé : « Je suis tombé dans le camion et ils m’ont donné des coups de pieds par derrière. J’étais attaché, on m’a étouffé, j’arrivais plus à respirer et donc j’ai mordu pour me défendre. ». Le flic a eu un petit bout de doigt arraché. Amadou raconte alors qu’il s’est excusé sur le moment de l’avoir mordu. Réponse du flic : « Je ne vous pardonne pas. Je vais vous emmener en prison et vous enfermer ». Paroles tenues. Il a été mis sous instruction criminelle et placé en détention provisoire. Pendant ces mois d’incarcération, ses demandes de mises en liberté sont refusées au motif qu’il est en séjour irrégulier et n’a donc pas de garanties de représentations.

C’est alors au tour du flic de raconter sa version. Il déclare mollement et sans beaucoup de conviction que : « je voulais l’asseoir, j’ai passé sa main devant son torse et il m’a mordu tout simplement ». Il se complait à vanter ses qualités de super flics professionnels qui fait des missions d’expulsion depuis plusieurs années, plonge dans le pathos en parlant de son « amputation », de son « infirmité » qui ne l’a pas empêché de reprendre directement son travail. L’avocate avance des arguments complètement foireux : « les policiers savent qu’il ne faut pas mettre la main devant la bouche des expulsés parcequ’ils se font mordre », ou bien « je me demande si ce n’est pas une astuce que les prévenus s’échangent entre eux : on mord un policier, on n’est pas expulsé puis on s’organise pour rester en France ». Le flic n’explique pas le fait qu’Amadou l’ait mordu si ce n’est par des sous-entendus sur une espèce de sauvagerie, une brutalité naturelle… Hypothèse relayée plus ou moins implicitement par l’avocate du flic et le procureur. Des sous-entendus déguelasses dans une bonne ambiance coloniale et raciste. Le procureur allant même jusqu’à insinuer que c’est une chance que le flic n’aie pas été contaminé par des maladies. Il demande pour « cette mutilation » qui le « laisse pantois » 5 ans d’emprisonnement dont 2 avec sursis et 10 ans d’interdiction du territoire.

La juge prend trois quart d’heures pour délibérer : Amadou est déclaré coupable des trois chefs d’inculpations. Et, il est condamné à 15 mois d’emprisonnement et des dommages et intérêts pour le flic.

Pour rappel voici le témoignage qu’Amadou :
« Je m’appelle Amadou AW, je suis Mauritanien, je suis en France depuis 4 ans où je travaille dans la restauration. J’ai été arrêté par la police au mois de mai dernier à 20 mètres de ma maison à Beauvais pour un contrôle d’identité. Je présente aux policiers un papier comme quoi j’ai un dossier déposé à l’OFPRA en train d’être examiné. Les policiers me disent que ce papier ne vaut rien, alors que c’est l’Etat qui me l’a donné, et ils m’emmènent au commissariat où je reste une journée avant d’être emmené au centre de rétention de Rouen.

Je reste 15 jours à Rouen et le 15 juin on m’emmène à l’aéroport de Roissy pour être expulsé.

Je dis aux policiers qui m’escortent que je suis demandeur d’asile, que je risque ma vie si je retourne en Mauritanie mais le policier dit que ça lui est égal, qu’il a ordre de m’expulser et qu’il obéit.

On m’attache les mains derrière le dos et les jambes. J’essaie de me débattre et je refuse de monter dans l’avion. Vu que je refuse, les policiers m’emmènent vers leur voiture, ils sont très énervés à cause de mon refus, ils commencent à me battre, à m’insulter moi et ma famille et à me frapper la tête. Je crie pour que ça s’arrête et l’un des policiers me ferme la bouche et me tourne très fort la tête pour me faire taire. Ca me bloque la respiration et pour me dégager je lui mords un doigt.

On m’emmène alors au commissariat de l’aéroport où je demande à voir un médecin car j’ai très mal au cou. Le médecin me donne 4 comprimés et une ordonnance.

De retour au commissariat, je redemande des comprimés car j’en ai plus mais la police refuse de m’en donner, même en les achetant avec mon argent. Un policier me demande si ça va, je réponds que non, il me dit que c’est bien alors. Je ne pourrai pas revoir de médecin ni recevoir de soins.

Le 17 juin, on me transfère au tribunal de Bobigny devant un juge d’instruction. Je lui dis que je veux un interprète car je ne maîtrise pas le français à 100 pour 100 et que je veux être sûr de ce que je dis. La juge d’instruction Catherine B m’apprend que je suis mis en examen pour :

Séjour irrégulier en France

Refus de se soumettre à une mesure d’éloignement forcé

Violence ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, avec comme circonstance aggravante que ce soit sur un policier en exercice.

Le dernier chef d’inculpation fait de mon affaire une affaire criminelle.

N’ayant pas d’interprète, la juge dit qu’elle m’incarcère quelques jours en maison d’arrêt, le temps de trouver un interprète.

Voilà comment je suis arrivé à Villepinte, ces quelques jours vont durer 5 mois avant que je sois interrogé de nouveau. Et encore à nouveau sans interprète et sans mon avocat au début qui est en retard. Je proteste car il n’y a pas d’interprète comme convenu mais la juge me répond :  » Soit tu parles, soit je te remets en prison. « 

Alors j’ai préféré parler. J’ai tout expliqué : l’arrestation, l’aéroport, les coups qu’on m’a portés, le fait que je me sois défendu. J’ai dit que selon moi je n’avais rien fait de mal, je me suis juste défendu car on me frappait et on m’étouffait.

La juge m’a ensuite posé quelques questions sur ma famille, ma nationalité. Mon avocate n’a rien rajouté.

Depuis cet interrogatoire il y a 1 mois, je n’ai aucune nouvelles, ni de la juge ni de mon avocate. Pourtant j’ai écrit à mon avocate pour qu’elle me rende visite et qu’on discute de l’affaire mais elle n’est pas venue.

Ca fait presque 6 mois que je suis incarcéré à Villepinte avec un mandat de dépôt criminel. »

Toutes celles et ceux qui le souhaitent peuvent écrire à Amadou.

Voici son adresse :

Amadou AW
Nー 20578
Bâtiment F, aile ouest cellule 105
Maison d’arrêt de Seine Saint Denis
Avenue Vauban
93422 VILLEPINTE Cedex