Le 19 février 2009, Envoyé Spécial consacrait un reportage intitulé « un rêve sans fin » à l’humanité du futur, dont les performances et la longévité seraient décuplées par les prouesses de la génétique et des nanotechnologies. Dans les dernières scènes de ce film, tournées à la faculté de médecine de Paris en juillet 2008, apparaît un « obscur petit groupe » venu interrompre une conférence. De lui, on n’apprend rien, sinon qu’il est violent et antidémocratique. Passons sur la prétendue violence, réfutée par les images mêmes du documentaire. L’important est de rappeler pourquoi c’est au nom d’une démocratie possible que nous avons dénoncé, comme nous continuerons à le faire, les prétentions totalitaires de la génétique.

Dans cette conférence sympathiquement intitulée « l’homme transgénique : un infini, des possibilités », J.-C. Weil et M. Radman exposaient leurs travaux : induire chez les souris, et plus tard chez les humains, des mutations génétiques permettant de retarder l’apparition du cancer et de prolonger la durée de la vie humaine bien au-delà de cent ans.

Loin d’être un simple débat d’idées, comme le dit la journaliste, cette conférence était un exposé des recherches actuellement menées par les principaux instituts scientifiques français. Ces expériences y sont financées à hauteur de centaines de millions d’euros par les fonds publics et les entreprises de biotechnologie. Il ne s’agit donc pas d’idées, mais de réalisations bien concrètes qui déterminent la manière dont on voudrait nous faire vivre demain. La force de frappe des biotechnologies semble assez bien démontrée par l’impuissance à laquelle sont réduits tous ceux qui s’opposent à la diffusion des plantes génétiquement modifiées dans le milieu naturel et dans l’alimentation.

En somme, si les recherches en génétique n’avaient pas une telle puissance d’action sur le monde via le soutien actif de l’Etat et leur valorisation immédiate par les firmes de biotechnologie, si elles n’étaient pas financées par nos impôts, s’il s’était agi, donc, d’un simple débat philosophique, nous ne nous serions peut-être pas dérangés.

Replaçons cette conférence dans son contexte. Il est maintenant avéré que les dégâts provoqués à notre milieu de vie par l’industrie induisent une épidémie de cancers, d’allergies et de maladies nouvelles. L’institution scientifique, loin de s’interroger sur les causes de ces maux, s’attache à bricoler les humains pour les adapter à leur environnement pathogène. Pas de panique, Mesdames et Messieurs, nous avons la solution à tous vos problèmes, l’ultime synthèse, la fin de l’Histoire : l’homme transgénique. Déjà, l’abondante production laborantine d’animaux transgéniques sert, entre autres choses, à étudier quelles mutations devront subir les humains pour cohabiter avec la radioactivité, la pollution chimique et électro-magnétique, etc.

D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement d’adapter l’humain, mais de l’améliorer. En gommant certains de ses « défauts » (disaient les conférenciers ce jour-là), comme celui de ne pas vivre au-delà d’une petite centaine d’années. Puis, par le biais du diagnostic pré-implantatoire, de s’assurer qu’il ne souffre pas de tares. Ensuite, d’augmenter ses « performances », selon les critères en vigueur. C’est notamment ce que dit le généticien Daniel Cohen, bien placé, comme Weil et Radman, dans les institutions scientifiques : Je crois en la possibilité d’une nouvelle évolution biologique humaine consciente et provoquée, car je vois mal l’homo sapiens (…) attendre patiemment et modestement l’émergence d’une nouvelle espèce humaine par les voies anachroniques de la sélection naturelle. L’industrie de la biotechnologie est bien placée pour tirer un profit maximal du travail de ces darwinistes pressés…de devenir vraiment eugénistes.

Nombre de biologistes ont la mauvaise habitude de confondre l’évolution des espèces et celle des sciences. Pour eux, la biologie prend naturellement le relais de l’évolution millénaire des êtres vivants. Et puisque cette évolution est « naturelle », la récuser n’a aucun sens. C’est précisément ce que dit Miroslav Radman dans ce reportage, quand il commente notre intervention : « S’il y avait eu cette peur du changement au début de la vie, il n’y aurait aujourd’hui que des bactéries ». Une remarque emblématique de l’arrogance naïve des généticiens, qui se prennent pour les concessionnaires d’une aventure commencée il y a 3,5 milliards d’années. Au regard de ce que la science industrielle a réussi à faire de la planète en quelques décennies seulement, des processus incontrôlables qu’elle a déclenchés dans la nature au moment même où elle prétendait la maîtriser, nous pensons qu’il est pour le moins raisonnable de s’opposer à ces recherches. Et ce, avant qu’un comité de sages présidé par les mêmes ne vienne dûment encadrer le fait accompli et le certifier éthiquable.

Nous n’avons pas peur du changement. Pour la bonne raison que ce que propose aujourd’hui la génétique, ce n’est pas le changement, mais la continuation du monde tel qu’il va, en pire : des pollutions ingérables, l’objectivation croissante des individus, le remplacement de la politique par des pseudo-impératifs techniques. Quand le capitalisme industriel promet longévité et santé, nous serions tentés de ne pas le croire et de juger sur pièce. Du reste, dans un monde où le fichage génétique s’étend paisiblement, les promesses de longévité deviennent vite prouesses d’aliénation. Nous disons donc que le véritable changement, à rebours des lendemains radieux promis par la biotech, réside dans notre capacité politique à associer les tares des uns et des autres pour produire de la dignité et de l’autonomie.

Groupe Oblomoff.