Prison pour étrangers de Vincennes, jeudi 5 février 2009

A la suite de la manifestation de 400 personnes qui a eu lieu devant le centre de rétention le samedi 31 janvier, c’est la 2ème fois que nous appelons les retenus de Vincennes. Dans la conversation, l’un d’eux nous demande quand nous revenons manifester au centre. Nous lui expliquons que le 7 février il y aura des manifestations devant plusieurs centres de rétention en France mais pas à Vincennes car les associations qui organisaient cette journée ne l’ont pas souhaité de peur de débordements…

Un 1er « retenu »
« Maintenant on va manger. Là j’étais en train de dormir. L’infirmière donne des cachets et tout le monde dort. Elle m’a donné du valium 5mg. Elle m’en a donné 2. J’les prends pour me calmer, après je dors, c’est tout.
Laisse tomber, on est dans la merde, vous pouvez rien faire. Personne ne peut rien faire. Si ya pas la chance, on rentre chez nous c’est tout. Tout le monde va rester 32 jours.
Moi j’ai rendez-vous à l’ofpra le 10. Demain je vais voir la Cimade, elle va me faire l’appel. Le policier dit qu’il y a 1 mois pour faire ça. Je suis ici depuis 10 jours. »

Un 2ème « retenu »
« On est 70 personnes ici. On est tous dans la merde. Il y a beaucoup de nationalités, il y en a même qui ont de la famille. A côté de moi il y en a un du Sénégal qui a des enfants et paye des impôts, je vais vous le passer après.
Même dans la bouffe il y a plein de médicaments et on nous donne du stilnox.
Ils libèrent 1 ou 2 personnes puis ils en ramènent 10.
Il y a toujours des avions, il y a quelqu’un qui a été renvoyé vers le Mali la semaine dernière, il a laissé sa femme et ses enfants. Même à Cité c’est plein. On se voit quand on va au tribunal. C’est une prison là-bas. On dit la France pays des droits mais y a pas de droits.
Hier un policier a dit à ma copine qui venait me voir « votre copain il est pas Irakien, il est algérien »
Le consulat m’a reconnu algérien car j’ai donné un faux nom de quelqu’un qui a la double nationalité franco-algérienne.
Avant-hier un copain et moi on a été mis dans une chambre d’isolement après qu’on nous ait vus chahuter. Il y avait une caméra dans le couloir. Il y a beaucoup de pression.
On est jugé devant une personne mais après elle sera jugée devant Dieu.
Demain il y a un vol pour l’Egypte et l’Egyptien il a décidé de laisser tout son argent à la banque ici. Il y a un Algérien arrivé il y a 2 jours qui a été expulsé ce soir. Il y a 3 ou 4 vols par jour, au minimum 2.
On est dans la merde, on ne sait pas quand ça va finir. »

Il nous passe le monsieur Sénégalais qui a des enfants.
« Aujourd’hui j’ai appelé le Parisien pour parler de moi et de mon voisin de chambre.
Lui il est Malien, ils ont dit qu’ils l’amenaient au consulat du Mali mais il a jamais été là-bas. Là où il est allé, il y avait un drapeau du Mali mais on peut en trouver partout des drapeaux. En plus, le gars qui l’a reçu ne parlait ni bambara ni soninké. Son oncle est aussi allé au consulat et ils ont dit qu’ils n’avaient jamais vu son neveu. Comme le Mali est réticent, ils essaient d’envoyer vers d’autres pays comme le Cameroun qui accepte. Il faut dire aux maliens ce qui les attend, de faire attention.
La préfecture a dit que je ne subvenais pas aux besoins de mes enfants. On a fait une demande d’asile pour excision. Ma femme a peur de venir me voir car elle n’a pas de papiers. Moi j’ai fait une école de cuisine. Quand t’as des enfants et un diplôme, tu devrais avoir les papiers. Moi si on me reconduit….
Je suis là depuis samedi. Mes enfants peuvent pas venir me voir.
Ici tout le monde prend du stilnox, pas moi. On est réveillé par les hauts-parleurs. A partir de minuit on ne peut plus fumer et dès fois à 6 heures le haut-parleur gueule.
Entre 18h et 20h c’est le repas mais ils veulent qu’on vienne à 18h.
Il y a un gars qui était là quand le centre a brûlé en juin. Ils l’ont amené à Lille après le feu puis ils l’ont lâché comme ça dans la nature, sans rien. Et maintenant il est encore là car ils l’ont réattrapé.
Eux ils parlent d’humanité mais ils s’en foutent. Ils s’en foutent du droit des enfants. J’en ai parlé à la Cimade et à resf. »

Un 4ème « retenu »
« Il y a beaucoup de cas ici. Il y en a qui ont des enfants, il y en a qu’on a ramené de leur travail. Il y en a un qu’on a ramené qui habitait loin de Paris. Il n’a pas sa famille ni ses amis ici à Paris. Même l’argent il n’en a pas sur lui.
Hier j’ai déchiré tous mes papiers devant la police. Le consulat algérien c’est la merde avec lui, il signe tous les laisser-passer . C’est pour ça que j’ai déchiré mes papiers et pour le policier arabe. Après quand j’ai demandé une lame pour me raser, la police est venue…Il y a un groupe de policiers qui sont bien et un groupe de salopards. La dernière fois ils ont fait sonner l’alarme à 7h pour nous réveiller.
C’est comme une prison, tous les jours ils ramènent des gens, ça fait 10 jours que je suis là. »

On entend du bruit. Apparemment quelqu’un est tombé. Le retenu ne nous parle plus mais il ne raccroche pas. On entend plusieurs voix : « A la fouille ! » « Je t’ai vu sortir sale menteur ! » « Le téléphone ! » Une voix de femme « Si j’te prends encore une fois c’est pas la peine. Faut pas fumer, y a des asthmatiques ici. »
« A qui t’as parlé ?»
Puis on entend que les policiers partent, le retenu nous reparle au téléphone.
« Le gars a vomi et il est tombé par terre, mais les flics ils l’ont pas ramassé, ils cherchaient des cigarettes c’est tout. Ils ont voulu que j’éteigne le télephone. »

Le 1er retenu veut nous reparler.
« Il y a la police qui cherche des problèmes. Depuis hier on me dit que nos téléphones on les écoute. La police ici emmerde tout le monde. Hier ils m’ont mis à l’isolement pour rien, je jouais avec un copain, ils nous ont mis en garde à vue dans les cellules en bas devant les bureaux de l’infirmière et de la Cimade. »

Il nous passe un autre « retenu » :
« Les jeunes ici sont maltraités et malheureux. Quand on mange on est fatigué, j’suis sûr qu’ils mettent des médicaments Tout le monde prend des calmants et des somnifères. Il y a l’infirmière qui les donne plus ou moins indirectement. C’est pas nécessaire de prendre ça, c’est dangereux.
Comme on est stressé, on prend des médicaments. Comme moi ça fait 9 ans que je suis ici et on va m’envoyer en laissant toutes mes affaires… Tout ça à cause d’un fils d’immigré qu’aime pas les immigrés…
J’ai fui l’Algérie à cause du terrorisme et voilà la galère. En 1er on expulse les Algériens. Il y a des gens qui arrivent à pleurer car ils ont tout perdu.
Je vous remercie de m’avoir écouté, ça m’a fait du bien, si j’avais ma guitare je vous chanterai une chanson, de Brel. »

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