Une nouvelle tentative de faire taire des opposants politiques

On ne le dira jamais assez : notre France qui est si prolixe en leçons de démocratie vis-à-vis des autres pays, surtout ceux du Sud, ferait bien parfois de balayer devant sa porte.
Car les nouveaux dispositifs sécuritaires hypertrophiés et hyper-centralisés mis en place par Sarkozy avant et pendant son mandat présidentiel rappellent bien des Etats policiers, à commencer par le régime d’Ankara. En toile de fond, une alliance ratifiée par la loi antiterroriste de Sarkozy du 23 janvier 2006 comprenant la Direction de Surveillance du Territoire (DST), la Direction Centrale des Renseignements Généraux (DCRG), les Renseignements Généraux de la Préfecture de Police (RGPP), la Sous-direction antiterroriste de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) et la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (DGGN).
Cette nouvelle alliance est basée à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et s’appelle la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur). Pas moins de 4.000 fonctionnaires dont 3.000 policiers dits « actifs » et 175 commissaires y sont de service, sous la direction du préfet Bernard Squarcini.

A quoi sert la DCRI appelée aussi par les médias le FBI français ?

D’après les médias et la police, elle servirait à protéger le territoire d’attaques terroristes. Mais qui sont les terroristes dont ils prétendent nous protéger ?
Force est de constater que dans le cadre de la nouvelle enquête sur le DHKP-C, la police s’est donnée de la peine pour rien en arrêtant des militants politiques ordinaires qui n’ont fait qu’user de leur liberté d’expression et d’association en adhérant à une association qui défend les droits de l’homme, en dénonçant des injustices, en participant à des festivals culturels ou encore à des manifestations comme celle du 1er mai. Dans le cas qui nous concerne, la DCRI a entamé une enquête pendant plus de 2 ans pendant laquelle nous avons été constamment surveillés. Finalement, elle a chargé un commando cagoulé et armé pour venir nous chercher à notre domicile.
Difficile à croire que l’on en arrive à de pareils agissements dans un pays comme la France mais malheureusement nous ne sommes qu’un exemple parmi d’autres.
Je me nomme Nezif Eski. Je suis originaire de Turquie. Je suis membre de l’association anatolienne de culture et de solidarité de Paris qui se situe au faubourg St Denis à Paris (10e).
Cette association est tout à fait légale et démocratique. Solidaire des luttes sociales en Turquie, elle défend les droits et les libertés des travailleurs et des diverses communautés de Turquie en France, se bat pour le droit d’asile, contre le racisme et pour une culture populaire et progressiste.
Le lundi 9 Juin à 6h10 du matin, un commando de 6 membres de la DCRI a fait irruption à mon domicile.
Cette perquisition aurait eu pour but d’interpeller une personne faisant partie d’une association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme et de financer une entreprise terroriste. Quelle a été ma surprise quand j’ai appris qu’il s’agissait de moi, que l’association de malfaiteurs prise pour cible était le centre culturel auquel j’adhère et que l’entreprise terroriste à laquelle je suis sensé appartenir d’après la DCRI était le DHKP-C (Parti-Front Révolutionnaire de Libération du Peuple), une organisation antifasciste turque dont le combat est strictement confiné à la Turquie.
Apres avoir fouillé mon domicile, ils m’ont emmené à Levallois-Perret où se trouvent leurs nouveau locaux.
J’ai été gardé là jusqu’au jeudi soir puis transféré au parquet de Paris pour ensuite être remis en liberté mais sous contrôle judiciaire.
Dans le cadre de ces perquisitions, 11 personnes ont été placées en garde à vue dont 4, en détention provisoire et 7 sous contrôle judiciaire.
Ainsi, depuis le lundi 9 juin, se trouvent dans les prisons françaises, Veli Yati , Erdogan Cakir et Sefik Sarikaya.
Veli Yati est atteint d’une tumeur au cerveau et souffre de gros problèmes de vue qui nécessitent une opération chirurgicale.
Erdogan Cakir et Sefik Sarikaya sont chacun confinés dans une cellule d’isolement où le juge a interdit tout contact avec leurs familles, y compris via le courrier.
Outre le caractère injuste et absurde de l’incarcération de membres d’une association légale et d’une mise sous contrôle judiciaire qui interdit les autres inculpés de fréquenter tout établissement appartenant à la communauté turque, nous sommes en droit de nous demander à quoi pourrait servir une telle cruauté à l’égard des familles et d’une personne inoffensive atteinte d’une tumeur, si ce n’est d’exercer des pressions morales absolument gratuites.
Peut-on encore parler de respect des droits de l’homme, de liberté et de justice, quand la France trahit ses propres valeurs républicaines en torturant à feu doux, des opposants politiques au régime d’Ankara?
Pourquoi la France s’est sentie obligée de monter cette opération tout en sachant que les personnes interpellées n’ont rien à se reprocher ? Au cours de l’opération, aucune preuve n’a pu démontrer un quelconque lien avec une entreprise terroriste. A moins que les enquêteurs s’amusent à fabriquer des preuves comme nous avons pu le constater dans le procès du DHKP-C actuellement en cours en Belgique.
La répression augmente dans toute l’Europe. Tous ceux qui rêvent d’un monde meilleur, qui s’engagent dans les luttes sociales et qui s’opposent au terrorisme d’Etat et aux horreurs du colonialisme en Irak ou en Palestine sont désormais susceptibles d’être traités de terroristes et d’être persécutés.
Erdogan Cakir, Veli Yati, Sefik Sarikaya et toutes les personnes interpellées dont moi même, rêvions effectivement d’un monde meilleur, d’un monde d’égalité et de partage, sans guerre et sans exploitation. En dépit de la répression dont nous sommes aujourd’hui les victimes et convaincus du bien-fondé de notre combat démocratique, nous réitérons notre volonté d’user de nos libertés d’expression et d’association pour défendre nos droits de citoyens.