« Ils » ? Mais qui donc ? « Ceux que
l’on n’appelle presque plus les gauchistes
»
. Mais encore ? Indifféremment, des
groupes de jeunes qui se livrent à des agressions violentes
de journalistes, des étudiants et des grévistes
de la SNCF qui entendent protéger leur lutte contre
l’ingérence de journalistes qui travaillent pour
des médias qui leurs sont hostiles… et Acrimed. Que
font-ils ? Ils «
exècrent les grands médias »
.
Ce qui leur vaut une déclaration
d’amour…

Médias caresse la «
complexité », intensément

Médias
avait déjà déclaré sa
flamme à quelques-uns de ces « ils »
qui, quels qu’ils soient et quelles que soient leur raisons,
contestent les médias. Dans un éditorial
lénifiant à souhait – « Lire entre les lignes
»
-, le premier numéro de la nouvelle
série de Médias
annonçait, en 2004, que le monde se divise en deux : ceux
qui aiment les médias (parce qu’ils les
connaissent) et ceux qui les détestent (parce
qu’ils ne les connaissent pas).

Et voici comment Emmanuel Lemieux présentait alors dans Le Nouvel Economiste
[1] cette publication officiellement officieuse de Reporters sans
frontières, sous le titre « « Médias »,
le retour ». En guise de préambule : « Y a-t-il un marché pour un média sur
les médias ? Avec la troisième tentative de
publication de la revue Médias, l’idée
fait son chemin. Mais, pour le moment, seuls les pamphlets et les
journaux de critique radicale des médias sortent leur
épingle du jeu. »
Et de citer en les
commentant les propos du directeur de la revue, Serge Guérin
:

« Dans son premier éditorial, la revue
entend ne pas sombrer « dans la dénonciation tous azimuts » ni
« entamer l’air du tous pourris, mais aider à mieux
comprendre le fonctionnement des entreprises de presse et de
communication » . Serge Guérin martèle :
« C’est un fait, je suis vigoureusement antibourdieusien pour
ce qui concerne la critique des médias. » »
Commentaire de Lemieux : « Ce qui fait recette actuellement,
c’est la critique antimédias, et une certaine
pensée excommunicatrice. Depuis le best-seller de Serge
Halimi, Les Nouveaux chiens de garde, stipendiant [sic] les nouvelles
élites médiatiques, et dont les ventes ont assis
la petite collection Liber-Le Seuil de feu Pierre Bourdieu, la critique
antimédias a pignon sur rue, et sait être
succès de librairie. Toute une planète violemment
antimédiatique, dont le gros des troupes s’est
constitué dans la mouvance altermondialiste, a
trouvé son lectorat et son marché. Du revival de
l’intellectuel Noam Chomsky au succès de librairie
Les Petits soldats de l’info [re-sic], en passant par le
documentaire de Pierre Carles, Pas vu pas pris (et par ailleurs
inspirateur, avec Serge Halimi, d’un fanzine ordurier
résolument antimédias, PLPL), à
l’Observatoire des médias lancé par Le
Monde Diplomatique et l’Acrimed (pour
action-critique-médias), la critique antimédias
est devenue une véritable niche. « Nous voulons
répondre à ce poujadisme-là, nous
sommes quand même et de plus en plus dans une
culture de la complexité
! Or, la critique
altermondialiste et bourdieusienne des médias
n’offre qu’une vision néomarxiste qui ne
rend jamais compte de la nature et de la réalité
du travail médiatique », souligne Robert Ménard,
cosignataire d’un article intitulé Les
altermondialistes contre l’info. »

L’Univers étant ainsi partagé entre
« anti-médias » et «
pro-médias », la critique compétente et
hygiénique de Médias s’était
donc déployée à partir d’un
« manifeste » rédigé
– déjà – par Robert
Ménard et Pierre Veilletet – et publié dans le
premier numéro sous le titre « La guérilla des
altermondialistes contre l’info »
. Un
monument de « culture de la complexité »
qui valut à Ménard des éloges du Monde
[2].

Moins de quatre ans plus tard, donc, Robert Ménard et Pierre
Veilletet (avec la collaboration de Baptiste Charbonnel)
récidivent et découvrent ceci : « Confirmation,
à l’automne dernier, dans les manifs, sur les
campus des facs ou au cœur des banlieues : ceux que
l’on n’appelle presque plus les gauchistes
exècrent les grands médias. Pourquoi ? »

« Ils détestent la presse. » Insistante,
comme un leitmotiv, la troisième personne du pluriel, tout
au long de l’article pamphlétaire, amalgame
(à grand renfort de caricatures ), un groupe
indéfini et aux limites incertaines : «
Ils détestent la presse et les
journalistes » ; « Ils
ont leurs livres de chevet – signés Bourdieu ou Halimi
» ; « leurs grands
prêtres – Pierre Carles ou Daniel Mermet
» ; « leurs journaux
de référence » ; « Seuls Le
Monde diplomatique et Charlie-Hebdo (déjà un peu
moins) trouvent grâce à leurs
yeux. »…

S’ils sont étudiants en lutte, salariés
de la SNCF en grève ou jeunes des quartiers populaires, ils
n’existent, pour les enquêteurs de Médias
qu’à travers les témoignages
(soigneusement filtrés) de journalistes qui ont dû
subir, indifféremment, des violences inadmissibles et des
critiques légitimes, aussi virulentes qu’elle
soient… Quand des arguments sont rapportés, ils sont
réécrits, tronqués,
falsifiés.

Des amalgames saugrenus, des articles pillés ou
plagiés, des motifs effacés et des protagonistes
évincés : tels sont les ingrédients
d’une tambouille délayée sur quatre
pages. De quoi fabriquer – sans haine,
évidemment… – une prétendue
détestation des médias qui dispense
d’examiner sur quoi repose leur contestation. De quoi
réserver la critique des médias à
« l’élite » du journalisme et
à ceux qui la servent, à l’exclusion de
toute autre. Bref, la remise en question du rôle des
journalistes dans le traitement des mobilisations sociales –
puisque c’est surtout de cela qu’il
s’agit ici – est synonyme d’atteinte
à la liberté de la presse. Et qui mieux que
Robert Ménard lui-même peut défendre
cette liberté ?

Ainsi, « ils détestent la presse et les
journalistes. Et ne ratent pas une occasion de le dire, de le leur
dire. Usant de l’insulte, voire de la menace pour les plus
enflammés. Les derniers mois en ont fourni de multiples
exemples. Sur les campus en grève. Dans les
dépôts SNCF en pleine « mobilisation
». Au milieu des banlieues en flammes. On ne compte plus les
journalistes, dans le meilleur des cas, mis à
l’index. Menacés, roués de coups quand
les circonstances s’y prêtaient. »

Médias adore les enquêtes,
passionnément

Et les auteurs de l’article commencent par le pire : des
actes de violence inadmissibles, commis par des groupes de jeunes dans
les quartiers populaires L’enquête de nos trois
gardiens de l’ordre les a conduits … jusque dans
les colonnes du Monde, dont ils ont méticuleusement
pillé deux articles.

Premier article pillé, sans le dire : un article de Daniel
Psenny, publié dans Le Monde du 3 décembre 2007.
[3] Mais, alors que les témoignages cités par
Psenny tentaient pour la plupart, sinon de justifier, du moins de
comprendre la contestation à l’égard
des médias [4], les croisés de Médias
se bornent à dresser une liste. Et nos copieurs –
voir le « test comparatif » en annexe – rappellent
les agressions physiques et les vols de matériels subis par
des journalistes de France
3, de LaTélélibre, des «
envoyés du Parisien ou du Monde »
.
Première des agressions mentionnées : « Dès le 25
novembre, Luc Bronner, reporter au Monde, se fait agresser par un
groupe de jeunes à Villiers-le-Bel. Lorsqu’il
annonce qu’il est journaliste, on lui conseille fermement de
« dégager » avant de le frapper.
»
Or Luc Bonner [5] à
l’occasion d’un chat publié par le
monde.fr le 24 octobre 2006 (et mis à jour le 30 janvier
2007) – « Qui sont les
révoltés des banlieues ? »

déclarait : « J’y suis
resté une semaine, avec l’idée de
parler des « invisibles », c’est-à-dire ceux
qu’on ne voit habituellement pas dans les médias.
J’en suis sorti frappé par le décalage
entre le traitement que nous, médias, avons de la banlieue
et la réalité. On parle en effet beaucoup plus de
quelques dizaines de jeunes délinquants que des milliers
d’habitants. […] Je pense que notre travail
n’est pas bien perçu par les jeunes des
cités. Beaucoup estiment que les médias
manipulent leur discours et caricaturent la jeunesse des banlieues. Je
pense qu’ils ont en grande partie raison.

»

Qu’importe à nos reporters sans autres
frontières que celles du périphérique.
Tout à leur labeur, ils poursuivent et s’inspirent
– sans le mentionner – d’un article
d’Ariane Chemin et Mustapha Kessous [6]. Cet article
décrit les activités de « Respect
sécurité » – une
société commerciale qui protège les
reporters – et mentionne l’existence de « fixeurs
», «
ces guides-interprètes pour reporters de guerre »
.
Qu‘importe à nos reporters sans autres sources que
les articles qu’ils pillent – voir également notre
« test comparatif » en annexe -, si ces
informations sur les « fixeurs » ont
été depuis très
controversées, notamment par « Arrêt sur
images » [7].

Reste une question : quel est le rapport entre ces violences et la
contestation des médias par des étudiants en
lutte ? Le voici, avec cette transition toute en nuances : « Dans les facs, on
n’en est pas là. Ou du moins pas encore. Mais
quand même »
.
L’enquête de nos trois gardiens de
l’ordre les a conduit, une nouvelle fois… jusque
dans les colonnes du Monde qui avait lui-même
rédigé un pot-pourri de toutes les manifestations
de défiance d’étudiants
mobilisés : un pot pourri que nous avions si longuement
cité et analysé qu’il est inutile
d’y revenir ici [8].

Des journalistes ont été pris à parti
par des étudiants ? Les lecteurs de Médias ne
sauront rien de leurs motifs. En revanche, ils apprendront ceci : « De qui proviennent
ces accusations, s’interroge une reporter de France Info,
citée dans le même papier : “Surtout
d’étudiants militant au syndicat Sud qui
reprochent aux médias en général et
à France info en particulier de relayer le discours
gouvernemental.” »
L’origine
des accusations (sur lesquelles il vaut mieux ne pas
s’attarder…) vaut disqualification de leur contenu.

« La
défiance est partout »
, constatent
amèrement nos ardents défenseurs d’une
liberté d’expression qu’ils
réservent aux seuls journalistes. Quant à se
prononcer sur les fondements de cette défiance, ce sera pour
plus tard. «
La défiance est partout et seuls les médias
alternatifs sont supposés rendre correctement compte des
revendications. » . Nos reporters, eux, ne sont pas
« supposés » vérifier que les
médias contestés rendent « correctement
compte des revendications. »

« Pour preuve,
poursuivent-ils, ces consignes relevées à la
même époque sur Indymedia Lille, […]
qui enjoignent « à tous les acteurs du mouvement de se
méfier comme de la peste des journalistes »
. On
peut encore lire : « En règle générale,
je vous conseille de ne pas [leur] répondre. [Le
journaliste] a tendance à se sentir supérieur et
s’il peut railler un propos léger, il le fera sans
hésitation ! Les rédacteurs de La Brique
(« canard local d’info et
d’enquête ») sont présents (et
certainement les autres médias alternatifs), c’est
à eux que vous devez faire confiance… » »

L’article, consultable sur le site d’Indymedia
Lille porte pour titre « Méfiez-vous des
journalistes ! »
. Contrairement à ce que
laissent supposer Ménard et Cie, il émane
d’une seule personne. Pas d’injonction, mais une
demande : «
Je demande à tous les acteurs du mouvement (et surtout aux
plus jeunes) de se méfier comme de la peste des
journalistes. »
Pas une consigne, mais un
conseil : «
En règle générale, je vous
conseille… »
Quel conseil ? Non pas
simplement de ne pas répondre aux journalistes, mais ceci : « En règle
générale, je vous conseille de ne pas
répondre aux journalistes
ou alors sous certaines
conditions très strictes
qu’il
s’efforcera de respecter. N’offrez jamais de
manichéisme, de simplisme, ou d’explications
hasardeuses au journaliste. Lui ne cherche pas à
défendre la LRU, mais de son statut de journaliste, il a
tendance à se sentir supérieur et s’il
peut railler un propos léger, il le fera sans
hésitation ! Les rédacteurs de La Brique sont
présents ( et certainement les autres médias
alternatifs), c’est à eux que vous devez faire
confiance… »

D’un texte individuel qu’ils ont
cisaillé sans signaler la coupe, nos tronçonneurs
ont fait un manifeste collectif qui invite à boycotter,
purement et simplement, les journalistes.

Après les étudiants, les grévistes de
la SNCF : «
Durant le conflit social de novembre dernier sur les régimes
spéciaux, même suspicion, même
hostilité envers les médias. »

Cette fois, nos chasseurs d’indices ont quitté les
colonnes du Monde pour rendre visite à celles de Rue89.
Là ils ont découvert (mais sans
préciser leur source, naturellement), le
témoignage indigné d’un journaliste de
France 3 Metz – Jean-Christophe Pinek – publié sous le titre
«
A l’AG des cheminots de Metz : « Les journalistes, foutez le
camp ! » »
. Un témoignage
qu’ils résument à leur façon
: « « Les journalistes, dehors ! Vous n’avez rien
à foutre ici. Vous ne filmerez rien du tout. Allez, foutez
le camp ! », hurle un
leader de la CGT locale. L’invective est bientôt
reprise par l’ensemble des 400 participants. »

Et nos trois enquêteurs de s’interroger :
« La raison de cette animosité ? » Ce
n’est pas de Ménard et Cie qu’il faut
attendre une réponse. Il leur suffit, pour expliquer cette
« animosité », de rapporter des propos
non sourcés qui ne figurent pas dans le
témoignage du journaliste de France 3 : « « Le
journaliste est un représentant de l’ordre
dominant et pense que les faits qui contredisent ses affirmations sont
de l’idéologie ». Ils « truquent
leurs reportages », sont
« vendus au pouvoir ». Bref,
des salauds
. » Qui parle ? Que signifient et que
valent les propos cités ? Peu importe à
Ménard et Cie : il leur suffit de les réduire
à des manifestations de haine, sans cause ni raison.

Suit alors, en guise de
complément d’enquête, une nouvelle
réécriture d’un extrait (non
sourcé, naturellement) de l’article du Monde déjà
cité En version originale : « Reporter
à France-Info, Célia Quilleret
reconnaît que, lorsqu’elle circule aux
abords des manifestations dans une voiture portant le logo de la
station publique,
elle se fait fréquemment
« alpaguer » par des
étudiants qui lui crient

« France-Info, c’est radio Sarko ».
Elle précise que ces accusations proviennent
« surtout
d’étudiants militant au syndicat SUD, qui
reprochent aux médias en
général et à France-Info en
particulier de relayer le discours
gouvernemental ». Journaliste au service
société de la
station, elle dit avoir essuyé les mêmes reproches
de la part de
cheminots adhérant au même
syndicat. »
En version Médias :
« Célia
Quilleret, reporter à France Info, en est
convaincue : qu’il s’agisse
d’étudiants ou de cheminots militant au syndicat
Sud,
pour
eux
« France
Info, c’est radio Sarko. » Quand
on sait que la droite pense à peu près
l’inverse ! »
« Des cris
 »
– en fait des slogans – qui fusent dans le contexte précis
d’une
mobilisation désavouée par la plupart des
médias sont transformés en
analyse et, celle-ci est réfutée par un point
d’exclamation…

Médias
aime
Acrimed, tendrement

Les enquêteurs de Médias sont
remontés aux
« sources » de ces
contestations : « Cette
mise au ban de « la presse »
s’abreuve aux mêmes sources, même si ses
propagandistes ne recourent pas à des méthodes
identiques. C’est
d’abord du côté d’Internet
qu’il faut aller chercher ses
“théoriciens”. »

Pour justifier ce méprisable mépris, rien de tel
que de méprisables procédés.

« Des
sites comme Acrimed,
poursuivent nos petits trafiquants,
demandent
de « relativiser
tous ces cris d’orfraie »,
allusion ironique aux craintes exprimées par la plupart des
médias face
au climat hostile constaté lors de la tenue de la
coordination
nationale étudiante. »
Nous
n’avions rien
« demandé », mais
simplement constaté : « Le
20 novembre, l’AFP publie un article de Juliette Collen qui
permet
de relativiser tous ces
cris d’orfraie. »
Cet article,
évidemment, ne figure pas dans le butin de nos copilleurs.
Et il suffit de se reporter à notre article – « Médias
contestables, médias contestés par des
étudiants en lutte »

– pour voir que les cris d’orfraie en question
n’ont rien à voir avec
de simples
« craintes » : ce sont
de violents réquisitoires que Médias
reprend à son compte en hurlant encore plus fort….

… Et en prétendant
nous citer : « La
grande presse serait atteinte de
“paranoïa” » Evidemment,
nous n’avons rien dit de tel, mais seulement
retourné à l’envoyeur, une feinte
interrogation d’un article de Libération,
qui se demandait ainsi à quoi attribuer la contestation
étudiante du rôle des journalistes «  Paranoïa ?
Posture radicale ?  ».
À quoi nous avions répliqué, après avoir
rapporté les virulentes critiques parus dans la
presse :
« Vous avez dit
“paranoïa” ? »,
en abandonnant ce vocabulaire
psychiatrique qui n’est pas le nôtre à
ses utilisateurs habituels qui, s’ils écrivent
dans la grande presse, ne sont pas « la
grande presse
 ».

De tous les arguments qui justifiaient ce
retour à l’envoyeur, nos
« sourciers » ne retiennent que
ceci : « Pour
preuve
[de la paranoïa que nous aurions
attribuée à la grande presse]  :
finalement

“sa présence [a] été
autorisée par un vote à main levée
[…]
L’opposition aux médias dominants a principalement
revêtu la forme
d’actions symboliques, plus on moins humoristiques.
 »
« Pour preuve » – nos
enquêteurs adorent cette expression qui signale
en général un indice trafiqué
– pour preuve, donc, de leur talent, ils
accrochent l’interrogation ironique non aux pages
qu’elle conclut, mais
à la phrase qui précède et qui
évoque non la présence de la presse en
général, mais celle d’un journaliste
précis dans une circonstance
précise [9].
Et « pour preuve » de leur
dextérité, ils font suivre cette phrase
isolée d’une autre qui, opportunément
séparée par une coupe
« […] »,
figure près de 10 paragraphes plus loin !

Du grand art sans
frontières ? En vérité, de
l’art de coller des gommettes en maternelle…

La suite est du même
acabit : « Et
pourquoi se plaindre puisque

– Attention, ils vont citer – “la contestation des
médias […] ne vise
pas les journalistes en tant qu’individus (même si
– et c’est
compréhensible – ils peuvent la considérer comme
une agression
personnelle), mais leur fonction. Une fonction qu’ils
remplissent,
parfois sans le vouloir ou s’en rendre vraiment compte, au
service de
médias hostiles au mouvement social dans son
ensemble.”  »
Et pour réduire cet argument à néant,
nos reporters d’ajouter en picorant dans l’article
une autre citation tronquée : « On
l’aura compris les journalistes ne sont
“que
les rouages d’un système qui les
dépasse”  ».
Et hop, encore, un coup de ciseau : nous avions
écrit, dans un contexte précis, que les
journalistes « ne
sont,
pour
une large part
,
que les rouages d’un système qui les
dépasse »
. Fallait-il
préciser qu’ils ne sont pas les seuls ?

Nous prêtant
généreusement leur propre stupidité,
nos
éclaireurs ajoutent que, selon nous, ceux que nous
traiterions en
simples « rouages », seraient
« Incapables,
d’ailleurs, de penser leur propre rôle dans la
société puisque […]

attention, ils vont citer !- “aucun article dans la
presse dominante
consacré à la question des rapports entre
médias et mobilisations
sociales n’a proposé de véritable
retour sur la responsabilité sociale
des journalistes.” ».
Pas de chance : la citation
présentée « pour
preuve » du procès en
incapacité générale que nous
aurions intenté, porte sur l’absence
d’article (et non de réflexion),
non sur le rôle des journalistes dans la
société en général, mais
sur
rôle des médias dans les mobilisations sociales.
Pas de chance : sur
l’absence précise que nous évoquions,
notre affirmation est
parfaitement exacte [10]
Et ce n’est pas le sermon de Médias
qui comblera ce vide…

Médias s’enflamme pour soi-même,
amoureusement

… Comme le confirme la suite,
puisque le moment d’une modeste concession est
arrivé : « Reconnaissons-le :
si les médias les plus importants – et
spécialement les chaînes de
télévision se voient ainsi mis en cause par
d’actives minorités, c’est
qu’ils prêtent le flanc à la critique.
On se doit d’admettre que leur
réquisitoire à l’encontre des
médias ne sonne pas toujours faux.
Les
procès en sensationnalisme, en superficialité, en
suivisme, en
connivence avec les pouvoirs en place ne relèvent pas que du
ressentiment. »
Entendez : ces
procès relèvent surtout du
ressentiment… Et quoi encore ? « Certes,
on n’en est plus aux liens incestueux de la presse avec le
Comité des
forges, mais de trop nombreux conflits
d’intérêts
[nous aurions
plutôt parlé de « convergences
d’intérêts », mais la
théorie sans frontières nous
échappe ! ]- entre
propriétaires de médias et État
subsistent en France. Ce qui est rarissime chez nos voisins
européens. Les journalistes
[Tous
vraiment ? Lesquels ?] sont
d’ailleurs les premiers à les dénoncer.
Des dizaines de livres parus ces derniers temps en
attestent. »
Et c’est tout.
Où est passée la question du rôle des
médias dans les mobilisations sociales ?
Disparue !

Mais quelle est donc la nature de ce
réquisitoire qui « ne
sonne pas toujours faux »
 ? « L’acte
d’accusation repose principalement sur une vision
« complotiste » du
monde et de son fonctionnement, qui fait florès au sein de
la gauche
radicale. »
Quel acte
d’accusation ? Peu importe : tout est dans
tout. En quoi consiste cette vision
« complotiste » ? Peu
importe :
tout est dans tout. De qui émane-t-elle ? Il suffit
de mentionner deux
sources qui n’ont rigoureusement aucun rapport entre
elles : « Ainsi,
dans les rangs des ultras de la mouvance altermondialiste, trouve-t-on
nombre d’exégètes de Noam Chomski

[sic, Chomsky s’écrit avec un
« y »]
ou, pire, de Thierry Meyssan. »

Et en guise d’exégèse de ces
prétendus
« exégètes »,
nos fins limiers
présentent comme autant de preuves tous les indices
qu’ils ont
eux-mêmes fabriqués : « Erreur,
malchance,
contingence, naïveté : ces notions sont
étrangères aux contempteurs des
médias. Un journaliste de base est, au mieux, un pauvre
bougre manipulé
par une hiérarchie, elle-même aux ordres des
patrons, lesquels prennent
leurs directives auprès du CAC 40. »

Mais à force de
répondre non à des arguments, mais à
leurs caricatures, nos médiocres faussaires qui se prennent
sans doute
pour de talentueux polémistes finissent par se noyer dans la
boue
qu’ils répandent : « Dans
ce remake de la lutte des
classes, le pigiste, forcément corvéable
à merci, reprend le rôle du
prolétaire aliéné. Imaginer, ne serait
qu’imaginer, qu’il puisse
exister des carrières ratées par manque de
talent, de travail ou de
sérieux fait de vous un kapo des multinationales de la
communication. »
Qui a pu prétendre cela ? Quant
à « imaginer, ne serait-ce
qu’imaginer » qu’il existe 20%
de pigistes et précaires parmi ceux qui
bénéficient de la carte de presse (sans compter
tous ceux qui n’en
bénéficient pas) – des
« carrières ratées par manque
de talent » ? –
cela ferait de vous un détestable critique des
médias, pour ne pas dire
un syndicaliste
« extrémiste ». Voire
même un journaliste syndiqué.

Quand vient le retour de
« ils » : ce solennel
pronom
qui englobe, sans avoir à demander leur avis ni
même en tenir compte,
ces loubards, ces étudiants, ces grévistes, ces
altermondialistes, ces
syndicalistes et ces pseudo-théoriciens qui poussent des
cris de haine
dans les oreilles de Ménard et Vielletet : « Ils ont
leurs livres de chevet – signés Bourdieu ou
Halimi -, leurs grands
prêtres – Pierre Carles ou Daniel Mermet, leurs
journaux de référence.
Les autres ne peuvent être que de
révérence. Seuls Le Monde
diplomatique et Charlie-Hebdo (déjà un peu moins)
trouvent grâce à
leurs yeux. Et, bien sûr, une pléiade de sites
participatifs, citoyens,
interactifs, coin communautaires. En dehors d’eux, point de
salut. ».
C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle
n’écoutant que leur haine de soi
tant de journalistes adhèrent à notre association
ou sympathisent avec
elle. C’est aussi la raison pour laquelle, non contents de
soutenir les
médias associatifs (sur lesquelles Ménard et Cie
postillonnent leur
dédain), nous proposons des transformations de
l’ordre médiatique
existant… que Médias
protège de son rempart de pages en couleur et en papier
glacé [11].

Et l’article de
s’achever en apothéose.
« Ils » est un
admirateur inconditionnel des régimes de Cuba, du Venezuela
et de la
Chine. Inutile de préciser ici que ces régimes
font l’objet de
positions diverses et divergentes, voire opposées, parmi les
« ils ».
Notons simplement que la liste est incomplète et que
Ménard a oublié
que « ils » encense
vraisemblablement les régimes d’Arabie Saoudite,
d’Iran, du Tchad, de Birmanie, de la Tunisie, de la Libye et
de la
Corée du Nord ! Entre autres…

Caricature que tout cela ? On
aimerait le penser, mais
on se tromperait. Le mépris que témoignent nos
trois compères et les
plus extrémistes de nos défenseurs des
médias dominants pour toute
critique des médias qui ne leur est pas acquise et soumise,
et, plus
généralement, pour le débat, le doute,
l’incertitude, renvoie à un
vieux fond d’intolérance, voire de terrorisme
intellectuel. Celui-là
même qui leur a fait écrire cet article et les
quelques phrases que
nous venons de plagier [12].

Henri Maler (avec Mathias Reymond)

****

Pillages
et plagiats : Nos tests comparatifs

- Le
pillage

consiste en simple travail de diffusion d’informations non
sourcées.
Ainsi sur la société « Respect
sécurité » et
l’existence de
« fixeurs »

– Ariane Chemin et Mustapha Kessous –
« Pour filmer les
“quartiers ”, les reporters ont
désormais leurs gardes du corps », paru
dans Le Monde du 30 novembre
2007 – écrivaient :

« Les
émeutes de Villiers ont suscité
de nouvelles vocations. Vos caméras sont devenues
indésirables ? Rachid
Mimouni et Morad Bourouaha, les deux patrons de Respect
sécurité, sont
là pour vous aider. Leur équipe, quarante
personnes mobilisables à tout
moment, sait assurer la sécurité des reporters
« télé ».
Leurs parkas
et blousons noirs, parfaits camouflages sans logos, se fondent
à
merveille dans la nuit. […] Au départ, Respect
sécurité n’était
qu’une
association de banlieue, travaillant avec les collectivités
locales. Il
y a deux ans, elle est devenue une société
commerciale : « Le
bénévolat, ça a du bon un temps,
explique M. Bourouaha. Le monde
change. » La petite entreprise se
spécialise dans la sécurité classique
– le gardiennage avec maîtres-chiens -, celle des
fêtes (pour la ville
de Bagnolet) ou des concerts, de rap notamment. Il y a aussi la
nouveauté : l’aide et la
« sécurisation » des
tournages. L’équipe lit
les scripts, repère les lieux, recrute des figurants…
Aïcha, de
Yasmina Benguigui, ou La Commune, série actuellement
diffusée sur
Canal+, ont profité de leurs services. […]
Respect sécurité s’est
encore diversifié. « Ils
« sécurisent » les
reportages, comme ils le
font pour les tournages, explique un journaliste client. Ils nous
disent : « Passez par ici, ne passez pas
par là. » Ils nous commandent
de baisser la caméra, on la baisse. Ils sont discrets, mais
on les sent
capables d’être fermes si
nécessaire. » La banlieue avait
déjà ses
« fixeurs », ces
guides-interprètes pour reporter de guerre, elle a
désormais ses « grands
frères » gardes du corps : 30
euros HT de
l’heure, forfait de quatre heures
minimum. »

– Et voici la version Pillages sans
frontières :

« Au
point qu’on a pu entendre un
vocabulaire habituellement réservé aux champs de
bataille : pour
travailler, il faut maintenant avoir recours à des
« fixeurs », qui
servent également de chauffeurs, comme en Irak. À
Villiers-le-Bel, une
quarantaine d’entre eux se sont regroupés sous le
sigle « Respect
sécurité ». Cette association
de banlieue, devenue société commerciale
en 2005, vend désormais ses services aux médias.
Ses employés
« sécurisent » les
reportages, rassurent les équipes en tournage. On
les dit « discrets », mais on les
sent « capables d’être fermes si
nécessaire ». Selon Rachid Mimouni et
Morad Bourouaha, les deux
patrons, les « grands
frères », qui ont
l’expérience des quartiers,
arrivent « à désamorcer
rapidement une embrouille ». Tarif : 30
euros
de l’heure, hors taxes. Minimum de quatre
heures. »

- Le
plagiat
se
distingue parfois à peine du pillage : tous deux
témoignent d’un
profond mépris pour le travail d’autrui.
Impossible de défendre la
liberté de la presse et, en même temps, de
mépriser le travail des
journalistes. Mais à l’impossible
Ménard et Veilletet ne sont pas tenu.
Nouvel exemple, d’un plagiat avéré
cette fois : Comparaisons entre
l’article de Daniel Psenny, « Les
médias comme cible à
Villiers-le-Bel », Le
Monde
, lundi, 3 décembre
2007, p. 17 et sa version « Plagiaires sans
frontières.. L’ordre des
informations est le même dans les quelques lignes de
l’article de Médias,
et dans les quelques paragraphes de l’article du Monde non-cité (lire les
passages en gras dans la version du Monde).

Version Le
Monde (non citée)
 : Ainsi, dès le dimanche soir 25 novembre,
Luc Bronner, reporter au

Monde
, s’est fait agresser par un groupe
de jeunes
. Premier journaliste de presse
écrite arrivé sur les lieux de
l’accident, il raconte : « Je
suis rentré dans la cité vers 19 h 30 avec ma
voiture. Il y avait une
centaine de jeunes cagoulés, dont certains armés
de barres de fer qui
mettaient le feu à des voitures. En m’approchant,
j’ai croisé le regard
de l’un d’eux. Il est venu me voir et
, lorsque je lui
ai dit que j’étais journaliste, il m’a
fermement dit de dégager
.
Puis il m’a pris par le col de mon blouson et m’a
poussé. Un autre
jeune est arrivé et m’a donné un
violent coup de pied dans le thorax.
Je me suis dégagé et je suis parti en courant.
Ils ne m’ont pas
poursuivi. »


Version Plagiaires sans
frontières (Médias)
 :
Dès le 25 novembre, Luc Bronner, reporter au Monde,
se fait agresser par un groupe de jeunes à Villiers-le-Bel.
Lorsqu’il
annonce qu’il est journaliste, on lui conseille fermement de « dégager »
avant de le frapper.

Version Le
Monde (non citée)
 : Le
lendemain, c’est au tour d’une équipe de
France 3 Ile-de-France de se
faire voler sa caméra. Noé Salemn, journaliste
reporter d’images, est
violemment frappé
et
traîné à terre. « Nous
sommes arrivés vers 14 heures sur les lieux de la collision.
Il y avait
un groupe de jeunes, raconte-t-il. On a commencé
à faire des
interviews. Une personne plus agressive est arrivée ensuite,
entourée
d’une petite dizaine d’autres, venues exclusivement
pour voler la
caméra. J’ai résisté, ils
m’ont
traîné sur 5 ou 6 mètres en me donnant des
coups au visage, à l’oreille, aux cervicales, au
genou, sur les reins

Au bout d’un certain temps, j’ai dû
lâcher la caméra, et ils sont partis
avec. »


Version Plagiaires sans
frontières
 : Le lendemain,
c’est une équipe de France
3

qui se fait voler du matériel : Noé
Salemn, cameraman, est violemment
frappé au visage, aux cervicales, au genou, dans les reins,
avant
d’être traîné sur cinq ou six
mètres et de devoir lâcher sa caméra.

Version Le
Monde (non citée)
 : Toujours lundi soir, deux journalistes de
LaTélélibre
, une
télévision diffusée sur le Net et
dirigée par John Paul Lepers (ex-Canal +), ont été blessés.

Version Plagiaires sans
frontières
 : Deux journalistes de LaTélélibre
sont également blessés.

Version Le
Monde (non citée)
 : Par ailleurs, un journaliste du Parisien, un du
gratuit 20 minutes et deux autres reporters du Monde
ont été
menacés ou se sont fait voler leurs
téléphones portables
.

Version Plagiaires sans
frontières
 : Les envoyés du
Parisien ou du Monde sont menacés et se font voler leurs
téléphones portables.

_________________________________________________

[1]
Emmanuel Lemieux, « « Médias », le
retour », Le Nouvel
économiste
, n°1265, 25 juin-1er juillet
2004.

[2] Voir
ici-même « Robert
Ménard (RSF) sanctifié par Le
Monde »
.

[3] Daniel
Psenny « Les médias comme cible
à Villiers-le-Bel », Le
Monde
, lundi, 3 décembre 2007, p. 17.

[4] Dans
le contexte précis des affrontements de Villiers-le-Bel en
novembre 2007.

[5] Luc
Bronner, journaliste du Monde,
a reçu le prix Albert-Londres, pour une série de
reportages dans les quartiers populaires, effectivement inhabituels.

[6]
« Pour filmer les “quartiers ”,
les reporters ont désormais leurs gardes du
corps », paru dans Le
Monde
du 30 novembre 2007.

[7]
Dans un article publié le 3 décembre 2007 par Dan
Israel – « Les
introuvables « fixeurs » des banlieues
françaises » – indisponible
gratuitement.

[8] Dans
l’annexe de « Un sermon du Monde contre les acteurs des
mobilisations sociales »
. Au passage,
réalisant un coup de maître, Ménard et
Cie réécrivent l’article. Sylvie
Kerviel avait écrit : « Un espace de quelques mètres
carrés délimité par du fil de fer
barbelé » .
Ménard
et Cie « citent » tout autrement,
en rétablissant la vérité :
« Un espace de quelques
mètres carrés délimité par
du fil de fer barbelé

dessiné au feutre noir sur le
sol

[…] »
. Il est vrai que le 25
novembre l’auteure de l’article a publié
un erratum dans les colonnes du Monde :
« Une
coupe malencontreuse dans l’article « Les AG
d’étudiants se méfient des
médias » , publié dans la
« Fabrique de l’info »
du Monde daté 18-19
novembre, a laissé croire qu’un fil de fer
barbelé avait été
déroulé à
l’université Rennes-II pour délimiter
un espace réservé à la presse,
lors de la réunion de la coordination étudiante
contre la loi Pécresse,
le week-end des 10 et 11 novembre. Ce périmètre,
figurant un fil de fer
barbelé, avait en fait été
dessiné sur le sol au feutre noir, précision
qui manquait dans le texte publié (et rétablie
dès le lundi 19 novembre
dans l’édition disponible en ligne sur notre site
Internet. »

[9] « Dans le même
numéro,
Ouest-France consacre
un article au reportage d’un de ses journalistes dans un
amphithéâtre
occupé de l’université
d’Angers, admettant que sa présence avait
été
autorisée par un vote à main
levée. »

[10] Et
le contexte le confirme : « La
présence de journalistes dans des assemblées
générales (ou des
coordinations) et la substitution d’interviews individuelles
à
l’expression des porte-parole démocratiquement
désignés sont des formes
d’intervention et pas seulement (voire pas du tout) des
moyens de
recherche de l’information. Or aucun article de la presse
dominante
consacré à la question des rapports entre
médias et mobilisations
sociales n’a proposé de véritable
retour sur la responsabilité sociale
des journalistes. »

[11] Lire
par exemple ici même : « Sacro-saint
libéralisme : la revue Médias
se prosterne »
.

[12] « Caricature
que tout cela ? On aimerait le penser, mais on se tromperait.
Le mépris
que témoignent nos jeunes contestataires et les plus
extrémistes de nos
syndicalistes
[Sud et la CGT ] pour
une presse qui
ne leur est pas acquise et, plus généralement,
pour le débat, le doute,
l’incertitude, renvoie à un vieux fond
français
[ ???] d’intolérance,
voire de terrorisme intellectuel. »

Par Henri Maler