S’abaisser à partager la grève, des moments de grève, un repas, une discussion basée sur l’échange plutôt que sur le gavage, une action, un dortoir… est de toute évidence quelque chose d’inimaginable pour un prof. Agir et décider en commun semble une idée insupportable. Il y perdrait inévitablement sa posture de dominant, son statut particulier, sa dimension d’élite. Son inscription dans un mouvement commun l’amputerait du contrôle individuel qu’il a en toute circonstance sur les choses. Et le sage n’accepte pas que quoique ce soit le déborde. Il préfère donc sa position d’intellectuel pensant, et bien-pensant tant qu’à faire, face aux écervelés de l’occupation des facs… Il préfère son statut de théoricien qui le dégage de l’action et des tâches ingrates de l’organisation de la grève, qu’il réserve du coup à d’autres. Il se place donc au mieux en posture de spectateur face aux acteurs du mouvement… La très confortable position de spectateur qu’il brandit comme garante de son objectivité intellectuelle, qui le dispense d’assumer en acte sa position politique et qui est surtout la preuve flagrante d’une grande malhonnêteté intellectuelle qui cache mal une réelle prétention et un manque de courage évident ! Le fait est que la plupart des enseignants-chercheurs tiennent bien trop à leur fameux statut d’élite. Ils pensent leur savoir tout puissant, et le placent au dessus et même au-delà de tout, y compris des orientations politiques de ce pays !

Plus sérieux, et donc plus dangereux, sont les modernistes de la gauche, ceux de l’U.N.E.F et les sociaux démocrates de droites. qui revendiquent une « réforme de structure de l’Université », une « réinsertion de l’Université dans la vie sociale et économique », c’est-à-dire son adaptation aux besoins du capitalisme moderne.
De dispensatrices de la « culture générale » à l’usage des classes dirigeantes, les diverses facultés et écoles, encore parées de prestiges anachroniques, sont transformées en usines d’élevage hâtif de petits cadres et de cadres moyens. Loin de contester ce processus historique qui subordonne directement un des derniers secteurs relativement autonomes de la vie sociale aux exigences du système marchand, nos progressistes protestent contre les retards et défaillances que subit sa réalisation.
{{Ils sont les tenants de la future Université cybernétisée qui s’annonce déjà çà et là. Le système marchand et ses serviteurs modernes, voila l’ennemi.}}

Nous travaillons, mangeons, lisons, dormons, consommons, prenons des loisirs, absorbons de la culture, recevons des soins, et ainsi nous survivons comme des plantes d’appartement. Nous survivons contre tout ce qui nous incite à vivre. Nous survivons pour un système totalitaire et inhumain – une religion de choses et d’images – qui nous récupère presque partout et presque toujours pour augmenter les profits et les pouvoirs en miettes de la classe bureaucratico-bourgeoise.

Nous serions simplement ce qui fait survivre le système marchand si parfois nous ne redevenions soudain nous-mêmes, si nous n’étions saisis par l’envie de vivre passionnément. Au lieu d’être vécus par procuration, par images interposées, les moments authentiquement vécus et le plaisir sans réserve, allié au refus de ce qui l’entrave ou le falsifie, sont autant de coups portés au système spectaculaire-marchand. Il suffit de leur donner plus de cohérence pour les étendre, les multiplier et les renforcer.

En créant passionnément les conditions favorables au développement des passions, nous voulons détruire ce qui nous détruit.
{{{La révolution est la passion qui permet toutes les autres.}}}