« L’aggravation des tensions impérialistes et du chaos »

7) La vie économique de la société bourgeoise, ne peut échapper, dans aucun pays, aux lois de la décadence capitaliste, et pour cause : c’est d’abord sur ce plan que se manifeste cette décadence. Néanmoins, pour cette même raison, les manifestations majeures de la décomposition épargnent pour l’heure la sphère économique. On ne peut en dire autant de la sphère politique de la société capitaliste, notamment celle des antagonismes entre secteurs de la classe dominante et tout particulièrement celle des antagonismes impérialistes. En fait, la première grande manifestation de l’entrée du capitalisme dans sa phase de décomposition concernait justement le domaine des conflits impérialistes : il s’agit de l’effondrement, à la fin des années 1980, du bloc impérialiste de l’Est qui a provoqué rapidement la disparition du bloc occidental. C’est en premier lieu sur le plan des relations politiques, diplomatiques et militaires entre États que s’exprime aujourd’hui le « chacun pour soi », caractéristique majeure de la phase de décomposition. Le système des blocs contenait le danger d’une troisième guerre mondiale, issue qui n’aurait manqué de survenir si le prolétariat mondial n’avait été capable d’y faire obstacle dès la fin des années 1960. Néanmoins, il représentait une certaine « organisation » des tensions impérialistes, notamment par la discipline imposée au sein de chacun des deux camps par sa puissance dominante. La situation qui s’est ouverte en 1989 est toute différente. Certes, le spectre de la guerre mondiale a cessé de menacer la planète mais, en même temps, on a assisté à un déchaînement des antagonismes impérialistes et des guerres locales avec une implication directe des grandes puissances, à commencer par la première d’entre elles, les États-Unis. Il revenait à ce pays, qui s’est investi depuis des décennies du rôle de « gendarme du monde », de poursuivre et renforcer ce rôle face au nouveau « désordre mondial » issu de la fin de la guerre froide. En réalité, s’il a pris à cœur ce rôle, ce n’est nullement pour contribuer à la stabilité de la planète mais fondamentalement pour tenter de rétablir son leadership sur celle-ci, un leadership sens cesse remis en cause, y compris et notamment par ses anciens alliés, du fait qu’il n’existe plus le ciment fondamental de chacun des blocs impérialistes, la menace d’un bloc adverse. En l’absence définitive de la « menace soviétique », le seul moyen pour la puissance américaine d’imposer sa discipline est de faire étalage de ce qui constitue sa force principale, l’énorme supériorité de sa puissance militaire. Ce faisant, la politique impérialiste des États-Unis est devenue un des principaux facteurs de l’instabilité du monde. Depuis le début des années 1990 les exemples ne manquent pas : la première guerre du Golfe, celle de 1991, visait à resserrer les liens, qui commençaient à disparaître, entre les anciens alliés du bloc occidental (et non pas à « faire respecter le droit international » bafoué par l’annexion irakienne du Koweït qui avait été présenté comme prétexte). Peu après, à propos de la Yougoslavie, l’unité entre les principaux anciens alliés du bloc occidental volait en éclats : l’Allemagne avait mis le feu aux poudres en poussant la Slovénie et la Croatie à se déclarer indépendantes, la France et la Grande-Bretagne nous servaient un remake de « l’Entente cordiale » du début du 20e siècle en soutien des intérêts impérialistes de la Serbie alors que les États-Unis se présentaient comme les parrains des musulmans de Bosnie.

8) La faillite de la bourgeoisie américaine, tout au long des années 1990, à imposer de façon durable son autorité, y compris à la suite de ses différentes opérations militaires, l’a conduite à rechercher un nouvel « ennemi » du « monde libre » et de la « démocratie », capable de ressouder derrière elle les principales puissances du monde, notamment celles qui avaient été ses alliées : le terrorisme islamique. Les attentats du 11 septembre 2001, dont il apparaît de plus en plus clairement (y compris aux yeux de plus d’un tiers de la population américaine et de la moitié des habitants de New York) qu’ils avaient été voulus, sinon préparés, par l’appareil d’état américain, devaient servir de point de départ de cette nouvelle croisade. Cinq ans après, l’échec de cette politique est patent. Si les attentats du 11 septembre ont permis aux États-Unis d’impliquer des pays comme la France et l’Allemagne dans leur intervention en Afghanistan, ils n’ont pas réussi à les entraîner dans leur aventure irakienne de 2003, réussissant même à susciter une alliance de circonstance entre ces deux pays et la Russie contre cette dernière intervention. Par la suite, certains de leurs « alliés » de la première heure au sein de la « coalition » qui est intervenue en Irak, tels l’Espagne et l’Italie, ont quitté le navire. Au final, la bourgeoisie américaine n’a atteint aucun des objectifs qu’elle s’était fixés officiellement ou officieusement : l’élimination des « armes de destruction de masse » en Irak, l’établissement d’une « démocratie » pacifique dans ce pays, la stabilisation et un retour à la paix de l’ensemble de la région sous l’égide américaine, le recul du terrorisme, l’adhésion de la population américaine aux interventions militaires de son gouvernement.

La question des « armes de destruction massive » a été réglée rapidement : très vite, il a été clair que les seules qui étaient présentes en Irak étaient celles apportées par la « coalition », ce qui, évidemment, a mis en évidence les mensonges de l’administration Bush pour « vendre » son projet d’invasion de ce pays.

Quant au recul du terrorisme, on peut constater que l’invasion en Irak ne lui a nullement coupé les ailes mais a constitué, au contraire, un puissant facteur de son développement, tant en Irak même que dans d’autres parties du monde, y compris dans les métropoles capitalistes, comme on a pu le voir à Madrid en mars 2004 et à Londres en juillet 2005.

Ainsi, l’établissement d’une « démocratie » pacifique en Irak s’est soldé par la mise en place d’un gouvernement fantoche qui ne peut conserver le moindre contrôle du pays sans le soutien massif des troupes américaines, « contrôle » qui se limite à quelques « zones de sécurité », laissant dans le reste du pays le champ libre aux massacres entre communautés chiites et sunnites ainsi qu’aux attentats terroristes qui ont fait plusieurs dizaines de milliers de victimes depuis le renversement de Saddam Hussein.

La stabilisation et la paix au Proche et Moyen-Orient n’ont jamais paru aussi éloignées : dans le conflit cinquantenaire entre Israël et la Palestine, ces dernières années ont vu une aggravation continue de la situation que les affrontements inter palestiniens entre Fatah et Hamas, de même que le discrédit considérable du gouvernement israélien ne peuvent que rendre encore plus dramatiques. La perte d’autorité du géant américain dans la région, suite à son échec cuisant en Irak, n’est évidemment pas étrangère à l’enlisement et la faillite du « processus de paix » dont il est le principal parain.

Cette perte d’autorité est également en partie responsable des difficultés croissantes des forces de l’OTAN en Afghanistan et de la perte de contrôle du gouvernement Karzaï sur le pays face aux Talibans.

Par ailleurs, l’audace croissante dont fait preuve l’Iran sur la question des préparatifs en vue d’obtenir l’arme atomique est une conséquence directe de l’enlisement des États-Unis en Irak qui leur interdit toute autre intervention militaire.

Enfin, la volonté de la bourgeoisie américaine de surmonter définitivement le « syndrome du Vietnam », c’est-à-dire la réticence au sein de la population des États-Unis face à l’envoi de soldats sur des champs de bataille, a abouti au résultat inverse à celui qui était escompté. Si, dans un premier temps, l’émotion provoquée par les attentats du 11 septembre avait permis un renforcement massif au sein de cette population des sentiments nationalistes, de la volonté d’une « union nationale » et de la détermination à s’impliquer dans la « guerre contre le terrorisme », le rejet de la guerre et de l’envoi des soldats américains sur les champs de bataille est revenu en force au cours des dernières années.

Aujourd’hui, en Irak, la bourgeoisie américaine se trouve dans une véritable impasse. D’un côté, tant du point de vue strictement militaire que du point de vue économique et politique, elle n’a pas les moyens d’engager dans ce pays les effectifs qui pourraient éventuellement lui permettre d’y « rétablir l’ordre ». De l’autre, elle ne peut pas se permettre de se retirer purement et simplement d’Irak sans, d’une part, afficher encore plus ouvertement la faillite totale de sa politique et, d’autre part, ouvrir les portes à une dislocation de l’Irak et à la déstabilisation encore bien plus considérable de l’ensemble de la région.

9) Ainsi le bilan du mandat Bush fils est certainement un des plus calamiteux de toute l’histoire des États-Unis. L’accession en 2001 à la tête de l’État américain des « neocons » a représenté une véritable catastrophe pour la bourgeoisie américaine. La question qui se pose est : comment a-t-il été possible que la première bourgeoisie du monde ait fait appel à cette bande d’aventuriers irresponsables et incompétents pour diriger la défense de ses intérêts ? Quelle est la cause de cet aveuglement de la classe dominante du principal pays capitaliste ? En fait, l’arrivée de l’équipe Cheney, Rumsfeld et compagnie aux rênes de l’État n’était pas le simple fait d’une monumentale « erreur de casting » de la part de cette classe. Si elle a aggravé considérablement la situation des États-Unis sur le plan impérialiste, c’était déjà la manifestation de l’impasse dans laquelle se trouvait ce pays confronté à une perte croissante de son leadership, et plus généralement au développement du « chacun pour soi » dans les relations internationales qui caractérise la phase de décomposition.

La meilleure preuve de cela est bien le fait que la bourgeoisie la plus habile et intelligente du monde, la bourgeoisie britannique, s’est elle-même laissée entraîner dans l’impasse de l’aventure irakienne. Un autre exemple de cette propension aux choix impérialistes calamiteux de la part des bourgeoisies les plus « efficaces », de celles qui avaient réussi jusqu’à présent à manier avec maestria l’emploi de leur puissance militaire, nous est donné, à une moindre échelle, par l’aventure catastrophique d’Israël au Liban au cours de l’été 2006, une offensive qui, avec le feu vert des « stratèges » de Washington, visait à affaiblir le Hezbollah et qui a réussi le tour de force de renforcer ce parti.

« La destruction accélérée de l’environnement »

10) Le chaos militaire qui se développe de par le monde, plongeant de vastes régions dans un véritable enfer et la désolation, notamment au Moyen-Orient mais aussi et surtout en Afrique, n’est pas la seule manifestation de l’impasse historique dans laquelle se trouve le capitalisme ni, à terme, la plus menaçante pour l’espèce humaine. Aujourd’hui, il est devenu clair que le maintien du système capitaliste tel qu’il a fonctionné jusqu’à présent porte avec lui la perspective de la destruction de l’environnement qui avait permis l’ascension de l’humanité. La poursuite de l’émission des gaz à effet de serre au rythme actuel, avec le réchauffement de la planète qui en résulte, annonce le déchaînement de catastrophes climatiques sans précédent (canicules, ouragans, désertification, inondations…) avec tout un cortège de calamités humaines effrayantes (famines, déplacement de centaines de millions d’êtres humain, surpopulation dans les régions les plus épargnées…). Face aux premiers effets visibles de cette dégradation de l’environnement, les gouvernements et les secteurs dirigeants de la bourgeoisie ne peuvent plus cacher aux yeux des populations la gravité de la situation et l’avenir catastrophique qui s’annonce. Désormais, les bourgeoisies les plus puissantes et la presque totalité des partis politiques bourgeois se peignent de vert pour promettre qu’ils vont prendre les mesures pour épargner à l’humanité la catastrophe annoncée. Mais il en est du problème de la destruction de l’environnement comme de celui de la guerre : tous les secteurs de la bourgeoisie se déclarent CONTRE cette dernière, mais cette classe, depuis que le capitalisme est entré en décadence est incapable de garantir la paix. Et ce n’est nullement là une question de bonne ou mauvaise volonté (même si derrière les secteurs qui poussent le plus à la guerre on peut trouver les intérêts les plus sordides). Même les dirigeants bourgeois les plus « pacifistes » ne peuvent échapper à une logique objective qui lamine leurs velléités « humanistes » ou la « raison ». De la même façon, la « bonne volonté » affichée de façon croissante par les dirigeants de la bourgeoisie vis-à-vis de la protection de l’environnement, même lorsqu’elle n’est pas un simple argument électoral, ne pourra rien contre les contraintes de l’économie capitaliste. S’attaquer efficacement au problème de l’émission des gaz à effet de serre suppose des bouleversements considérables dans les secteurs de la production industrielle, de la production d’énergie, des transports, de l’habitat et donc des investissements massifs et prioritaires dans tous ces secteurs. De même, cela suppose de remettre en cause des intérêts économiques considérables, tant au niveau d’immenses entreprises qu’au niveau des états. Concrètement, si un État prenait à son niveau les dispositions nécessaires pour apporter une contribution efficace à la solution du problème, il se verrait immédiatement pénalisé de façon catastrophique face à la compétition sur le marché mondial. Il en est des États face aux mesures à prendre pour combattre le réchauffement climatique comme des bourgeois face aux augmentations des salaires ouvriers. Ils sont tous POUR de telles mesures… chez les autres. Tant que survivra le mode de production capitaliste, l’humanité est condamnée à subir de façon croissante les calaminés en tous ordres que ce système à l’agonie ne peut éviter de lui imposer, des calamités qui menacent l’existence même de celle-ci.

Ainsi, comme le CCI l’avait mis en évidence il y a plus de 15 ans, le capitalisme en décomposition porte avec lui des menaces considérables pour la survie de l’espèce humaine. L’alternative annoncée par Engels à la fin du 19e siècle, socialisme ou barbarie, est devenue tout au long du 20e siècle une sinistre réalité. Ce que le 21e siècle nous offre comme perspective, c’est tout simplement socialisme ou destruction de l’humanité. Voila l’enjeu véritable auquel se confronte la seule force de la société en mesure de renverser le capitalisme, la classe ouvrière mondiale.

Courant Communiste International – www.internationalism.org