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COMMUNIQUE DE PRESSE

le journal « L’Envolée » condamné par le tribunal de Beauvais le 29/05/07.

« Vous avez décrit maladroitement une situation bien réelle », le président du tribunal

Le journal anti-carcéral Ll’Envolée a comparu le 19 décembre 2006 à 13h30 au tribunal de grande instance de Beauvais pour diffamation contre l’administration pénitentiaire (plainte déposée par le procureur de la république). Maître Irène Terrel, avocat au barreau de Paris, nous représentait.

La directrice de publication, Denise Le Dù, devait répondre de quatre plaintes pour diffamation envers une administration publique (numéro 12 à 15) :

une lettre de prisonnier (André Allaix) dénonçant les violences des ERIS (Équipes régionales d’intervention et de sécurité) dans le numéro 12,

un témoignage d’un prisonnier (Didier Cadet) sur des comportements violents et racistes du personnel pénitentiaire de Clairvaux dans le numéro 13,

une lettre publique d’un prisonnier malade (Laurent Jacqua) au sujet du placement abusif au quartier disciplinaire à la centrale de Moulins, dans le numéro 14,

un courrier d’un autre prisonnier (Xavier Vanlancker) sur des brimades pénitentiaires à la maison d’arrêt de La santé dans le numéro 15.

Le journal était aussi poursuivi pour diffamation envers R.Danet, ancien directeur de l maison centrale de Clairvaux, pour avoir cité dans un supplément au numéro 13 l’ouvrage de Bernard Cuau préfacé par Michel Foucault paru en 1976 sur les causes de la mort de Patrick Mirval, détenu à Fleury-Mérogis, décès dans lequel Bernard Cuau impliquait R.Danet sans avoir été poursuivi à l’époque.

Pour cette audience du 19 décembre, Denise Le Dù avait demandé à ce que les quatre prisonniers soient extraits pour être entendus et puissent confirmer la véracité de leurs témoignages. Ils ont pu s’exprimer et développer de vives voix, sans concessions, tout ce qu’ils avaient écrit auparavant. Le président a tenu le rôle d’un juge « impartial », soucieux d’entendre la vérité, et il a affirmé avec force à André Allaix, qui mettait en cause son indépendance, qu’il n’avait qu’un seul « patron » : le code pénal. Maître De Felice, ancien membre du GIP (Groupe Information Prison), membre de la Ligue des droits de l’homme, était venu insister sur la nécessité de l’expression directe des prisonniers sur leur condition de prisonnier.

Après plusieurs reports du délibéré, le tribunal a rendu son jugement le 29 mai 2007, malheureusement très éloigné de l’écoute apparemment attentive du 19 décembre : la première plainte à été déclarée prescrite, et le journal L’Envolée a été condamné à 1000 euros d’amende avec sursis pour chacune des trois autres plaintes de l’administration pénitentiaire et à 500 euros de dommages et intérêts pour R.Danet.

Le tribunal de Beauvais, dans ses motivations, a déclaré ne pas remettre en doute les violences dénoncées : il a considéré que l’infraction de diffamation envers l’administration pénitentiaire « était constituée dans sa forme et par les mots employés », en ajoutant que « la faiblesse de la peine la rend symbolique car vous avez décrit maladroitement une situation bine réelle » ; c’est autour de la forme qu’il voit matière à offense et donc condamnation. Tout comme l’administration pénitentiaire, il interdit aux prisonniers de dénoncer eux-mêmes les exactions qu’ils ont subies : la vérité crue constitue une « offense » !

Contrairement aux apparences ces amendes ne sont pas « symboliques », et pour nous la condamnation est lourde et forte de sens. Le sursis est une mesure destinée à avertir le journal que nous ferions mieux de renoncer à publier les textes de prisonniers.

Les 500 euros pour R.Danet sont le comble de l’indécence : le tribunal n’a pas jugé bon d’annuler la procédure de plainte alors que l’ouvrage cité par L’Envolée est ancien de trente ans et qu’il n’avait à l’époque fait l’objet d’aucune poursuite. Il était alors risqué de faire trop de bruit autour du certain « malaise cardiaque » de Patrick Mirval dans l’ascenseur qui menait au mitard de Fleury, ascenseur dans lequel se trouvait R.Danet. Il est vrai que depuis, ce personnage a été largement récompensé pour ses actes, passant du poste de surveillant à celui de directeur hors-cadre, le plus haut grade de l’administration pénitentiaire.

L’opacité et le silence sont intrinsèques au fonctionnement de l’administration pénitentiaire. La justice « en toute indépendance », paraît être une fois de plus là pour le rappeler. Six numéros du journal ont fait l’objet de plainte pour diffamation, à quand la prochaine ? Celle qui révoquerait éventuellement le sursis mettrait L’Envolée en danger de mort. Si, pour des journaux à grand tirage, 3000 euros ne représentent presque rien, ces frais hypothèquent notre existence ; pour sauvegarder notre indépendance nous avons fait le choix de ne pas être subventionnés et de ne recevoir d’argent d’aucune organisation.

Cette épée de Damoclès, au-delà d’une attaque sur la liberté d’expression et de la presse, est une censure à peine déguisée.

Sans illusion particulière, sans goût pour la procédure ni pour les tribunaux, nous sommes contraints de faire appel de cette décision.

A Paris, le 15/06/07
Pour L’Envolée, Denise Le Dù, directrice de publication.