L’enquête menée par IFOP pour le JDD et M6 sur les intentions de vote au deuxième tour donne gagnant Nicolas Sarkozy, avec 52,5% (-1,5%) contre 47,5 (+1,5) pour Ségolène Royal, avec 9% d’indécis.

Le résultat le plus surprenant de cette étude ne tient pas à ce chiffre, mais au détail de la répartition des votes par tranches d’âges.

En effet Ségolène Royal arrive en tête des intentions de votes dans toutes les classes d’âges situées en dessous de 65 ans.

Si le candidat de l’UMP parvient tout de même en
tête c’est qu’il fait un tabac chez les
retraités, avec un score atteignant 75% qui lui permet de combler son retard.

Ventilation par classe d’âge du vote Royal
– 18/24 ans 53%
– 25/34 ans 54%
– 35/49 ans 56%
– 50/64 ans 51%
– 65 ans et plus 25%

Voila donc une réalité sociologique inattendue.
C’est le vieillissement de la population qui tire
le corps électoral français vers la droite.

Loin d’être le candidat du travail et des forces
vives comme son discours volontariste semble
l’affirmer, Nicolas Sarkozy serait en fait celui
de l’inquiètude et des peurs ressenties par une
population vieillissante, devant une modernité
qui la bouscule et qu’elle refuse.

Mise à jour le 7 mai

Royal : les raisons de la défaite
7 mai 2007

La déception ressentie par la gauche est à la
hauteur des espoirs nés durant cette campagne. Au
delà des jugements péremptoires sur une France
qui aurait basculé à droite, ou de la tentation
de trouver un bouc émissaire dans la candidate
qui a échoué dans sa tâche, l’observation des
résultats permet de comprendre où la gauche a échoué.

Dès 20 heures hier, les règlements de compte ont
commencé. Trop à droite pour certains, pas assez
à gauche pour d’autre, manquant de propositions
concrètes pour beaucoup, l’échec de la candidate
socialiste est l’occasion pour tous d’entonner le
« je vous l’avais bien dit » des déçus de tous bords.

Si la déception est grande, faut-il pour autant
céder à la tentation simpliste de conclure à un
basculement historique de la France vers la droite ?

De fait, la réalité est toujours plus complexe
que les conclusions amères et trop rapides,
auxquelles ont peut être tenté de se laisser aller au lendemain de la défaite.
L’ampleur de la défaite

Le score de Ségolène Royal n’est pas bon, certes,
mais il s’inscrit dans la fourchette des
précédents scrutins présidentiels, et est
supérieur à celui obtenu par Chirac contre Mitterrand II en 1988.

10 mai 1981
– Mitterrand 51,76 / Giscard 48,24
– absention 14,15

8 mai 1988
– Mitterrand 54,02 / Chirac 45,98
– absention 15,93

7 mai 1995
– Chirac 52,64 / Jospin 47,36
– abstention 20,34
Une France à droite ?

La ventilation du vote par statut professionnel
montre que la gauche, si elle est loin d’avoir
retrouvé l’entière confiance des classes
populaires, y reste majoritaire, même si c’est d’une courte tête.

Le vote Sarkozy / Royal par catégorie socio-professionnelle
– Agriculteurs 67% / 33%
– Artisans Commerçants 82% /18%
– Professions libérales, Cadres Sup 52% / 48%
– Professions intermédiaires 49% / 51%
– Employés 49% / 51%
– Ouvriers 46% / 54%

Si la droite est sans surprise majoritaire ches
les artisans et commerçants, libéraux et cadres
supérieurs, elle n’a pas réussi à convaincre les
couches populaires, contrairement à ce qu’elle proclame.

Par contre, en observant la ventilation par
statut d’emploi, on constate un déficit
significatif chez les salariés du privé.

Le vote Sarkozy / Royal par statut
– Salarié du privé 53% / 47%
– Salarié du public 43% /57%
– Travailleurs indépendants 77% / 23%
– Chomeurs 42% /58%
– Retraités 65% / 35%

Si l’on observe, comme on pouvait s’y attendre,
que les travailleurs indépendants ont été
largements séduits par les promesses d’allègement
d’impôts de Sarkozy, la sous représentation du
vote Royal chez les retraités confirme la réalité
pointée dans un précédent article [1] qui avait
alerté sur les chiffres impressionnant que
recueillait le vote Sarkozy chez les séniors.

La démographie vieillissante de la France
transforme la réalité sociologique du pays, et la
gauche visiblement n’a pas pris la mesure de ce
phénomène. A titre d’exemple, lors du face à face
Royal Sarkozy, aucune mesure spécifique en faveur
des retraités n’a été évoquée par la candidate de
gauche en direction des 1O millions d’électeurs
agés de 65 ans et plus qui représentent
potentiellement près du quart de l’électorat.

La ventilation des votes par tranche d’âge confirme cette tendance :

Le vote Sarkozy / Royal par tranche d’âge
– 18 à 24 ans 42% / 58%
– 25 à 34 ans 57% / 43%
– 35 à 44 ans 50% / 50%
– 45 à 59 ans 45% / 55%
– 60 à 69 ans 61% / 39%
– 70 et plus 68% / 32%

Mais elle fait aussi apparaitre un « trou »
significatif chez les jeunes actifs, qui pose une
vraie question. Les appels à « libérer le travail
» ont visiblement rencontré un fort écho dans une
tranche d’âge qui éprouve aujourd’hui les plus
grandes difficultés pour s’insérer dans la vie professionnelle.
Une bonne candidature ?

Les critiques sont nombreuses au lendemain de la
défaite, et chacun estime connaitre « la » bonne raison expliquant l’échec.

Pour les uns, c’est le programme, manquant de
mesures concrètes facilement identifiables, ou
accusé d’être trop ou pas assez à gauche, selon les familles politiques.

Pour les autres c’est la candidate, qui n’a pas
su convaincre, pour les troisièmes c’est la
campagne, démarrée trop tardivement et qui a
peiné à monter en régime, pénalisée par l’absence
de relais et la solitude – voulue ou subie , les
avis divergent là dessus – de la candidate.

Et pour beaucoup, la misogynie du corps électoral
expliquerait, elle aussi, le résultat.

Il ne nous appartient pas de démêler la part de
ces facteurs, aussi nous considérons ici une
candidature, c’est à dire l’ensemble formé par la
candidate, le programme et la campagne.

L’adhésion à la candidature

Le verdict est mauvais, fort mauvais. interrogés
sur leurs motivations de vote, seuls 13 points
séparent les électeurs de Royal qui ont choisi de
voter pour elle par envie de la voir devenir
présidente de ceux qui l’on fait pour faire
barrage à Sarkozy, alors que ce nombre atteint
presque 60% chez les électeurs de Sarkozy.

Motivation du vote Sarkozy
– Vous aviez envie qu’il soit président 77%
– Pour s’opposer à Royal 18%

Motivation du vote Royal
– Vous aviez envie qu’elle soit présidente 55%
– Pour s’opposer à Sarkozy 42%

Le constat est clair. Le vote Royal est un vote
par défaut, alors que le vote Sarkozy est un vote
d’adhésion. La candidature n’a pas convaincu, et
l’enthousiasme manifesté à Charlety ne doit pas masquer cette réalité.

La capacité à rassembler son camp

Avant d’aller mordre sur l’électorat du centre,
une bonne candidature est celle qui fait le plein
des électeurs de sa famille politique. Là aussi,
les résultat de la candidature Ségolène Royal sont médiocres.

Parmi les électeurs qui avaient apporté leur voix
à « la gauche de la gauche » au premier tour,
seuls 72% ont apporté leur voix à Ségolène Royal
au second, 15% ayant préféré s’abstenir.

Les partisans d’Olivier Besancenot ont été encore
plus réticents, puisqu’ils n’ont été que 69% à
lui accorder leur confiance, et 20% à se réfugier dans l’abstention.

Cependant, la responsabilité de ces mauvais
reports ne peut être seulement attribuée à la
candidate. L’absence de vision unitaire du camp
progressiste, fréquente chez les partisans de
l’extrême gauche, ne prédispose pas ses électeurs
à apporter leur soutien à un gouvernement de gauche.

Mais les résulats de la candidate ne sont pas non
plus satisfaisant chez les électeurs qui
s’identifient aux partis de la gauche de
gouvernement. Elle n’a rassemblé que 90% des
votants se déclarant proche du PS et 88% de ceux qui sont proches du PC.

A titre de comparaison, Nicolas Sarkozy a obtenu
98% des électeurs se déclarant proche de l’UMP.

De la même manière, elle n’a obtenu que 94% des
voix chez les personnes se déclarant à gauche, et
87% de ceux qui s’affirment plutôt à gauche.

Là encore, Nicolas Sarkozy fait mieux, en
rassemblant 97% des électeurs se déclarant à
droite et 93% de ceux qui se disent plutôt à droite.

Enfin, 5% des électeurs se revendiquant de la
droite ont voté Royal, alors qu’ils sont 9% de la
famille de gauche à avoir apporté leur vote à
Nicolas Sarkozy. Cette différence de 4 points
dans le nombre de transfuges est un nouvel indice
de l’échec de la candidate socialiste à mobiliser son camp derrière elle.

Le ratage de l’ouverture au centre

Dernier élément d’appreciation, la capacité à
morde sur l’électorat du centre. Là aussi c’est
l’échec, et l’offensive de charme en direction du
centre n’a pas porté ses fruits.

40% des électeurs de Bayrou ont voté Sarkozy, 38%
pour Royal et 15% se sont abstenus.
Une bonne gauche, une mauvaise candidature

Loin d’avoir uniformément basculé à droite et
adopté les thèses ultra libérale de son candidat,
une bonne part de l’électorat reste fidèle à la
tradition progressiste profondément ancrée en France.

Si l’échec chez les 25/34 ans, et la déroute chez
les séniors devront être analysés, compris, il ne
doivent pas faire oublier toutes les catégories
dans lesquelles les idéaux de la gauche gardent toute leur vigueur.

Les bons résultats du vote Royal dans la
jeunesse, chez les étudiants, chez les actifs de
35 à 59 ans, chez les ouvriers, les employés, les
professions intermédiaires, montrent qu’un socle
fort a résisté aux sirènes sarkoziennes.

Mais ce constat de la bonne résistance de la
gauche ne peut faire l’économie de cette autre réalité.

C’est bien la candidature, ce tryptique
programme, candidat, campagne, qui n’a pas
fonctionné, n’a pas convaincu, n’a pas su emporter l’adhésion.

Ce n’est pas la gauche qui a été sévèrement battue. C’est sa candidature.
Sur le net Sondage Ipsos sortie des urnes

[1] Cet article nous a valu de nombreuses
réactions, sur lesquelles nous reviendrons ultèrieurement.