{{{Compte-rendu du procès de Marlène au tribunal correctionnel de Nantes
pour délit d’habitude :}}}

« On peut avoir raison sur le fond, peut-être, peut-être… » Le procureur

Le procès de Marlène ou la vacuité de la légalité marchande et sécuritaire…

Hier donc au tribunal correctionnel de Nantes passait Marlène Moré une jeune femme de 22 ans poursuivie pour avoir été contrôlée plus de 10 fois sans billet lors de voyage par train en un an (précisément entre le 24 février 2002 et le 23 janvier 2003). Ce délit d’habitude a été institué à l’initiative du gouvernement Jospin avec le vote de la Loi sur la Sécurité Intérieur de novembre 2001. Plus précisément, à l’époque, la SNCF a fait pression sur le gouvernement pour qu’il lui concocte une loi spéciale permettant de réprimer sévèrement les voyageurs sans ticket dans les trains. Désormais au bout de dix amendes, la SNCF, en plus du paiement des amendes qu’elle réclame toujours, peut porter plainte contre ces voyageurs sans ticket en les envoyant devant le tribunal. Ces derniers risquent donc désormais 6 mois de prison ferme et 7500 € d’amende : de la prison ferme pour voyager sans ticket !!!

Un procès exemplaire :

Le procès de Marlène hier était exemplaire à plusieurs titres : d’une part parce que Marlène est un cas typique (qu’elle me pardonne cette catégorisation…) de la population à qui s’attaquent nos gouvernants bien au-delà d’ailleurs des lois sécuritaires cette loi sécuritaire et celles qui ont suivi (Loi Sarkosi, Perben…) : jeune, femme, précaire, ne faisant pas du travail, de la maison, et de la belle voiture, les principales préoccupations de sa vie…
Mais c’est un procès exemplaire pour une autre raison : la mobilisation collective autour de ce procès, réalisée notamment et de manière exemplaire par le comité de soutien à Marlène Moré. la SNCF a porté plainte depuis l’instauration de cette loi plusieurs centaines de personnes. Dès janvier 2003, 48 personnes avait été condamnées dont certains à trois mois de prison ferme. Or, mis à part quelques mobilisations (notamment autour de François Thonier à Nantes), la répression des sans-tickets se fait quasiment en secret et de manière isolée sur des gens souvent fragilisé socialement.
C’était donc un procès important dans la lutte contre la répression des voyageurs sans titre, car face à cette répression, non plus une personne fragilisée car isolée mais une défense collective organisée, parée d’arguments… On allait voir ce qu’on allait voir…

Vacuité et pauvreté de la légitimité des arguments marchands et sécuritaire :

Bien entendu, le jeu est pipé dès le départ et on sait bien la justice, à défaut d’être juste, est là pour appliquer la loi même si elle est scandaleuse. Mais dans le procès d’hier, ce qui est ressorti avec éclat, c’est la vacuité et la pauvreté de la légitimité tant des arguments marchands de la SNCF que de ceux du procureur général retranché derrière le dernier argument qu’il pouvait encore accrocher : le respect de la loi.

Sans surprise, l’avocate de la SNCF a repris sa rhétorique financière classique, que l’on entend un peu partout de TF1 à Raffarin en passant par Rance 3 et Rance-info : les sans-tickets mettent en péril la survie de la SNCF lui causant une perte de 200 millions d’euros… Elle a nous expliqué donc que le déficit de l’entreprise qu’elle défend (150 millions d’euros), tient non pas à des choix politiques et économiques mais bien par la malhonnêteté d’une partie de ses usagers. Elle a défendu également le bien fondé de cette loi instaurant le « délit d’habitude » en arguant la baisse du nombre de contravention depuis son entrée en application : ainsi de 38000 personnes ayant eu plus de dix amendes SNCF en 20001, on est passé au chiffre de 13000 à la date du 6 février 2003, essayant de montrer par là que les sans tickets pouvaient donc bien payer… « La SNCF n’est pas une association caritative » a-t-elle martelé…

Cette belle rhétorique libérale et sécuritaire a tourné court lorsque Marlène est intervenue en expliquant que si elle voyageait sans payer, ce n’était nullement par plaisir, ou par perversion, mais par nécessité sociale due à sa situation de précarité. D’ailleurs, lors de ses derniers voyages gratuits, et parce qu’elle en avait marre de voyager dans cette situation, elle allait voir directement le contrôleur pour lui signifier sa situation. Réfutant les arguments de la SNCF, elle a mentionné le fait que s’il y a baisse des contraventions, c’est bien parce que, comme elle, les sans tickets ne prennent plus le train. Elle s’est demandé quel préjudice réel elle portait à la SNCF en ne prenant jamais la place d’un voyageur. Ainsi, par cette loi, la SNCF n’a même pas réussi à rééquilibrer ses comptes : elle n’a fait qu’interdire aux plus précaires, d’exercer un des droits les plus fondamentaux : le droit effectif de pouvoir se déplacer. Et comme l’a rappelé Me Boisec, l’avocat de Marlène, la SNCF n’est certes pas une association caritative, mais bien un service public qui se doit de garantir à tous ce droit à la mobilité, du simple fait qu’elle est reçoit de l’Etat chaque année 15 milliards d’euros.

Face à ce retournement de situation et à la force des arguments avancés par Marlène, le procureur général a demandé une suspension de séance afin de pouvoir réajuster sa plaidoirie tout à coup sans consistance et qui essayait de faire passer Marlène pour militante de la gratuité des transports publics, chose qu’elle a reconnu mais qu’elle exerçait en dehors de ses pratiques de voyage libre. C’est bien une situation de précarité qui la pousse d’abord à voyager gratuitement, et non une position « politique ou philosophique ».

La séance a repris par un argumentaire étrange développé par le procureur autour de la situation de précarité et d’exclusion sociale grandissante qui menait la cohésion sociale. Il a insisté sur le fait que la société doit donner les moyens effectifs de sortir de la précarité, et en première ligne, les service public – visant ainsi l’argumentaire de l’avocate de la SNCF – notamment par l’instauration de tarifs sociaux. On aurait dit un tract d’AC! distribué aux ASSEDIC!!…Il est même allé jusqu’à affirmer que l’on ne peut pas reprocher à Marlène de ne pas payer ses voyages lors de ses recherches d’emploi si c’est le seul moyen qu’elle a pour le faire (ha, le salut par le travail…).
Bien évidemment, ce premier discours fut suivi par un autre moins sympathique : ce n’est pas parce qu’il y a des problèmes dont il reconnaissait l’existence et l’importance que l’on est en droit de bafouer la loi. La loi, c’est la loi a-t-il martelé dans une salle qui a très mal résonnée… La loi, a-t-il poursuivi, cela permet l’égalité de chacun, la protection des plus faibles, et la protection des personnes… Surtout une loi comme celle qui institue le délit d’habitude, aurait-on pu lui rétorquer : une loi inégalitaire puisque les plus pauvres sont contraints à l’immobilité, une loi protégeant les personnes, en envoyant des gens en prison pour le simple fait de voyager sans payer et une loi pour protéger les plus faibles : ces procès concernent, dans une très grande majorité, des précaires. Tout l’argumentaire du procureur s’est réduit ainsi à la défense d’un principe vide, squelettique(« mais la loi, c’est la loi »), totalement détaché de la réalité sociale dans lequel il est appliquée, un principe tournant à vide, fondant certes la légalité mais sans aucune légitimité vis-à-vis de la situation présente. Le procureur à la fin de sa plaidoirie lui-même semblait ne plus savoir quoi faire demandant au juge une sanction clémente refusant de demander tant la prison, même avec sursis, qu’une amende, mais se satisfaisant d’un simple travail d’intérêt général. « On peut avoir raison sur le fond, peut-être, peut-être… » dit-il à la fin de son intervention, finissant de marquer par là la vacuité de cette loi instituant le délit d’habitude, face à la réalité sociale.

Le délit d’habitude, une vilaine infraction :

L’avocat de Marlène dans une belle plaidoirie attaqua comme pour affirmer une fois de plus l’iniquité de ce délit d’habitude. Il commença par rappeler les conditions de magouilles politiciennes dans lesquelles cette loi est passée, interdisant de fait la possibilité de saisie du conseil constitutionnel pour vérifier la validité constitutionnelle douteuse de ce nouveau délit. Ensuite, il mit en avant les contradictions de l’argumentaire de la SNCF se proclamant dans une problématique marchande qu’elle essaye de résoudre avec une problématique pénale : on ne peut pas résoudre des déficits que l’on proclame financiers et économiques en envoyant les gens en prison. Cette contradiction est plus générale que l’affaire de Marlène : elle est symptomatique de la pénalisation de la société où l’on tente de régler l’ensemble des problèmes sociaux devant un tribunal correctionnel, notamment la question de la précarité, reconnu par tous comme inquiétante : c’est ça précisément la criminalisation de la pauvreté dont le procès de Marlène est un exemple, c’est ça la réalité de ce procès. On demande aux gens d’assumer pénalement des problèmes sociaux généraux dont ils ne sont pas responsables. Et quel problème social on essaye de régler pénalement ici ? C’est bien la liberté de se déplacer qui n’existe que si elle est effective. Ce droit n’est pas anodin et la question de la mobilité est un problème central de notre société dont on voit l’importance dans les luttes des politiques pour voir s’implanter ici une ligne TGV, là, une autoroute, là un programme de déplacement par transport public. Or, pour les plus pauvres, on règle ce problème de liberté de déplacement par de la prison ferme et des amendes… Or c’est quoi la situation des précaires et notamment pour Marlène : c’est des droits sociaux réduits à quasi rien avec l’interdiction du RMI au moins de 25 ans, avec un régime ASSEDIC aux accès de plus en plus restreints… Bref, une situation de galère qui a fait que Marlène a voyagé sans billet dans un état de nécessité qui nie la caractérisation du délit. Aussi, l’avocat de Marlène a demandé une dispense de peine…

La décision du tribunal sera rendue le 1er octobre prochain.