Il y a un an, les amphithéâtres, hauts lieux de l’ennui magistral, étaient brutalement sortis de leur torpeur par le retentissement de discussions enflammées sur le chômage, la précarité, l’exploitation et l’avenir. La jeunesse ouvrière – lycéens et étudiants – se dressait comme un seul homme contre une énième attaque de l’Etat, le Contrat Première Embauche, rebaptisé malicieusement Contrat Poubelle Embauche. Après trois mois de cette lutte effervescente, devant la massivité de la mobilisation, le gouvernement devait plier et retirer son projet de loi inique.

De telles victoires sont rares dans la lutte de classe. La bourgeoisie s’attache toujours à infliger à la classe ouvrière la plus cinglante des défaites, afin de la démoraliser et de lui faire passer le goût du combat. Cette politique systématique fut parfaitement exprimée par l’ex-premier ministre Raffarin qui en 2003 face à la colère des enseignants après une nouvelle réforme des retraites) avait affirmé avec arrogance « ce n’est pas la rue qui gouverne ». En 2006, les jeunes générations ont donc fait ravaler ses propos à la bourgeoisie française en montrant clairement que les clefs de l’avenir appartiennent bel et bien à la lutte de classe.

Si la bourgeoisie a ainsi cédé, c’est parce qu’elle a su reconnaître dans ce mouvement un vrai danger.

Les étudiants ont redécouvert l’importance vitale des assemblées générales souveraines. Ces AG ont véritablement constitué le poumon du mouvement. Elles ont en effet permis aux étudiants de se rassembler, de débattre et de s’organiser collectivement. Ils ont ainsi pu prendre conscience, grâce à ces débats ouverts, que leur combat n’était pas un combat particulier mais qu’il appartenait à toute la classe ouvrière. C’est pourquoi ils ont ouvert leurs assemblées générales et leurs amphithéâtres aux lycéens, aux chômeurs, aux travailleurs et aux retraités, accueillant chaque fois les interventions de ces participants par des tonnerres d’applaudissements. Afin d’entraîner dans la lutte le plus grand nombre de travailleurs, ils ont su, consciemment, mettre de côté des revendications spécifiques au milieu universitaire telle que l’abolition de la réforme LMD 1 pour mettre en avant au contraire ce qui était commun à tous les opprimés : la paupérisation croissante. Les étudiants avaient parfaitement compris que l’issue de leur combat était entre les mains des travailleurs salariés. Comme l’a dit un étudiant dans une réunion de la coordination francilienne du 8 mars « si on reste isolés, on va se faire manger tout cru ». Les banderoles déployées par les étudiants au dessus de la tête des manifestants portaient des slogans particulièrement révélateurs de cet état d’esprit unitaire: « Étudiants, lycéens, chômeurs, travailleurs précaires, du public et du privé, même combat contre le chômage et la précarité ! »

Cette démarche a eu progressivement, au fil des semaines, pour résultat de mobiliser toujours plus d’ouvriers. Les cortèges de manifestants croissaient lentement mais sûrement. Le gouvernement a pourtant tenté toutes les manœuvres -provocations policières et violences, manipulations médiatiques,… – piètres tentatives. En se mobilisant, la classe ouvrière n’exprimait pas une solidarité superficielle et charitable envers la jeunesse, elle se reconnaissait dans ce combat qu’elle faisait sien. En répondant à l’appel à la lutte des nouvelles générations, les ouvriers ont montré que s’il leur était encore difficile de se dresser tous ensemble contre les attaques quotidiennes, ils refusaient par contre catégoriquement que leurs enfants subissent le même sort. L’idée d’un avenir encore et toujours plus sombre pour la jeunesse, symbolisé par ce nouveau Contrat Pour Esclave, leur a été tout simplement insupportable et révoltante. Le mouvement contre le CPE est ainsi peu à peu devenu la lutte de toute la classe ouvrière et pour toute la classe ouvrière.

Nous touchons donc ici du doigt ce qui a tant fait peur à la classe dominante. La bourgeoisie a choisi de reculer pour ne pas laisser se répéter des manifestations contenant le risque que la classe ouvrière reprenne à son compte les méthodes de lutte mises en lumière par les étudiants. Le malaise bourgeois était tel que jusqu’en Allemagne (où la même attaque était en gestation) le gouvernement Merkel a préféré retirer son projet plutôt que de voir les travailleurs descendre dans la rue et (abomination suprême) unir leur forces à celles de le frères de classe outre-Rhin.

Rien n’aurait été pire, à ce moment, pour la bourgeoisie que de voir les ouvriers redécouvrir la prise en main des luttes par les assemblées générales souveraines et l’importance des mots d’ordre unitaires. Surtout, ce mouvement était un terrain bien trop fertile au développement de la solidarité entre les secteurs et entre les générations ouvrières. Pour la bourgeoisie, il fallait donc absolument mettre un terme à cette bouillonnante expérience de lutte durant laquelle les ouvriers avaient sous leurs yeux l’exemple de cette nouvelle génération enthousiaste et énergique.

Mais en reculant, la bourgeoisie n’a fait que retarder l’échéance. Les attaques contre les conditions de vie ne connaissent pas de répit. Et grâce à des luttes comme celle du printemps 2006 en France, la classe ouvrière reprend internationalement peu à peu confiance en elle. Les ouvriers (au travail, au chômage, à la retraite ou dans les amphis) se reconnaissent progressivement à nouveau comme appartenant à une classe, comme ayant des intérêts communs et la possibilité de s’organiser collectivement.

Sur tous les continents, l’avenir appartient à la lutte de classe !

Pawel – Courant Communiste International – www.internationalism.org

1 LMD = Licence-Master-Doctorat, nouveau cycle universitaire rallongeant la durée des études.