Le dimanche 22 avril, des millions d’ouvriers se rendront, un par un, aux bureaux de vote. Chacun tirera derrière lui le rideau de l’isoloir pour se retrouver, seul, avec son dilemme « pour qui vais-je voter ? ». En glissant ainsi un petit bout de papier dans l’urne, les plus optimistes souhaiteraient que les choses changent, mettre fin aux charrettes de licenciements et à la hausse du chômage, dire stop à la paupérisation croissante… Quant aux plus pessimistes, ils veulent au moins éviter ce qu’ils pensent être le pire : voir Le Pen arriver une nouvelle fois au second tour ou Sarkozy (ce politicard antipathique, arriviste et brutal) devenir président le 6 mai au soir.

Des promesses électorales… à la réalité des attaques
La hausse spectaculaire des inscriptions sur les listes électorales, annoncée en grandes pompes ces derniers jours dans tous les médias, est le produit de cette profonde inquiétude face à l’avenir. Tous les candidats à cette élection, du centre à l’extrême gauche, ont pris en compte ce ras-le-bol et cette volonté de changement en rivalisant de promesses. François Bayrou s’est ainsi fait le champion de la « sociale-économie ». Voulant redonner espoir dans la solidarité, il promet plus de moyens et de postes pour la santé, la justice, l’enseignement… Ségolène Royal, pour rester dans la course, s’est évidemment empressée de surenchérir en certifiant que si elle est élue, il n’y aura pas de baisse d’effectifs des fonctionnaires, pas d’allongement de l’âge de la retraite et qu’au contraire les « petites retraites » augmenteront et que le SMIC passera à 1500 euros. Plus à gauche, Marie-George Buffet, Olivier Besancenot et Arlette Laguiller, voire José Bové, se présentent comme « anti-capitalistes » et les amis des travailleurs en exigeant, entre autres, l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font du profit et une augmentation de 300 euros pour tous et tout de suite. Cette gauche de la gauche jure qu’en étant forte d’un maximum de voix, en symbolisant par les urnes la volonté des travailleurs, elle se bagarrera et fera pression sur le futur gouvernement pour le contraindre à « faire du social ». Preuve que nous avons cette fois-ci rendez-vous avec l’Histoire, tous les candidats s’engagent à respecter par écrit leurs belles promesses… tous signent des « pactes » avec les Français !

Pourtant, malgré toutes ces propositions, tous ces engagements, on ne peut pas dire qu’il y ait une vague d’enthousiasme. Une inquiétude, oui ! … mais ces élections ne déclenchent ni passion, ni grands espoirs.

Et pour cause ! Depuis des années, la droite et la gauche ne cessent de se succéder aux commandes du pouvoir, et si les gouvernements changent, la politique anti-ouvrière demeure. Les ouvriers savent donc bien ce que valent toutes ces promesses et tous ces « pactes ». Comme l’avait cyniquement dit le roublard Charles Pasqua en son temps : « les promesses électorales n’engagent que ceux qui les croient » !

En 1981, autour de l’élection de François Mitterrand, il y avait eu pour le coup, au sein de la classe ouvrière, de grands espoirs. Après trente ans de règne de la droite, l’arrivée du PS devait tout changer. Mais la politique menée les années suivantes s’était chargée d’apporter un cinglant démenti à ces illusions. Ce fut la « grande désillusion ». Les ouvriers n’ont pas oublié que c’est sous Mitterrand que le chômage a explosé, que la productivité (et donc l’exploitation) a connu la plus forte hausse de ces cinquante dernières années, que le forfait hospitalier et la CSG ont été instaurés. Et pour ceux qui avaient la mémoire courte, il y a eu la piqûre de rappel jospinienne : gel des salaires, augmentation de la flexibilité, recours systématique aux emplois précaires, etc.

Sans même remonter ainsi dans le temps, simplement en prenant un peu de recul et en regardant autour de nous, on s’aperçoit qu’au-delà des frontières hexagonales, toutes les couleurs politiques sont représentées et que c’est quand même toujours les mêmes mesures anti-ouvrières qui sont prises : paupérisation, chômage, destruction (dans les pays où il y en a encore) de toutes les couvertures sociales (sécu, retraite, indemnités…). Il suffit de regarder ce que font les socialistes Blair en Angleterre et Zapatero en Espagne. Et franchement, quelle différence y a-t-il en Allemagne entre le Schroeder d’hier et la Merkel d’aujourd’hui ? Même ceux qui se réclament être à la gauche de la gauche montrent qu’au pouvoir ils n’ont qu’une seule priorité : attaquer et attaquer encore les conditions de vie de la classe ouvrière. Les Chavez, Morales, Lula et tous leurs compères d’Amérique du Sud en sont la preuve vivante !

Bref, à chaque élection on nous promet la Lune… mais a-t-on déjà vu la société changer après des élections ? Cela arrive, effectivement. Mais quand il y a un changement, c’est toujours en pire !

La bourgeoisie a bien conscience de cette usure de la stratégie de l’alternance. Et c’est pour cela qu’elle parle tant du renouveau de la classe politique, de l’aspect novateur des candidats en lice aujourd’hui. « Attention avec Bayrou, ce n’est ni la droite, ni la gauche, c’est le centre ! » En fait, son idée neuve, sa découverte, son innovation, c’est de prendre les meilleurs… de la droite et les meilleurs… de la gauche. En somme, la quintessence des politiciens les plus habiles à diriger les affaires de la bourgeoisie et à mener campagne contre la classe ouvrière. Belle promesse, en effet ! Quant à Royal, son originalité c’est… d’être une femme. La belle affaire, Thatcher aussi était une personne du beau sexe et sa politique n’était pas réputée pour être particulièrement humaine (rappelons juste son surnom : « la dame de fer », tout un symbole). Il est décidément bien difficile de marcher dans de telles combines.

« Droite-gauche, les deux faces de la même bourgeoisie »

Au final, aujourd’hui, ce qui pousse principalement les gens à aller voter, ce n’est pas l’espoir, mais la peur, la crainte, la volonté « d’éviter le pire ». Quand la gauche ne fait pas rêver, que les gadgets estampillés « New » ne font pas recette, il reste cette idée : tout sauf Sarko ou Le Pen.

C’est vrai que les discours de Sarkozy sur les banlieues, le « tout sécuritaire » ou l’immigration ont de quoi faire froid dans le dos. C’est vrai que les discours de Bayrou ou de Royal sont plus « softs », moins choquants à l’oreille… mais ce n’est qu’un enrobage ! Imaginez Madame Royal (ou n’importe quel autre candidat) venir à la tribune d’un meeting et dire avec sa voix vibrante d’émotion : « Si je suis président(e), je défendrai l’intérêt du capital national, j’accentuerai la férocité de l’exploitation, je jetterai les ouvriers par milliers sur le pavé, je réduirai les dépenses en attaquant les chômeurs, je finirai de démanteler le système de santé et les retraites… car l’intérêt de ma patrie, l’intérêt de ma classe, je les tiens là, chevillés au corps ». Aucun homme ou femme politique ne tiendra jamais de tels propos. Et pourtant, c’est bien cette politique là qui se cache derrière tous les discours. C’est bien cette politique là qui sera mise en place après le 6 mai, quel que soit l’élu. Ce discours imaginaire, c’est ce qui reste quand l’enrobage a fondu.

Sarkozy pire que Royal ? La gauche aurait une âme, au fond, bien cachée, plus humaniste ? Demandez aux 300 immigrés de Vitry dont le foyer a été détruit au bulldozer le 24 décembre 1980 sur ordre du maire « communiste » s’ils ont apprécié leur cadeau de Noël. Demandez à tous ceux qui furent renvoyés à une mort probable, dans leur pays d’origine, par des charters du parti « socialiste », s’il y a dans cette organisation bourgeoise l’once d’un sentiment humain. A la vérité, la gauche a les mains couvertes de sang et n’a rien à envier à la barbarie de la droite dite « dure ». Un seul exemple : le génocide rwandais de 1994, durant lequel l’armée française, sous les ordres de Mitterrand, a été complice du massacre (à la machette !) de près d’un million de personnes, hommes, femmes et enfants !

Décidément, il n’y a aucun moyen d’éviter le pire par les urnes, car c’est forcément la bourgeoisie qui en sort vainqueur, tel un diable de sa boîte. La classe ouvrière n’a rien à gagner en participant aux élections, juste des illusions !

« Contre les attaques, il n’y a que la lutte unie et solidaire »

La bourgeoisie sait très bien qu’elle n’a rien à craindre des ouvriers quand ils sont dans les isoloirs. Isoloir ! C’est un mot significatif. Un isoloir, c’est fait pour isoler. Isoler les ouvriers les uns des autres, les diviser, cultiver l’illusion qu’ils peuvent s’en sortir seuls et non par l’action collective et solidaire. Ce n’est pas pour rien que Royal se demande si le vote ne doit pas devenir une action citoyenne obligatoire comme en Belgique. Ce n’est pas pour rien si l’Etat dépense des millions en spots publicitaires à la télé pour marteler : « votez, votez pour qui vous voudrez, mais votez » !

Par contre, la bourgeoisie se met à trembler quand les ouvriers commencent à discuter et à s’organiser collectivement au boulot, en Assemblée Générale, dans la rue pour manifester… car elle sait que c’est là que son ennemi, la classe ouvrière, est réellement fort, qu’il peut réellement résister aux attaques (1). Car c’est bien là le cœur du problème : l’intensité des attaques ne dépend pas de la présence de la gauche ou de la droite au pouvoir mais bel et bien du rapport de forces entre les classes, du niveau de lutte et de résistance qu’est capable de produire la classe ouvrière.

Les élections sont le terrain de la bourgeoisie. La lutte collective, dans la rue ou en AG, voici le terrain du prolétariat !

Régis – Courant Communiste International

(1)Lire notre article sur le mouvement contre le CPE sur www.internationalism.org