DE L’ETAT DE TERRORISTES DE DIEU, AU DIEU DE L’ETAT TERRORISTE
écrit le 17/02/07 à 21:18:56 par nosotros.incontrolados.over-blog.com
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Depuis qu’il s’agit de parler du terrorisme en arguant successivement de A.D, R.A.F, Corses, Irlandais,B.R, et puis en vrac, les mêmes dans un ordre inversé selon les instances du moment, on se demande par quel bout sucer la bite qu’on nous tend!
Vulgarité, vitupérerez-vous? Non la vulgarité c’est l’ignoble acceptation de ce plat qui nous est inlassablement servi, ce plat de vomis cuisiné au étrons du mensonge dominant qui se perpétue dans un silence complice où les consciences atrophiées tiennent lieu de couveuses à l’ignominie généralisée!
Nous trouvons donc opportun, même si cela peut sembler décalé, de soumettre à tout un chacun ce qui constitue à tout le moins un des premiers éléments de reflexion indispensable à l’émancipaion de l’esprit de chacun. Il faut bien s’affranchir de toutes les formes d’intoxication connues et moins connues.
Nous apprenons à l’instant que le Papon a cassé sa pipe, et on va pas chialer!
La pipe à l’ordre existant, voila le secret!
Les militantEs de A.D ou de la RAF sont toujours au placard…avec un cercueil en vue…
La question n’est pas ici de débattre de nos oppositions avec ces combattants-là, mais bien plutôt de celle du silence ignoble qui entoure leur emprisonnement à vie… Et cela se peut, AUSSI sur des mécanismes religieux de même que c’est sur la base de ces même « reflexes » qu’il sera légitime de faire de tout individu, musulmanE, cheveluE, baba cool, altermondialiste, anarchiste, communiste, homo, féministe, manifestantE, défoncéE, SDF, and so on des TERRORISTES DE CIRCONSTANCE!!!
Alors l’ extrait qui suit, constitue selon nous, avec d’autres reflexions du type de celles de Gianfranco Sanguinetti (in: du terrorisme et de l’Etat), Debord, (in la société du spectacle),et il en est bien d’autres non moins pertinentes,un élément susceptible d’apporter à ceux qui ont cru bon d’ignorer les lectures citée plus haut…
Bonne lecture, et les autres documents ne manquent pas!
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Samedi 17 Février 2007
DIEU ET LA NOUVELLE INTOX POST MODERNE

libertaire anarchiste anarchisme

dans le texte / extrait / première partie

Traité
d’athéologie
Michel Onfray
philosophe

I – L’ODYSSÉE DES ESPRITS FORTS

1 – Dieu respire encore.

Dieu est mort ? Voire… Pareille bonne Nouvelle aurait produit des effets solaires dont on attend toujours et en vain la moindre manifestation. En lieu et place d’un champ fécond découvert par une pareille disparition on ne peut que déplorer le nihilisme, le culte du rien, la passion pour le néant, le goût morbide du nocturne des fins de civilisations, la fascination pour les abîmes et les trous sans fonds où l’on perd son âme, son corps, son identité, son être et tout intérêt à quoi que ce soit.
La mort de Dieu fut un gadget ontologique, un effet de manche consubstantiel à un XX° siècle qui voyait la mort partout : mort de l’art, mort de la philosophie, mort du roman, mort de la tonalité, mort de la politique. Qu’on décrète donc aujourd’hui la mort de ces morts fictives !
Ces fausses nouvelles ont jadis servi à quelques uns pour scénographier des paradoxes avant retournement de veste métaphysique. La mort de la philosophie permettait des livres de philosophie, la mort du roman a généré des romans, la mort de l’art des oeuvres d’art, etc… La mort de Dieu, elle, a produit du sacré, du divin, du religieux à qui mieux mieux.
Nous nageons dans cette eau lustrale…

À l’évidence, l’annonce de la fin de Dieu a été d’autant plus tonitruante qu’elle était fausse… Trompettes embouchées, annonces théâtrales, on a joué du tambour en se réjouissant trop tôt. L’époque croule sous les informations vénérées comme la parole autorisée de nouveaux oracles et l’abondance se fait au détriment de la qualité et de la véracité : jamais autant de fausses informations n’ont été célébrées comme autant de vérités révélées. Pour que la mort de Dieu fut avérée, il eut fallu des certitudes, des indices, des pièces à conviction.
Or rien de tout cela n’existe…
Qui a vu le cadavre ? À part Nietzsche…
À la manière du corps du Délit chez Ionesco, on aurait subi sa présence, sa loi, il aurait envahi, empesté, empuanti, il se serait défait petit à petit, jour après jour, et l’on n’aurait pas manqué d’assister à une réelle dé-composition – au sens philosophique du terme également. Au lieu de cela, le Dieu invisible de son vivant est resté invisible même mort.
Effet d’annonce… On attend encore les preuves. Mais qui pourra les donner ? Quel nouvel insensé pour cette impossible tâche ?

Car Dieu n’est ni mort ni mourant – contrairement à ce que pensent Nietzsche et Heine. Ni mort ni mourant parce que non mortel. Une fiction ne meurt pas, une illusion ne trépasse jamais, un conte pour enfant ne se réfute pas. Ni l’hippogriffe ni le centaure ne subissent la loi des mammifères. Un paon, un cheval oui, mais un animal du bestiaire mythologique, non.
Or Dieu relève du bestiaire mythologique, comme des milliers d’autres créatures répertoriées dans des dictionnaires aux innombrables entrées, entre Déméter et Dionysos.
Le soupir de la créature opprimée durera autant que la créature opprimée, autant dire toujours…
D’ailleurs, où serait-il mort ? Dans Le gai savoir ? Assassiné à Sils-Maria par un philosophe inspiré, tragique et sublime dans la Seconde moitié du XIX° siècle ? Avec quelle arme ? Un livre, des livres, une oeuvre ? Des imprécations, des analyses, des démonstrations, des réfutations ? À coup de boutoir idéologique ? L’arme blanche des écrivains…
Seul, le tueur ? Embusqué ? En bande : avec l’abbé Meslier et Sade en grand-parents du coupable ?
Ne serait-il pas un Dieu supérieur le meurtrier de Dieu s’il existait ? Et ce faux crime, ne masque-t-il pas un désir oedipien, une envie impossible, une irrépressible aspiration impossible à mener à bien, une tâche nécessaire pour générer de la liberté, de l’identité, du sens ?

On ne tue pas un souffle, un vent, une odeur, on ne tue pas un rêve, une aspiration. Dieu fabriqué par les mortels à leur image hypostasiée n’existe que pour rendre possible la vie quotidienne malgré le trajet de tout un chacun vers le néant. Tant que les hommes auront à mourir, une partie ne pourra soutenir cette idée en face et inventera des subterfuges.
On n’assassine pas un subterfuge, on ne le tue pas. Ce serait même Plutôt lui qui nous tue : car Dieu met à mort. Quoi ? Tout ce qui lui résiste. En premier lieu la Raison, l’Intelligence, l’Esprit Critique. Le reste suit par la réaction en chaîne…

Le dernier dieu disparaîtra avec le dernier des hommes.
Et avec lui la crainte, la peur, l’angoisse, ces machines à créer sans fin des divinités.
La terreur devant le néant, l’incapacité à intégrer la mort comme un processus naturel, inévitable, avec lequel il faut composer, devant quoi seule l’intelligence peut produire des effets, mais également le déni, l’absence de sens en dehors de celui qu’on donne, l’absurdité a priori, voilà les faisceaux généalogiques du divin. Dieu mort supposerait le néant apprivoisé. Nous sommes à des années lumière de pareil progrès ontologique…

2 – Le nom des esprits forts.

Dieu durera donc autant que les raisons qui le font exister ; ses négateurs aussi… Toute généalogie paraît fictive : il n’existe pas de date de naissance à Dieu. Pas plus à l’athéisme.
Conjecturons : le premier homme – une autre fiction… – affirmant Dieu doit en même temps ou successivement et alternativement ne pas y croire. Douter coexiste avec croire.
Le sentiment religieux habite probablement le même individu travaillé par l’incertitude ou hanté par le refus.
Affirmer et nier, savoir et ignorer : un temps pour la génuflexion, un autre pour la rébellion, en fonction des occasions de créer une divinité ou de la brûler…
Dieu paraît donc immortel. Ses thuriféraires gagnent sur ce point. Mais pas pour les raisons qu’ils imaginent, car la névrose conduisant à forger des dieux résulte du mouvement habituel des psychismes et des inconscients. La génération du divin coexiste avec le sentiment angoissé devant le Vide d’une vie qui s’arrête. Dieu naît des raideurs, rigidités et Immobilités cadavériques des membres de la tribu. Au spectacle du corps mort les songes et fumées dont se nourrissent les dieux prennent de plus en plus consistance. Quand s’effondre une âme devant la froideur d’un être aimé, le déni prend le relais et transforme cette fin en commencement, cet aboutissement en début d’une aventure. Dieu, le ciel, les esprits mènent la danse pour éviter la douleur et la violence du pire.
Et l’athée ? La négation de Dieu et des arrière-mondes se partage probablement l’âme du premier homme qui croit.
Révolte, rébellion, refus de l’évidence, raidissement devant les arrêtés du destin et de la nécessité, la généalogie de l’athéisme paraît tout aussi simple que celle de la croyance. Satan, Lucifer, le porteur de clarté – le philosophe emblématique des Lumières…-, celui qui dit non et ne veut pas se soumettre à la loi de Dieu, évolue en contemporain de cette période de gésines. Le Diable et Dieu fonctionnent en avers et revers de la même médaille, comme théisme et athéisme.
Pour autant, le mot n’est pas ancien dans l’histoire et son acception précise – position de celui qui nie l’existence de Dieu sinon comme fiction fabriquée par les hommes pour tâcher de survivre malgré l’inéluctabilité de la mort – tardive en occident.

Certes, l’athée existe dans la Bible – Psaumes (10-4 et 14-1) et Jérémie (5-12) -, mais dans l’antiquité il qualifie parfois, souvent même, non pas celui qui ne croit pas en Dieu, mais celui qui se refuse aux dieux dominants du moment.
Longtemps l’athée caractérise la personne qui croit à un dieu voisin, étranger, hétérodoxe. Pas celui qui vide le ciel, mais le peuple avec ses propres créatures…
De sorte que l’athéisme sert politiquement à écarter, repérer ou fustiger l’individu croyant à un autre dieu que celui dont l’autorité du moment et du lieu se réclame pour asseoir son pouvoir. Car Dieu invisible, inaccessible, donc silencieux sur ce qu’on peut lui faire dire ou endosser, ne se rebelle pas quand d’aucuns se prétendent investis par lui pour parler, édicter, agir, pour le meilleur et le pire.
Le silence de Dieu permet le bavardage de ses ministres qui usent et abusent de l’épithète : quiconque ne croit pas à leur Dieu, donc à eux, devient immédiatement un athée. Donc le pire des hommes, l’immoraliste, le détestable, l’immonde, l’incarnation du mal…

Difficile dès lors de se dire athée… On est dit tel, et toujours dans la perspective insultante d’une autorité soucieuse de bannir, mettre à l’écart et condamner.
La construction du mot le précise d’ailleurs : a-thée.
Préfixe privatif, le mot suppose une négation, un manque, un trou, une démarche d’opposition. Aucun terme n’existe pour qualifier positivement le sujet qui ne sacrifie pas aux chimères en dehors de cette construction linguistique exacerbant l’amputation : a-thée donc, mais aussi mé-créant, a-gnostique, in-croyant, ir-réligieux, in-crédule, a-religieux, im-pie – l’a-dieu manque à l’appel ! – et tous les mots qui procèdent de ceux là : irréligion, incroyance, impiété, etc… Rien pour signifier L’aspect solaire, affirmateur, positif, libre, fort de l’individu Installé au-delà de la pensée magique et des fables pour les enfants.

L’athéisme relève donc d’une création des déicoles.
Le mot ne découle pas d’une décision volontaire et souveraine d’une personne qui se définit avec ce terme dans l’histoire. L’athée qualifie l’autre qui refuse le dieu local quand tout le monde ou la plupart y croient. Et a intérêt à croire…
Car l’exercice théologique en cabinet s’appuie toujours sur des Milices armées, des polices existentielles et des soldats ontologiques qui dispensent de réfléchir et invitent au plus vite à croire et bien souvent à se convertir.
Or Baal et Yahvé, Zeus et Allah, Râ et Wotan, mais aussi Manitou, doivent leurs patronymes à la géographie et à l’histoire : au regard de la métaphysique qui les rend possible, ils nomment avec des noms différents une seule et même réalité fantasmatique. Et aucun n’est plus vrai qu’un autre puisque tous évoluent dans un panthéon où banquettent Ulysse et Zarathoustra, Dionysos et Don Quichotte, Tristan et Lancelot du Lac, autant de figures magiques comme le Renard des Dogons ou les Loas vaudous…

3 – Les effets de l’antiphilosophie.

À défaut de nom pour qualifier l’inqualifiable, pour nommer l’innommable – le fou ayant l’audace de ne pas croire – faisons donc avec athée…, des périphrases existent ou des mots, mais les christicoles les ont forgés et lancés sur le marché intellectuel avec la même volonté dépréciatrice. Ainsi les esprits forts si souvent fustigés par Pascal à longueur des paperolles cousues dans la doublure de son manteau, ou encore les libertins, voire les libres-penseurs ou, chez nos amis Belges d’aujourd’hui, les partisans du libre-examen.

L’antiphilosophie – ce courant du XVIII° siècle en avers sombre des Lumières qu’à tort on a bien oublié et qu’on devrait pourtant remettre sous les feux de l’actualité pour montrer combien la communauté chrétienne ne recule devant aucun moyen, y compris les plus moralement indéfendables, pour discréditer la pensée des tempéraments indépendants qui n’ont pas l’heur de sacrifier à leurs fables…, l’antiphilosophie, donc, combat avec une violence sans nom la liberté de penser et la réflexion découplée des dogmes chrétiens.
D’où, par exemple, le travail du Père Garasse, ce Jésuite sans foi ni loi qui invente la propagande moderne en plein Grand Siècle avec La Doctrine curieuse des Beaux esprits de ce temps, ou prétendus tels (1623), un volume pléthorique de plus de mille pages dans lequel il calomnie la vie des philosophes libres présentés comme des débauchés, sodomites, yvrognets, luxurieux, bâfreurs, pédophiles – pauvre Charron…- et autres qualités diaboliques afin de dissuader d’une fréquentation intellectuelle de ces oeuvres progressistes. Le même Ministre de la Propagande Jésuite commet une Apologie pour son livre contre les Athéistes et Libertins de notre siècle l’année suivante. Garasse ajoute une couche sur le même principe, nullement étouffé par le mensonge, la calomnie, la vilenie et l’attaque ad hominem. L’amour du prochain est sans limites…

D’Epicure, calomnié de son vivant par les bigots et puissants de L’époque, aux philosophes libres qui, – parfois sans renier le christianisme pour autant… – ne pensent pas que la Bible constitue l’horizon indépassable de toute intelligence, la méthode produit ses effets, encore aujourd’hui.
Outre que certains philosophes attaqués et fusillés par Garasse ne s’en sont toujours pas remis et croupissent dans un oubli déplorable, que d’aucuns souffrent d’une réputation fautive d’immoralistes et de gens infréquentables, et que les calomnies ont également atteint leurs oeuvres, le devenir négatif des athées se trouve celé pour des siècles…
En philosophie, libertin constitue encore et toujours une qualification dépréciative, polémique interdisant toute pensée sereine et digne de ce nom.
À cause du pouvoir dominant de l’antiphilosophie dans l’historiographie officielle de la pensée, des pans entiers d’une réflexion vigoureuse, vivante, forte, mais antichrétienne ou irrévérencieuse, voire simplement indépendante, demeurent ignorés, y compris bien souvent des professionnels de la philosophie, sauf une poignée de spécialistes. Qui a lu Gassendi par exemple ? Ou La Mothe Le Vayer ? Ou Cyrano de Bergerac – le philosophe, pas la fiction…- ? Si peu…
Et pourtant Pascal, Descartes, Malebranche et autres tenants de la Philosophie officielle sont impensables sans la connaissance de ces figures ayant travaillé à l’autonomie de la philosophie à l’endroit de la théologie – en l’occurrence de la religion judéo-chrétienne…

4 – La théologie et ses fétiches.

La pénurie de mot positif pour qualifier l’athéisme et la déconsidération des épithètes de substitution possibles va de pair avec l’abondance du vocabulaire pour caractériser les croyants.
Pas une seule variation sur ce thème qui ne dispose de son mot pour la qualifier : théiste, déiste, panthéiste, monothéiste, polythéiste, à quoi on peut ajouter animiste, totémiste, fétichiste ou encore, en regard des cristallisations historiques : catholiques et protestants, évangélistes et luthériens, calvinistes et bouddhistes, shintoïstes et musulmans, chiites et, sunnites, bien sûr, juifs et témoins de Jéhovah, orthodoxes et anglicans, méthodistes et presbytériens, le catalogue ne connaît pas de fin…
Les uns adorent les pierres – des tribus les plus primitives aux musulmans tournant autour du bétyle de la Ka’aba -, d’autres la lune ou le soleil, certains un Dieu invisible, impossible à représenter sous peine d’idolâtrie, d’autres une figure anthropomorphe – blanche, mâle, aryenne évidemment… -, tel voit dieu partout, en panthéiste accompli, tel autre, adepte de la théologie négative, nulle part, une fois il est adoré couvert de sang, couronné d’épines, cadavre, une autre dans un brin d’herbe sur le mode oriental shintô : il n’existe aucune facétie inventée par les hommes qui n’ait été mise à contribution pour étendre le champ des possibles divins…

À ceux qui doutent encore des extravagances possibles des religions en matière de supports, renvoyons à la danse de l’urine chez les Zuni du Nouveau-Mexique, à la confection d’amulettes avec les excréments du Grand Lama du Tibet, à la bouse et à l’urine de vache pour les ablutions de purification chez les hindouistes, au culte de Stercorius, Crepitus et Cloacine chez les romains – respectivement divinités des ordures, du pet et des égouts -, aux offrandes de fumier offertes à Siva, la Vénus assyrienne, à la consommation de ses excréments par Suchiquecal, la déesse mexicaine mère des dieux, à la prescription divine d’utiliser les matières fécales humaines pour cuire les aliments dans le livre d’Ézéchiel et autres voies impénétrables ou manières singulières d’entretenir un rapport avec le divin et le sacré…

Devant ces noms multiples, ces pratiques sans fin, ces détails Infinis dans la façon de concevoir Dieu, de penser la liaison avec lui, face à ce déluge de variations sur le thème religieux, en présence de tant de mots pour dire l’incroyable passion croyante, l’athée expérimente cette seule et pauvre épithète pour le discréditer ! Ceux qui adorent tout et n’importe quoi, les mêmes qui, au nom de leurs fétiches, justifient leurs violences intolérantes et leurs guerres depuis toujours contre les sans-dieux, ceux-là donc réduisent l’esprit fort à n’être étymologiquement qu’un individu incomplet, amputé, morcelé, mutilé, une entité à laquelle il manque Dieu…

Les tenants de Dieu disposent même d’une discipline toute entière consacrée à examiner les noms de Dieu, ses faits et gestes, ses dits mémorables, ses pensées, ses paroles – car il parle ! -, et ses actions, ses penseurs affidés et appointés, ses professionnels, ses lois, ses thuriféraires, ses défenseurs, ses sicaires, ses dialecticiens, ses rhéteurs, ses philosophes – et oui… -, ses hommes de mains, ses serviteurs, ses représentants sur terre, ses institutions induites, ses idées, ses diktats et autres : la théologie. La discipline du discours sur Dieu…

Les rares moments dans l’histoire occidentale où le christianisme a été mis à mal – 1793 par exemple – a produit quelques activités philosophiques nouvelles, donc généré quelques mots inédits, bien vite renvoyés aux oubliettes.
On parle encore de déchristianisation, certes, mais en historien, pour nommer cette période de la Révolution Française au cours de laquelle les citoyens transforment les Églises en hôpitaux, en écoles, en maisons pour les jeunes, où les révolutionnaires remplacent les croix faîtières par des drapeaux tricolores et les crucifix par des arbres.
L’athéiste des Essais de Montaigne et l’athéistique de Voltaire disparaissent bien vite.
L’athéiste de la Révolution Française aussi…

5 – Les noms de l’infamie .

La pauvreté du vocabulaire athéiste s’explique par l’indéfectible domination historique des tenants de Dieu : ils disposent des pleins pouvoirs politiques depuis plus de quinze siècles, leur tolérance n’est pas leur vertu première et ils mettent tout en œuvre pour rendre impossible la chose, donc le mot. Athéisme date de 1532, athée existe au deuxième siècle de l’ère commune chez les chrétiens qui dénoncent et stigmatisent les athées : ceux qui ne croient pas en leur dieu ressuscité le troisième jour. De là à conclure qu’ils ne sacrifient à aucun dieu, le pas se trouve très vite franchi. De sorte que les païens – ils rendent un culte aux dieux de la campagne, l’étymologie le confirme – passent pour des négateurs des dieux, puis de Dieu.
Le Jésuite Garasse fait de Luther un athée (!), Ronsard de même avec les huguenots…

Le mot vaut comme une insulte absolue, l’athée, c’est l’immoraliste, l’amoral, l’immonde personnage dont il devient coupable de vouloir en savoir plus ou d’étudier les livres une fois le couperet de l’épithète tombée. Le mot suffit pour empêcher l’accès à l’oeuvre. Il fonctionne en rouage d’une machine de guerre lancée contre tout ce qui n’évolue pas dans le registre de la plus pure orthodoxie catholique, apostolique et romaine. Athée, hérétique, c’est finalement tout un.
Ce qui finit par faire beaucoup !
Très tôt Epicure doit faire face à des accusations d’athéisme. Or ni lui ni les épicuriens ne nient l’existence des dieux : composés de matière subtile, nombreux, installés dans les inter – mondes, impassibles, insoucieux du destin des hommes et de la marche du monde, véritables incarnations de l’ataraxie, idées de la raison philosophique, modèles susceptibles de générer une sagesse dans l’imitation, les dieux du philosophe et de ses disciples existent bel et bien. Mais pas comme ceux de la cité grecque qui invitent à vie leurs prêtres à se plier aux exigences communautaires et sociales. Voilà leur tort…

L’historiographie de l’athéisme – rare, parcimonieuse et plutôt mauvaise… – commet donc une erreur à dater ses premiers repérages dans les temps les plus reculés de l’humanité. Probablement l’athéisme est une composante essentielle de l’homme des origines, autant que sa propension au sacré et au religieux, à part égale et simultanée.
Les cristallisations sociales appellent la transcendance : l’ordre, la hiérarchie – étymologiquement : le pouvoir du sacré… La politique, la cité peuvent d’autant plus facilement fonctionner qu’ils en appellent au pouvoir vengeur des dieux censément représentés sur terre par les dominants qui fort opportunément disposent des commandes.
Embarqués dans une entreprise de justification du pouvoir, les dieux – ou Dieu – passent pour les interlocuteurs privilégiés des chefs de tribu, des rois et des princes. Ces figures terrestres prétendent détenir leur puissance des dieux qui le leur confirmeraient pas des signes évidemment décodés par la caste des prêtres intéressée elle aussi aux bénéfices de l’exercice prétendu légal de la force.

L’athéisme devient dès lors une arme, une menace, une condamnation utile pour précipiter tel ou tel, pourvu qu’ils résiste ou regimbe un peu, dans les geôles, les cachots, voire le conduire aux bûchers.
L’athéisme ne commence pas avec ceux que l’Historiographie Officielle condamne et identifie comme tels.
Le nom de Socrate ne peut figurer décemment dans une histoire de l’athéisme. Ni celui d’Epicure et des siens.
Pas plus celui de Protagoras qui se contente d’affirmer dans Sur les Dieux qu’à leur propos il ne peut rien conclure, ni leur existence, ni leur inexistence. Ce qui pour le moins définit un agnosticisme, une indétermination, un scepticisme même si l’on veut, mais sûrement pas l’athéisme qui suppose une franche affirmation de l’inexistence des dieux.

Le Dieu des philosophes entre souvent en conflit avec celui d’Abraham, de Jésus et de Mahomet. D’abord parce que le premier procède de l’intelligence, de la raison, de la déduction, du raisonnement, ensuite parce que le second suppose plutôt le dogme, la révélation, l’obéissance – pour cause de collusion entre pouvoirs spirituel et temporel. Le Dieu d’Abraham qualifie plutôt celui de Constantin, puis des Papes ou des Princes guerriers très peu chrétiens. Pas grand chose à voir avec les constructions extravagantes bricolées avec des causes incausées, des premiers moteurs immobiles, des idées innées, des harmonies préétablies et autres preuves cosmologiques, ontologiques ou physico- théologiques…

Souvent toute velléité philosophique de penser Dieu en dehors du Modèle politique dominant devient athéisme.
Ainsi lorsque l’Église coupe la langue du prêtre Jules – César Vanini, le pend puis l’envoie au bûcher à Toulouse le 19 février 1619, elle assassine l’auteur d’un ouvrage dont le titre est : Amphithéâtre de l’éternelle Providence divino-magique, christiano-physique et non moins astrologico-catholique, contre les philosophes, les athées, les épicuriens, les péripatéticiens et les stoïciens (1615).
Sauf si l’on tient ce titre pour rien – un tort vu sa longueur explicite… – il faut comprendre que cette pensée oxymorique ne récuse pas la providence, le christianisme, le catholicisme, mais qu’elle refuse en revanche nettement l’athéisme, l’épicurisme, et autres écoles philosophiques païennes.
Or tout cela ne fait pas un athée – motif pour lequel on le met à mort -, mais plus probablement un genre de panthéiste éclectique. De toute façon hérétique parce qu’hétérodoxe…

Spinoza, panthéiste lui aussi – et avec une intelligence inégalée – se voit également condamné pour athéisme.
Le 27 juillet 1656, les Parnassim siégeant au mahamad – les autorités juives d’Amsterdam- lisent en hébreu, devant l’arche de la synagogue, sur le Houtgracht, un texte d’une effroyable violence : on lui reproche d’horribles hérésies, des actes monstrueux, des opinions dangereuses, une mauvaise conduite, en conséquence de quoi un, herem est prononcé – jamais annulé à ce jour ! La communauté prononce des mots d’une extrême brutalité : exclus, chassé, exécré, maudit le jour et la nuit, pendant son sommeil et sa veille, en entrant et en sortant de chez lui… Les hommes de Dieu en appellent à la colère de leur fiction et à sa malédiction déchaînée sans limite.
Pour compléter le cadeau, les parnassim veulent que le nom de Spinoza soit effacé de la surface de la planète et pour toujours. Raté…
À quoi les Rabbins, tenants théoriques de l’amour du prochain, ajoutent à cette excommunication l’interdiction pour quiconque d’avoir des relations écrites ou verbales avec le philosophe. Personne n’ayant le droit non plus de lui rendre service, de l’approcher à moins de deux mètres ou de se trouver sous le même toit que lui… Interdit, bien sûr, de lire ses écrits : à l’époque Spinoza a vingt-trois ans, il n’a encore rien publié. L’Ethique paraîtra de manière posthume vingt et un an plus tard en 1677. Aujourd’hui on lit son oeuvre sur toute la planète…

Où est l’athéisme de Spinoza ?
Nulle part. On chercherait en vain dans son oeuvre complète une seule phrase qui affirme clairement l’inexistence de Dieu. Certes, il nie l’immortalité d’une âme et affirme l’impossibilité d’un châtiment ou d’une récompense post-mortem ; il avance l’idée que la Bible est un ouvrage composé par divers auteurs et relève d’une composition historique, donc non révélée ; il ne sacrifie aucunement à la notion de peuple élu et l’affirme clairement dans le Traité théologico-politique ; il enseigne une morale hédoniste de la joie par-delà le bien et le mal ; il ne sacrifie pas à la haine judéo-chrétienne de soi, du monde et du corps ; bien que Juif, il trouve des qualités à Jésus. Mais rien de tout cela ne fait un négateur de Dieu, un athée…

La liste des malheureux mis à mort pour cause d’athéisme dans L’histoire de la planète et qui étaient prêtres, croyants, pratiquants, sincèrement convaincus de l’existence d’un Dieu unique, catholiques, apostoliques et romains ; celle des tenants du Dieu d’Abraham ou d’Allah eux aussi passés par les armes en quantités incroyables pour n’avoir pas professé une foi dans les normes et dans les règles ; celle des anonymes pas même rebelles ou opposants aux pouvoirs qui se réclamaient du monothéisme, ni réfractaires, pas plus rétifs – toutes ces comptabilités macabres témoignent : l’athée, avant de qualifier le négateur de Dieu, sert à poursuivre et condamner la pensée de l’individu affranchi, même de la façon la plus infime, de l’autoritéet de la tutelle sociale en matière de pensée et de réflexion.

L’athée ? Un homme libre devant Dieu – y compris pour en nier bientôt l’existence…

II – ATHÉISME ET SORTIE DU NIHILISME

1- L’invention de l’athéisme.

Le christianisme épicurien de Montaigne, celui de Gassendi, Chanoine de Digne, le christianisme pyrrhonien de Pierre Charron, théologal de Condom, écolâtre de Bordeaux, le déisme du protestant Bayle, celui de Hobbes l’anglican méritent parfois à leurs auteurs de passer pour des impies, des athées. Là encore le terme ne convient pas.
Croyants hétérodoxes, penseurs libres, certes, mais chrétiens, philosophes affranchis bien que chrétiens par tradition, cette large gamme permet de croire en Dieu sans la contrainte d’une orthodoxie appuyée sur une armée, une police et un pouvoir.
L’auteur des Essais passe pour un athée ? Quid de son pèlerinage privé à Notre-Dame de Lorette ? De ses professions de foi catholiques dans son maître livre, de sa chapelle privée ? Non, tout ce beau monde philosophique croit en Dieu…

Or il faut un premier, un inventeur, un nom propre telle une borne à partir de laquelle on peut affirmer : voici le premier athée, celui qui dit l’inexistence de Dieu, le philosophe qui le pense, l’affirme, l’écrit clairement, nettement, sans fioritures, et non avec moult sous entendus, une infinie prudence et d’interminables contorsions. Un athée radical, franc du collier, avéré ! Voire fier. Un homme dont la profession de foi – si je puis dire… – ne se déduit pas, ne se suppute pas, ne procède pas d’hypothèses alambiquées de lecteurs en chasse d’un début de pièce à conviction.
Et il me plaît que cette généalogie de l’athéisme philosophique procède d’un prêtre : l’Abbé Meslier, saint, héros et martyr de la cause athée enfin repérable…
Curé d’Etrépigny dans les Ardennes, discret pendant toute la durée de son ministère, sauf une altercation avec le seigneur du village, Jean Meslier (1664-1729) écrit un volumineux Testament dans lequel il conchie l’Eglise, la Religion, Jésus, Dieu mais aussi l’aristocratie, la Monarchie, l’Ancien régime, il dénonce avec une violence sans nom l’injustice sociale, la pensée idéaliste, la morale chrétienne doloriste et professe en même temps un communalisme anarchiste, une authentique et inaugurale philosophie matérialiste et un athéisme hédoniste d’une étonnante modernité.
Pour la première fois dans l’histoire des idées, un philosophe – quand en conviendra-t-on ? – consacre un ouvrage à la question de l’athéisme : il le professe, le prouve, le démontre, argumente, cite, fait part de ses lectures, de ses réflexions, mais s’appuie également sur ses commentaires du monde comme il va.
Le titre le dit nettement : Mémoire des pensées et sentiments de Jean Meslier et son développement aussi qui annonce des démonstrations claires et évidentes de la Vanité et de la Fausseté de toutes les Divinités et de toutes les Religions du Monde. Le livre paraît en 1729, Meslier y a travaillé une grande partie de son existence.
L’histoire de l’athéisme véritable commence…

2 – L’organisation de l’oubli.

L’historiographie dominante occulte la philosophie athée.
Outre l’oubli pur et simple de l’abbé Meslier, vaguement cité comme une curiosité, un oxymore d’école – un prêtre mécréant ! – quand on lui fait l’honneur d’une mention, en passant, on cherche en vain les preuves et les traces d’un travail digne de ce nom autour des figures du matérialisme français par exemple : La Mettrie le furieux jubilatoire, Dom Deschamps l’inventeur d’un hégélianisme communaliste, D’Holbach l’imprécateur de Dieu, Helvetius le matérialiste voluptueux, Sylvain Maréchal et son Dictionnaire des athées, mais aussi les Idéologues Cabanis, Volney ou Destutt de Tracy habituellement passés sous silence alors que, entre autres, la bibliographie de l’idéalisme allemand déborde de titres, travaux et recherches.

Exemple : le travail du Baron d’Holbach n’existe pas dans l’Université : pas d’édition savante ou scientifique chez un éditeur philosophique ayant pignon sur rue ; pas de travaux, de thèses ou de recherches actuelles d’un professeur prescripteur dans l’institution ; pas d’ouvrages en collections de poche, évidemment, encore moins en Pléiade – quand Rousseau, Voltaire, Kant ou Montesquieu disposent de leurs éditions ; pas de cours ou de séminaires consacrés au démontage et à la diffusion de sa pensée ; pas une seule biographie… Affligeant !

L’Université rabâche toujours, pour en rester au seul siècle dit des Lumières, le contrat social rousseauiste, la tolérance voltairienne, le criticisme kantien ou a séparation des pouvoirs du penseur de la Brède, ces scies musicales, ces images d’Épinal philosophiques.
Et rien sur l’athéisme de D’Holbach, sur sa lecture décapante et historique des textes bibliques ; rien sur la critique de la théocratie chrétienne, de la collusion de l’État et de l’Église, de la nécessité d’une séparation des deux instances; rien sur l’autonomisation de l’éthique et du religieux ; rien sur le démontage des fables catholiques ; rien sur le comparatisme des religions; rien sur les critiques faites sur son travail par Rousseau, Diderot, Voltaire et la clique déiste prétendument éclairée ; rien sur le concept d’éthocratie ou la possibilité d’une morale post-chrétienne ; rien sur le pouvoir de la science utile pour combattre celui de la croyance ; rien sur la généalogie physiologique de la pensée ; rien sur l’intolérance constitutive du monothéisme chrétien ; rien sur la nécessaire soumission de la politique à l’éthique ; rien sur l’invitation à utiliser une partie des biens de l’Église au profit des pauvres ; rien sur le féminisme et la critique de la misogynie catholique.
Autant de thèses holbachiques d’une actualité surprenante…
Silence sur Meslier l’imprécateur (Le Testament, 1729), silence sur D’Holbach le démystificateur (La contagion sacrée date de 1768), silence également dans l’historiographie sur Feuerbach le déconstructeur (L’essence du christianisme, 1841) ce troisième grand moment de l’athéisme occidental, un pilier considérable d’une athéologie digne de ce nom : car Ludwig Feuerbach propose une explication de ce qu’est Dieu.

Il ne nie pas son existence, il dissèque la chimère.
Pas question de dire Dieu n’existe pas, mais qu’est-ce que ce Dieu auquel la plupart croient ? Et de répondre : une fiction, une création des hommes, une fabrication obéissant à des lois particulières, en l’occurrence la projection et l’hypostase : les hommes créent Dieu à leur image inversée.

Mortels, finis, limités, douloureux de ces contraintes, les humains travaillés par la complétude inventent une puissance dotée très exactement des qualités opposées : avec leurs défauts retournés comme les doigts d’une paire de gants, ils fabriquent les qualités devant lesquelles ils s’agenouillent puis se prosternent. Je suis mortel ? Dieu est immortel ; je suis fini ? Dieu est infini ; je suis limité ? Dieu est illimité ; je ne sais pas tout ? Dieu est omniscient ; je ne peux pas tout ? Dieu est omnipotent ; je ne suis pas doué du talent d’ubiquité ? Dieu est omniprésent ; je suis créé ? Dieu est incréé; je suis faible ? Dieu incarne la Toute-Puissance ; je suis sur terre ? Dieu est au Ciel ; je suis imparfait ? Dieu est parfait ; etc.

La religion devient donc la pratique d’aliénation par excellence : elle suppose la coupure de l’homme avec lui-même et la création d’un monde imaginaire dans lequel la vérité se trouve fictivement investie.
La théologie, affirme Feuerbach, est une pathologie psychique à quoi il oppose son anthropologie appuyée sur un genre de chimie analytique. Non sans humour, il invite à une hydrothérapie pneumatique – utiliser l’eau froide de la raison naturelle contre les chaleurs et vapeurs religieuses, notamment chrétiennes…

Malgré cet immense chantier philosophique, Feuerbach demeure un grand oublié de l’histoire de la philosophie dominante. Certes son nom apparaît parfois, mais parce qu’aux temps de la splendeur d’Althusser, le Caïman de Normale Sup avait jeté son dévolu sur lui comme maillon hégélien utile pour vendre son jeune Marx via sa lecture des Manuscrits de 1844 et de l’idéologie allemande.
Ce furent moins des occasions pour Althusser de préparer le Grand soir que l’oral d’agrégation de philosophie de ses élèves en 1967… Le génie propre de Feuerbach disparaît sous les considérations utilitaires du professeur.
Parfois l’oubli pur et simple vaut mieux que le malentendu ou la mauvaise et fausse réputation…

3 – Tremblement de terre philosophique.

Et Nietzsche vint… Après les imprécations du curé, la démythologisation du chimiste – D’Holbach pratiquait la géologie et la science de haute volée -, la déconstruction du chef d’entreprise – Feuerbach n’était pas philosophe de profession, refusé par l’Université pour avoir publié Les pensées sur la mort et l’immortalité dans lequel il nie toute immortalité personnelle, mais propriétaire de gauche d’une usine de porcelaine aimé des ouvriers…-, Nietzsche apparaît.

Avec lui, la pensée idéaliste, spiritualiste, judéo-chrétienne, dualiste, autant dire la pensée dominante, peut se faire du souci: son monisme dionysiaque, sa logique des forces, sa méthode généalogique, son éthique athée permettent d’envisager une sortie du christianisme.
Pour la première fois, une pensée post-chrétienne radicale apparaît dans le paysage occidental.
Pour plaisanter (?), Nietzsche écrit dans Ecce homo qu’il ouvre l’histoire en deux et qu’à la manière du Christ il y a un avant et un Après lui… Il manque au philosophe de Sils-Maria son Paul et son Constantin, son voyageur de commerce hystérique et son Empereur planétaire pour transformer sa conversion en métamorphose de l’univers.
Ce qui n’est nullement souhaitable historiquement parlant. La dynamite de sa pensée représente un danger trop grand pour ces brutes que sont toujours les acteurs de l’histoire concrète.

Mais sur le terrain philosophique, le père de Zarathoustra a raison : avant et après Par-delà le bien et le mal et L’Antéchrist, ça n’est plus le même monde idéologique : Nietzsche ouvre une brèche dans l’édifice judéo-chrétien.
Sans accomplir toute la tâche athéologique à lui seul, il la rend enfin possible. D’où l’utilité d’être nietzschéen.
À savoir ? Être nietzschéen – ce qui ne veut pas dire être Nietzsche comme le croient les imbéciles… – exclut de reprendre à son compte les thèses majeures du philosophe au serpent : le ressentiment, l’éternel retour, le surhomme, la volonté de puissance, la physiologie de l’art et autres grands moments du système philosophique. Nul besoin – quel intérêt ? – de se prendre pour lui, de se croire Nietzsche, et de devoir endosser, puis assumer toute sa pensée.
Seuls les esprits courts imaginent cela…

Être nietzschéen suppose penser à partir de lui, là même où le chantier de la philosophie a été transfiguré par son passage.
Il appelait des disciples infidèles qui, par leur seule trahison, prouveraient leur fidélité, il voulait des gens qui lui obéissent en se suivant eux-seuls et personne d’autre, pas même lui. Surtout pas lui. Le chameau, le lion et l’enfant d’Ainsi parlait Zarathoustra enseignent une dialectique et une poétique à pratiquer : le conserver et le dépasser, se souvenir de son oeuvre, certes, mais surtout s’appuyer sur elle comme on prend appui sur un formidable levier pour déplacer les montagnes philosophiques.

D’où un chantier nouveau et supérieur pour l’athéisme : Meslier a nié toute divinité, D’Holbach a démonté le christianisme, Feuerbach a déconstruit Dieu, Nietzsche révèle la transvaluation : l’athéisme ne doit pas fonctionner comme une fin seulement.

Supprimer Dieu, certes, mais pour quoi faire ?
Une autre morale, une nouvelle éthique, des valeurs inédites, impensées car impensables, voilà ce que permet la réalisation et le dépassement de l’athéisme.
Une tâche redoutable et à venir.
L’Antéchrist raconte le nihilisme européen – le nôtre encore… – et propose une pharmacopée à cette pathologie métaphysique et ontologique de notre civilisation.
Nietzsche donne ses solutions. On les connaît, elles accusent plus d’un siècle. Être nietzschéen, c’est proposer d’autres hypothèses, nouvelles, post-nietzschéennes, mais en intégrant son combat sur les cimes. Les formes du nihilisme contemporain appellent plus que jamais une transvaluation qui dépasse enfin les solutions et les hypothèses religieuses ou laïques issues des monothéismes.
Zarathoustra doit reprendre du service : l’athéisme seul rend possible la sortie du nihilisme.

4 – Enseigner le fait athée.

Alors que le 11 septembre vu par les États-Unis, donc l’Occident, somme tout un chacun de choisir son camp dans la guerre de religion qui opposerait le judéo-christianisme et l’islam, on peut vouloir échapper aux termes de l’alternative posés par les protagonistes et opter pour une position nietzschéenne : ni judéo-chrétien, ni musulman pour la bonne raison que ces belligérants continuent leur guerre de religion entamée depuis les invites juives des Nombres – originellement titré Le Livre de guerre du Seigneur et constitutifs de la Torah – qui justifie le combat sanglant contre les ennemis, jusqu’aux variations récurrentes sur ce thème dans le Coran – à massacrer les infidèles – Soit tout de même près de vingt-cinq siècles d’appels au crime !

Leçon de Nietzsche : entre les trois monothéismes, on peut ne pas vouloir choisir. Et ne pas opter pour Israël et les USA n’oblige pas de fait à devenir compagnon de route des Talibans…

Le Talmud et la Torah, la Bible et le Nouveau Testament, le Coran et les Hadith ne paraissent pas des garanties suffisantes pour la philosophie, la pensée, la raison, l’intelligence pour qu’on choisisse entre la misogynie juive, chrétienne ou musulmane, qu’on opte contre le porc et l’alcool mais pour le voile ou la burka, qu’on fréquente la Synagogue, le Temple, l’Église ou la Mosquée, tous endroits où l’intelligence se porte mal et où l’on préfère depuis des siècles l’obéissance aux dogmes et la soumission à la Loi – donc à ceux qui se prétendent les élus, les envoyés et la parole de Dieu.

À l’heure où se pose la question de l’enseignement du fait religieux à l’école sous prétexte de fabriquer du lien social, de ressouder une communauté en déshérence – à cause d’un libéralisme qui produit la négativité au quotidien, rappelons-le… -, de générer un nouveau type de contrat social, de retrouver des sources communes – monothéistes en l’occurrence… -, il me semble qu’on peut préférer l’enseignement du fait athée.
Plutôt la Généalogie de la morale que les Épîtres aux Corinthiens.

Le désir de faire rentrer par la fenêtre la Bible et autres colifichets monothéistes que plusieurs siècles d’efforts philosophiques ont fait sortir par la porte – dont les Lumières et la Révolution française, le socialisme et la Commune, la gauche et le Front Populaire, l’esprit libertaire et Mai 68, mais aussi Freud et Marx, l’École de Francfort et celle du soupçon des nietzschéens de gauche français… -, c’est proprement et étymologiquement consentir à la pensée réactionnaire.
Pas sur le mode Joseph de Maistre, Louis de Bonald ou Blanc de Saint Bonnet, – trop grosses ficelles… – mais sur celui, gramscien, du retour des idéaux dilués, dissimulés, travestis, hypocritement réactivés du judéo-christianisme.

On ne vante pas clairement les mérites de la théocratie, on n’assassine pas 1789 – encore que… -, on ne publie pas ouvertement un ouvrage intitulé Du Pape pour célébrer l’excellence de la puissance politique du Souverain Pontife, mais on stigmatise l’individu, on lui dénie des droits et lui inflige des devoirs à la pelle, on célèbre la communauté contre la monade, on en appelle à la transcendance, on dispense l’État et ses parasites de rendre des comptes sous prétexte de son extra-territorialité ontologique, on néglige le peuple et qualifie de populiste et de démagogue quiconque s’en soucie, on méprise les intellectuels et les philosophes qui effectuent leur travail et résistent, la liste pourrait continuer…

Jamais autant qu’aujourd’hui ce que le XVIII° siècle connaissait sous le nom d’Antiphilosophie n’a connu à ce point de vitalité : le retour du religieux, la preuve que Dieu n’est pas mort, mais qu’il fut seulement quelque temps somnolent et que son réveil annonce des lendemains qui déchantent, tout cela oblige à reprendre des positions qu’on croyait révolues et à remonter au créneau athée.
L’enseignement du fait religieux réintroduit le loup dans la bergerie : ce que les prêtres ne peuvent plus commettre ouvertement ils pourraient désormais le faire en douce, en enseignant les fables de l’Ancien et du Nouveau Testament, celles du Coran et des Hadiths sous prétexte de permettre aux scolaires d’accéder plus facilement à Marc Chagall, à la Divine comédie, à la Chapelle Sixtine ou à la musique de Ziryab…

Or les religions devraient s’enseigner dans le cursus déjà existant – philosophie, histoire, littérature, arts plastiques, langues, etc… – comme on enseigne des proto-sciences : par exemple l’alchimie dans le cours de chimie, la phytognomonique et la phrénologie en science naturelle, le totémisme et la pensée magique en philosophie, la géométrie euclidienne en mathématique, la mythologie en histoire…
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N.B: Le blog ne peut contenir hélas, par edition d’articles qu’un petit nombre de pages, comme on l’a vu dans l’édition précédente de « TIR FIXE ». Nous reviendrons sur tout cela en édition complémentaire. Dans l’attente, à chacunE de se documenter.

publié par Nosotros.Incontrolados-Les Amis du Négatif à l’Oeuvre publié dans : actualites