Ce 20 novembre a été un jour historique au Mexique pour plusieurs raisons. La plus importante pour l’avenir est probablement la constitution
officielle de l’Assemblée populaire des peuples du Mexique (APPM), qui
regroupe 19 assemblées populaires, dont l’APPO, et 75 organisations
sociales et politiques. L’APPM cherche à former un front le plus large
possible contre la domination politique et économique de droite ; c’est
pourquoi elle invite les zapatistes de l’« Autre Campagne » et le « Front
élargi progressiste » (c’est-à-dire le PRD et les petits partis qui lui
sont alliés) à se joindre au mouvement ; seuls sont exclus les groupes
liés au PRI ou au PAN, dans la mesure où il doit s’agir d’un « processus
d’organisation populaire qui veut en finir avec les vieux cercles de
pouvoir et où les décisions émanent directement des assemblées, avec une
coordination horizontale, sans possibilité d’imposer des décisions depuis
des petits cercles de pouvoir ». Parmi les objectifs de l’APPM, en effet,
le plus révolutionnaire est sans doute celui de promouvoir la formation
d’assemblées à tous les niveaux, depuis le plus local jusqu’au plus
fédéral, afin de « retrouver les traditions collectives, communautaires et
populaires qui trouvent dans les assemblées l’expression la plus complète
et la plus développée de la démocratie directe ».

La première activité de l’APPM sera l’appui au plan d’action de l’APPO,
qui comprend, demain mercredi, une mégamarche vers la ville d’Oaxaca, des
blocages de routes autour de celle-ci, et des meetings devant une
quinzaine d’ambassades dans divers pays du monde.

À Mexico, les promesses du « Président légitime » López Obrador.

La célébration de l’anniversaire de la Révolution dans le centre ville de
Mexico, c’est d’abord une foule de plusieurs centaines de milliers de
personnes qui assiste au défilé commémoratif, culturel et sportif, dans
une atmosphère joyeuse et bon enfant. Mais cette année c’est surtout
l’occasion qu’a choisie le candidat présidentiel, évincé par fraude,
Andrés Manuel López Obrador (AMLO), pour prendre symboliquement ses
fonctions de Président légitime, avant que son rival Felipe Calderón ne le
fasse officiellement le 1er décembre. Devant la foule accourue de tous les
coins de la république, AMLO s’est engagé à protéger les droits du peuple,
défendre le patrimoine et la souveraineté nationale et entamer la
transformation profonde du pays. À cette fin, il a annoncé un programme en
20 points, parmi lesquels des initiatives légales pour affronter les
monopoles économiques liés au pouvoir et pour favoriser l’économie
populaire.
En préparation du 1er décembre, le Palais législatif où doit se passer la
cérémonie d’investiture de Calderón s’est transformé en une véritable
place forte, gardée par des centaines de policiers, et dont tous les accès
sont désormais scellés, murés, contrôlés. Une exposition consacrée à
Pancho Villa, qui devait être inaugurée aujourd’hui, a été interdite par
le PAN, au grand dam de tous les autres groupes politiques qui estiment
les mesures de prévention démesurées. Qui sait cependant ce qui va se
passer ce jour-là ? Une banderole sur le zócalo annonçait clairement : «
La démocratie est morte. S’il n’y a pas de solutions, ce sera la
révolution ».

Toujours l’état de siège à Oaxaca.

Dans la capitale d’Oaxaca, des affrontements ont eu lieu entre la Police
fédérale préventive (PFP) et les quelques 1 500 partisans de l’APPO qui
avaient organisé une marche pour commémorer l’anniversaire de la
Révolution. Durant tout l’après-midi, les jets de pierres et les pétards
ont lutté contre les gaz lacrymogènes et les matraques, avant que la PFP
finisse par se retirer de la zone de la manifestation. On compte 53
blessés du côté de l’APPO et au moins 5 du côté des policiers. Plusieurs
manifestants ont été arrêtés et remis aux autorités judiciaires. Plusieurs
journalistes et preneurs d’images, y compris appartenant à des agences de
presse internationales et à la toute puissante télévision TV Azteca, ont
été poursuivis et agressés par des policiers.

La Ligue mexicaine de défense des droits de l’homme dénonce le fait que «
La Police fédérale préventive continue à violer les droits de l’homme,
outrepasse ses fonctions et, au lieu de rétablir la paix, provoque le
contraire » ; elle demande au gouvernement fédéral de retirer la PFP de
l’État, vu que « sa présence aiguise le conflit ». Une femme n’ayant aucun
lien avec l’APPO a porté plainte pour agression sexuelle de la part de
policiers, et l’APPO dénonce un harcèlement continuel vis-à-vis des femmes
de la part de la force d’occupation policière qui campe toujours dans le
centre ville.

La radio libre sympathisante des insurgés, Radio Universidad, est toujours
complètement entourée de barricades et gardée comme une forteresse ; la
professeure de médecine Berta Muñoz, qui avait assuré l’antenne durant les
sept heures d’assaut policier le 2 novembre, est désormais cantonnée à
l’intérieur des locaux de la radio en raison des menaces de mort qu’elle
reçoit sur son portable et qui sont diffusées par la radio proche du
gouvernement. Elle a confié à une journaliste de « La Jornada » que rien
ne serait plus pareil à l’université, qui doit désormais se rapprocher du
peuple et lui donner la parole.

Quant au gouverneur de l’État, Ulises Ruiz, comme seule réponse à
l’immense mouvement populaire qui réclame sa démission, il a déclaré que «
celui qui retire et impose, c’est Dieu ». Cette tranquille assurance de
gouverner de droit divin lui a valu le sévère reproche du coordinateur de
la commission « Justice et Paix » de l’archidiocèse d’Oaxaca, pour avoir
évoqué le nom de Dieu pour « justifier son maintien au pouvoir, qui
manifestement est autoritaire, méprisant, despotique et tyrannique. Quand
on idolâtre le pouvoir, on tombe dans la fétichisation et on n’écoute plus
la voix du peuple. »

Du côté des zapatistes

D’État en État et de communauté en communauté, l’ « Autre Campagne »,
entamée il y a déjà presque un an, continue de donner la parole à toutes
les victimes des confiscations de terres, des assassinats et disparitions,
de la misère imposée par les grands propriétaires et leurs milices
privées, les caciques et leurs policiers corrompus, les narcotrafiquants
et leurs blanchisseurs. Donnant ainsi une voix aux sans voix, elle permet
au moins de révéler à quel point la façade de démocratie et d’État de
droit qu’affiche le Mexique vis-à-vis de l’extérieur est un leurre et une
mascarade.

Hier, des milliers d’indigènes, « bases d’appui » de l’EZLN, ont bloqué
diverses routes du Chiapas pour manifester leur soutien aux revendications
de l’APPO.

Annick Stevens, à partir de « La Jornada ».